La lettre juridique n°847 du 10 décembre 2020 : Protection sociale complémentaire

[Jurisprudence] Entreprise en liquidation judiciaire ou lorsque le prix de la portabilité est porté par l’organisme assureur

Réf. : Cass. civ. 2, 5 novembre 2020, n° 19-17.164, FS-P+B+I (N° Lexbase : A521033D)

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par Quentin Frisoni, Avocat associé et Lola Pascaud, Avocat, cabinet Factorhy Avocats

le 08 Janvier 2021

 


Mots-clés : protection sociale complémentaire • garantie santé et prévoyance • portabilité • liquidation judiciaire

L’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0437IXH) permet aux salariés garantis collectivement de bénéficier du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par l’assurance chômage, selon des conditions qu’il détermine. Ces dispositions, à caractère d’ordre public, n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et ne prévoient aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance.


 

Jusqu’à un milliard d’euros, c’est le prix estimé de la portabilité des droits en santé et prévoyance d’ici à fin 2021 [1]. Il est donc déterminant, pour la cotation des régimes « frais de santé » de savoir qui en supporte le coût !

Au cas particulier des entreprises placées en liquidation judiciaire, qui de l’employeur ou de l’assureur doit assumer la portabilité des droits des salariés licenciés alors que plus aucun salarié actif ne permet, via le versement de sa cotisation, de financer le coût de la portabilité ?  

Donnant lieu à des solutions contradictoires des juridictions du fond, une décision de la Cour de cassation était attendue depuis plusieurs années sur cette problématique qui prend aujourd’hui une coloration toute particulière dans un contexte de crise sanitaire et économique sans précédent, qui pourrait entraîner une vague de liquidations judiciaires importante au cours des prochains mois [2].

I. La portabilité

L’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0437IXH), issu de la loi de sécurisation de l’emploi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (N° Lexbase : L0394IXU) dispose que :

« Les salariés garantis collectivement [en matière de frais de santé ou de prévoyance « lourde »] bénéficient du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage, selon les conditions suivantes : […]

3° Les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise […] » et ce, pour une durée ne pouvant excéder douze mois.   

Il résulte de ce texte d’ordre public en application de l’article L. 914-1 (N° Lexbase : L2520HI8) du même code que :

1. l’employeur est tenu de maintenir à ses anciens salariés le bénéfice des garanties de prévoyance complémentaire existant dans l’entreprise, postérieurement à la rupture de leur contrat de travail ouvrant droit à prise en charge par le régime d’assurance chômage (sauf faute lourde) ;

2. la portabilité est « gratuite » pour le salarié en bénéficiant. Toutefois, le terme « gratuit » est impropre. En effet, en assurance rien n’est gratuit et tout repose sur un système d’équilibre technique. En réalité :

  • la portabilité est bien « gratuite » pour le salarié porté dans le cadre de ses relations avec son ancien employeur ;
  • en revanche, elle a un coût pour l’entreprise dans le cadre de ses relations avec l’organisme assureur couvrant les régimes. En effet, en pratique, la portabilité est financée par un mécanisme de mutualisation : les cotisations des salariés actifs et de l’employeur servent au financement des garanties des salariés « portés ».

3. les salariés « portés » bénéficient des garanties « en vigueur » dans l’entreprise : l’existence et les caractéristiques de la couverture temporairement maintenue au profit des anciens salariés sont calquées sur celles dont bénéficient les salariés en activité.

II. Les difficultés suscitées par le placement de la société en liquidation judiciaire

Aucune précision n’est apportée par l’article L. 911-8 sur la mise en œuvre d’un tel maintien en cas de procédures collectives, et plus spécifiquement de liquidation judiciaire de l’entreprise. Dès lors, l’application des conditions précitées à ce cas particulier peut créer des difficultés d’interprétation.

A. Sur l’existence de l’entreprise

Il ne fait aucun doute que pendant la phase de la procédure de liquidation judiciaire, entre le jugement d’ouverture et le jugement de clôture, la personnalité morale de l’employeur subsiste pour les besoins de la liquidation de l’actif et du passif de l’entreprise. Pendant cette période, le liquidateur judiciaire peut alors, conformément à l’article L. 641-11-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3298IC7), exiger l’exécution des contrats en cours dont notamment les contrats d’assurance de prévoyance/frais de santé, sous réserve bien évidemment de s’acquitter des cotisations y afférentes.

De la même manière, il n’y a aucun doute sur le fait que le jugement de clôture de la procédure de liquidation judiciaire entraîne la disparition de l’entreprise, et corrélativement celle du régime en vigueur en son sein, et du contrat souscrit sur son fondement. Dans ce cas, dans la mesure où l’entreprise n’existe plus et qu’il n’y a plus de garanties en vigueur dans l’entreprise, les anciens salariés ne peuvent plus se prévaloir du maintien des garanties au titre de la portabilité à compter de cette date, quand bien même les douze mois ne seraient pas écoulés. Le débiteur de l’obligation a disparu.

B. Sur le financement de la couverture du salarié « porté » 

Force est d’admettre que dès lors que :

  • l’entreprise a cessé son activité ;
  • et que plus aucun salarié n’est inscrit aux effectifs ;

le financement de la portabilité par le biais de la mutualisation est impossible. Ainsi, admettre le maintien de la portabilité dans une telle situation revient à faire supporter ce coût par les organismes assureurs alors qu’ils ne sont pas les débiteurs de l’obligation mentionnée à l’article L. 911-8.  

C’est sur la base de ce constat de l’impossibilité de couvrir la portabilité en cas de liquidation judiciaire que le législateur avait, à l’occasion de l’adoption de l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale, envisagé la mise en place d’un dispositif spécifique. En effet :

  • l’article 4 de la loi de sécurisation de l’emploi prévoit que le Gouvernement devait remettre au Parlement « un rapport sur les modalités de prise en charge du maintien des couvertures santé et prévoyance pour les salariés lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire » [3] ;
  • le rapport relatif à « la solidarité et la protection sociale complémentaire collective »  établi par M. Dominique Libault et remis au ministère du Travail le 23 septembre 2015 précise que :

« Sauf exception organisée au niveau des contrats de branche, les salariés sont aujourd’hui très peu, voire pas couverts en cas de faillite d’entreprise. […]

Des réflexions sont en cours pour organiser cette portabilité dans les meilleures conditions. Il est certain, en tout état de cause, qu’elle ne peut se déployer qu’avec un niveau élevé de mutualisation, compte tenu de la nature des risques encourus, à moins de confier à l’organisme assureur le soin de financer la continuité des droits en cas de faillite [...]. Je ne préconise pas de retenir cette piste en raison des surprimes qui pourraient en résulter pour les entreprises présentant des risques économiques importants. Il me paraît préférable de s’appuyer sur des fonds de solidarité […] » ;

  • une proposition de loi « relative au maintien des garanties complémentaires des salariés licenciés à la suite de la liquidation de leur employeur » avait été déposée à l’Assemblée nationale le 29 septembre 2015 afin de préconiser l’institution d’un fonds de mutualisation financé par une nouvelle taxe additionnelle sur les contrats collectifs de prévoyance complémentaire permettant de couvrir les salariés intéressés.

C. Sur la notion de garanties « en vigueur »

En cas de licenciement de l’ensemble des salariés pendant la phase des opérations de liquidation judiciaire, doit-on considérer que le contrat souscrit pour les assurer est toujours « en vigueur » ou au contraire qu’il est rendu caduc par disparition de son objet ? Le débat est permis.

À admettre dans ce cas que le contrat soit toujours « en vigueur », l’employeur peut-il imposer à l’organisme assureur de mettre en œuvre la portabilité des garanties collectives au profit du personnel licencié alors même qu’aucune cotisation ne lui sera versée (l’ensemble des salariés ayant été licenciés) ?

Afin de pallier cet écueil, nombreux sont les organismes assureurs qui ont prévu dans leurs conditions générales une clause excluant le maintien des garanties en cas de cessation totale d’activité de l’entreprise mise en liquidation judiciaire. Mais cette clause est-elle valable ?

C’est précisément l’objet du litige qui a été tranché par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 5 novembre 2020.

IV. Le litige

Une entreprise qui avait souscrit un contrat collectif d’assurance complémentaire « santé » auprès d’une société d’assurance afin de garantir le régime qu’elle avait mis en place au profit de ses salariés a été placée en liquidation judiciaire.

À l’occasion de cette procédure, le liquidateur judiciaire a sollicité la mise en œuvre de la portabilité des garanties « frais de santé » au profit des anciens salariés licenciés.

La société d’assurance a refusé le maintien des droits au motif que le dispositif de portabilité ne s’appliquait pas en cas de cessation de l’activité de l’entreprise.

Après une mise en demeure non suivie d’effet, le liquidateur judiciaire a assigné la société d’assurance aux fins de la voir condamnée à assurer la portabilité à ces anciens salariés.

A. L’arrêt d’appel

La cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement de première instance qui avait ordonné à la société d’assurance de maintenir le contrat collectif de frais de santé au profit des salariés licenciés postérieurement à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.

Après avoir rappelé que l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale est d’ordre public, les juges du second degré ont estimé que ce texte :

  • conditionne la portabilité uniquement à l’existence et à l’application d’un contrat d’assurance collective complémentaire au jour où le licenciement du salarié est intervenu ;
  • ne crée qu’une seule exclusion du bénéfice de la portabilité touchant les salariés licenciés pour faute lourde ;
  • ne prévoit pas de conditions de maintien d’un paiement des cotisations par l’employeur ;
  • ne précise pas le financement de la portabilité qui n’est, selon la cour, en rien un critère ou une condition d’application de la portabilité ;
  • n’édicte que le principe et les modalités de maintien de la couverture « santé », maintenant clairement une obligation à la charge de l’assureur.

Au cas particulier, après avoir constaté l’absence de résiliation du contrat collectif, la cour en a conclu que l’assureur était toujours débiteur de ses obligations contractuelles.

Or, la clause des conditions générales stipulant que « le maintien des garanties cesse de plein droit en cas de cessation totale d’activité de l’entreprise contractante par suite de liquidation judiciaire » devait, selon les juges du fond, être réputée non écrite car contraire aux dispositions d’ordre public édictée à l’article L. 911-8.

Ainsi, la cour en a conclu que « la décision de liquidation judiciaire est […] sans incidence sur la mise en œuvre de l’article L. 911-8 ».

La cour d’appel de Lyon confirme ici sa jurisprudence antérieure selon laquelle il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas et donc d’exclure du mécanisme de maintien des garanties les salariés dont l’employeur a été placé en liquidation judiciaire, la seule exception au principe de la portabilité des droits étant le cas de la rupture du contrat de travail pour faute lourde. La cour avait également déjà jugé que le principe de portabilité « gratuite » institué par l’article L. 911-8 au profit des salariés licenciés s’appliquait y compris dans le cadre de la liquidation judiciaire de leur entreprise [4].

De la même manière, elle confirme la position de la cour d’appel de Colmar qui avait considéré, sur le fondement du caractère d’ordre public de la disposition de l’article L. 911-8, qu’aucun organisme assureur ne pouvait contractuellement y déroger et qui avait donc conclu que l’article des conditions générales du contrat prévoyant l’exclusion de la portabilité en cas de cessation totale d’activité à la suite d’un placement en liquidation judiciaire, était réputé non écrit [5].

En synthèse, selon la cour d’appel de Lyon, les dispositions contractuelles permettant d’écarter la portabilité en cas de procédure de liquidation judiciaire sont illégales et le maintien de la portabilité est subordonné au fait que la demande soit effectuée avant la résiliation du contrat d’assurance. Par ailleurs, la cour considère que la portabilité n’est pas conditionnée par le paiement des cotisations d’assurance par l’employeur ou par l’existence d’un dispositif de financement.

B. La décision de la Cour de cassation

L’assureur a formé un pourvoi en cassation faisant valoir que la cour d’appel aurait dû vérifier, « comme elle y était invitée », s’il existait un dispositif assurant le financement du maintien de la couverture santé souscrite par la société dans la mesure où, selon lui, « le financement du dispositif de portabilité reposait sur un système de mutualisation pesant sur l’employeur et les salariés demeurant dans l’entreprise, et non sur l’assureur, qui ne pouvait s’appliquer en cas de liquidation judiciaire de l’employeur ».

Pour rejeter le pourvoi de la société d’assurance, la Haute juridiction a d’abord rappelé que les dispositions de l’article L. 911-8 qui revêtent un caractère d’ordre public :

  • « n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire » ;
  • « et ne prévoient aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance ».

La Cour de cassation s’est ensuite retranchée derrière la décision de la cour d’appel sur trois points :

  • le contrat en cause n’était pas résilié ;
  • l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale n’institue pas une exclusion du dispositif des salariés licenciés par suite d’une liquidation judiciaire de leur ancien employeur ;
  • le financement de la portabilité n’est pas un critère ou une condition d’application du dispositif.

Selon la Cour de cassation, les motifs de la décision de la cour d’appel de Lyon suffisaient à justifier sa décision et la cour d’appel n’avait donc pas à rechercher, comme le prétendait à tort l’assureur dans son moyen, s’il existait un dispositif assurant le financement du maintien de la couverture santé souscrite par la société.

V. Une position conforme à des avis rendus en 2017

Dans cinq avis rendus le 6 novembre 2017, la Cour de cassation avait subordonné l’application de la portabilité aux anciens salariés d’une société placée en liquidation judiciaire à la seule condition que le contrat d’assurance liant l’employeur à l’organisme assureur n’ait pas été résilié [6].

Puis, dans un arrêt du 18 janvier 2018, la Cour a semblé ajouter une condition à celle posée dans ces avis en approuvant un juge des référés d’avoir refusé d’ordonner à un organisme assureur de maintenir des garanties de prévoyance aux anciens salariés d’une entreprise en liquidation judiciaire au motif qu’il n’y avait pas lieu à référé. Elle a en effet jugé que la contestation de l’assureur revêtait un caractère sérieux, du fait de l’absence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise, de nature à constituer un obstacle au maintien des garanties au profit d’un salarié licencié [7].

On aurait pu y voir une évolution de la position de la Haute cour. Toutefois, force est d’admettre qu’il ne s’agissait que d’un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure de référé qui n’avait donc pas pour objet de traiter le fond du problème. 

Dans son arrêt du 5 novembre 2020, la Cour de cassation prend finalement une position conforme aux avis rendus en 2017 : dès lors qu’il existe un contrat de complémentaire santé et de prévoyance au jour où le licenciement du salarié est intervenu, ce salarié peut prétendre au maintien « à titre gratuit » de ces couvertures. Les organismes assureurs ne peuvent pas lui refuser ces garanties du seul fait de l’inexistence d’un dispositif de financement spécifique à la situation de l’entreprise en liquidation judiciaire. Le seul cas d’exclusion possible est celui prévu par la loi, celui du licenciement pour faute lourde.

VI. Une décision contraire à la lettre du texte mettant l’obligation de portabilité à la charge de l’employeur et non de l’organisme assureur

L’opération d’assurance collective implique dans tous les cas une relation juridique triangulaire entre :

  • l’employeur qui souscrit un contrat d’assurance de groupe ou adhère à une mutuelle ou au règlement d’une institution de prévoyance ;
  • l’organisme assureur ;
  • les salariés assurés.

Il en résulte que :

  • par principe, les clauses du contrat d’assurance qui ne lient que l’entreprise souscriptrice et l’organisme assureur, sont en elles-mêmes inopposables aux salariés et inopposables par les salariés ;
  • les salariés peuvent se prévaloir à l’encontre de leur employeur de la norme collective instituant le régime de protection sociale complémentaire au sein de leur entreprise (décision unilatérale de l’employeur, accord collectif ou référendaire). Cet acte de droit du travail s’applique entre l’employeur et ses salariés ;
  • cette norme de droit du travail instituant le régime de prévoyance ou de frais de santé est inopposable à l’organisme assureur auprès duquel le contrat d’assurance garantissant le régime est souscrit. De la même manière, l’organisme assureur qui n’est pas partie à cet acte de droit du travail, ne peut pas l’opposer aux salariés. Seule la notice d’information rédigée par lui et remise aux salariés par l’employeur peut être opposée aux salariés par l’organisme assureur.

Toute dissymétrie entre la norme de droit du travail et le contrat d’assurance est donc directement supportée par l’employeur.

Or, la portabilité est une garantie collective dont l’employeur est l’unique débiteur. On rappellera en effet que l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale est issu d’une convention collective, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 (N° Lexbase : L1048IWQ), et que la loi de 2013 n’est intervenue que dans le but d’élargir le champ d’application professionnel de cette convention qui n’était pas applicable aux entreprises non représentées par les organisations patronales signataires. C’est donc une norme travailliste qui ne lie que l’employeur à ses salariés, à l’exclusion de l’organisme assureur auprès duquel le contrat d’assurance collective est souscrit.

Elle se distingue en ce sens de l’obligation de maintien des garanties de frais santé instituée par l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 (N° Lexbase : L5011E4D), dite « loi Evin », mise à la charge exclusive de l’organisme assureur.

Dans son arrêt du 5 novembre 2020, en validant la décision de la cour d’appel ayant ordonné à l’organisme assureur d’assurer la portabilité sur le fondement d’une norme de droit du travail, la Cour de cassation fait peser le maintien « L. 911-8 » des garanties sur le mauvais débiteur et fait donc fi de la relation juridique triangulaire caractéristique de la protection sociale complémentaire. Aucune clause du contrat d’assurance n’aurait dû pouvoir être réputée non écrite sur le fondement de cet article qui ne lie pas l’organisme assureur.

VII. Une décision contraire à l’économie de la portabilité qui est un système par répartition et non par capitalisation

Nous l’avons vu, la portabilité n’est pas un maintien « gratuit ». Elle repose sur un système de mutualisation du risque : les salariés actifs et l’employeur cotisent auprès de l’organisme assureur. Les anciens salariés « portés » quant à eux, ne paient plus aucune cotisation.

La portabilité n’est donc pas un système par capitalisation où le salarié acquiert des droits mais un dispositif par répartition qui implique qu’en cas de disparition du groupe des salariés actifs, la seule source de financement du maintien des garanties des anciens salariés disparaît.

Dans une telle hypothèse, il serait donc logique qu’une surprime ou « prime unique » doive être versée par l’entreprise à l’organisme assureur afin que le maintien des droits puisse être mis en œuvre. À défaut, l’organisme assureur serait légitime à ne pas assurer la portabilité.

C’est ce même système par répartition qui est institué pour la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO : les cotisations des actifs financent les droits des retraités. Or, lorsqu’une entreprise décide de réduire les cotisations acquittées tout en maintenant les droits des actifs et des retraités, elle doit s’acquitter d’une soulte.

Le ministère des Solidarités et de la Santé dans sa réponse ministérielle publiée le 14 avril 2020 avait d’ailleurs précisé, en s’appuyant sur l’arrêt de la Cour de cassation de 2018 précité, que :

« Le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur :

- ne soit pas résilié ;

- ou qu’il prévoit un dispositif de financement de la portabilité en cas de liquidation judiciaire. En effet, l’absence d’un dispositif assurant le financement d’un maintien des couvertures santé et prévoyance lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire est de nature à constituer un obstacle au maintien à titre gratuit des garanties collectives au profit d’un salarié licencié en raison de la liquidation judiciaire de son employeur ».

VIII. Quelles solutions pour les organismes assureurs ?

1. Organiser le financement de la portabilité en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise souscriptrice

Plusieurs possibilités sont envisageables :

  • anticiper le coût d’un éventuel placement de l’entreprise en liquidation judiciaire et le faire financer par l’employeur et les salariés dès la souscription du contrat. Le surcoût y afférent serait donc variable selon la taille de l’entreprise, son secteur d’activité, les garanties souscrites, etc. Mais alors ce surcoût pourrait être très conséquent pour les entreprises présentant des risques économiques importants. Le rapport « Libault » déconseillait à l’époque de retenir cette solution [8] ;
  • prévoir contractuellement une « surprime » à payer en cas de diminution significative des effectifs, que cela soit dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi ou dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire. La question qu’il est toutefois permis de se poser est de savoir si de telles clauses ne pourraient pas être jugées réputées non écrites par les juges…
  • négocier avec le liquidateur un financement de la portabilité : jusqu’à présent lorsque l’assureur faisait valoir qu’aucun financement n’avait été anticipé pour les cas de liquidation judiciaire, le maintien des garanties pour les anciens salariés dont l’entreprise était en procédure de liquidation pouvait être accordé en contrepartie d’une cotisation négociée en fonction du nombre de salariés concernés, de leur faculté à retrouver du travail, des résultats excédentaires ou non du régime, etc., dont s’acquittait le liquidateur judiciaire auprès de l’assureur. Reste à savoir si les liquidateurs vont continuer cette pratique à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de cassation…

2. Résilier le contrat d’assurance

Avant le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire : la résiliation pour non-paiement des primes peut intervenir dès lors que la lettre de mise en demeure pour non-paiement ainsi que l’échéance fixée par la lettre à compter de laquelle le contrat est résilié sont intervenues antérieurement au jugement d’ouverture.

Pendant la procédure de liquidation judiciaire : en contrepartie de la prérogative accordée au liquidateur judiciaire d’exiger l’exécution des contrats en cours, ce dernier doit s’assurer de disposer des fonds nécessaires pour assurer le paiement en résultant. Le contrat en cours est alors résilié :

  • de plein droit après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat, restée plus d’un mois sans réponse ;
  • à défaut de paiement des primes dues à compter du jugement d’ouverture lorsque le liquidateur s’est prononcé sur le maintien du contrat. Dans ce cas, la procédure classique de résiliation du contrat d’assurance pour défaut de paiement des primes doit être enclenchée par les assureurs [9]

Naturellement, cette résiliation pour défaut de paiement ne pourra être engagée que si une clause du contrat d’assurance souscrit par l’entreprise en liquidation judiciaire a prévu un financement spécifique dans ce cas (surprime en cas de baisse importante des effectifs par exemple). L’absence de salariés dans l’entreprise et donc l’absence de cotisations ne saurait être considérée en tant que tel comme un « défaut de paiement ».

À l’échéance : n’oublions pas que, même en cas de liquidation judiciaire, le contrat d’assurance n’en reste pas moins un contrat annuel dont le terme ne saurait être modifié par le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. Dès lors, l’assureur a la possibilité de résilier le contrat à son échéance (généralement au 31 décembre) en respectant un préavis de deux mois. Cette résiliation met alors un terme à la portabilité en cours.

IX. Quelles garanties pour les anciens salariés au-delà de la portabilité ?

En application des dispositions de l’article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, dite « loi Evin », l’assureur devra proposer aux anciens salariés bénéficiaires d’un revenu de remplacement, en contrepartie d’une cotisation à leur charge exclusive, le maintien de la couverture des « frais de santé » à titre individuel, dans les deux mois suivant la cessation de leur contrat de travail ou de leur droit à portabilité.

En effet, à la différence de la portabilité, cette obligation pèse bien sur l’organisme assureur et non sur l’employeur. Dès lors, la liquidation judiciaire, procédure qui n’entache que la situation juridique de l’employeur, n’a aucune incidence sur l’obligation de l’organisme assureur de maintenir les garanties au titre de la loi « Evin ».

En matière de prévoyance « lourde », lorsque l’entreprise aura souscrit un ou plusieurs contrats comportant la couverture des risques décès, invalidité, incapacité et invalidité, l’organisme assureur devra maintenir la garantie décès aux salariés en état d’incapacité ou d’invalidité à la date de la rupture du contrat de travail ou de la résiliation du contrat d’assurance, conformément à l’article 7-1 de la loi « Evin » précitée.

X. À quand l’intervention du législateur ?

Dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021, plusieurs amendements ont soulevé la question de la portabilité des garanties « santé » en cas de faillite d’entreprises. Les députés ont notamment :

  • proposé la création d’un fonds de réserve abondé par une partie des recettes de la nouvelle « taxe covid », servant à garantir le financement du dispositif ;
  • demandé un rapport au Gouvernement portant notamment sur des préconisations pour garantir la continuité de la couverture de salariés licenciés pour cause de faillite.

Mais ces amendements ont tous été rejetés. 

La promesse du législateur faite en 2013 [10] de la remise d’un « rapport sur les modalités de prise en charge du maintien des couvertures santé et prévoyance pour les salariés lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire » notamment via la création d’un « fonds de mutualisation » n’est toujours pas tenue…

En conclusion si le législateur semble conscient que le financement de la portabilité des anciens salariés d’une entreprise en liquidation judiciaire doit être encadré, la Cour de cassation n’a pas attendu pour trancher en la faveur des anciens salariés, quitte à en faire payer le prix à l’organisme assureur.

Il est donc urgent que le législateur intervienne, à défaut de quoi les organismes assureurs seront les payeurs de l’obligation des employeurs de maintien des droits « santé » et « prévoyance » alors même qu’il existe un risque accru de faillites d’entreprises à la suite de la crise sanitaire… À n’en pas douter cet élément sera pris en compte dans la cotation des régimes de protection sociale complémentaire !

 

[1] L. Viel et G. Perrin, Protection sociale complémentaire : la portabilité sous tension, L’argus de l’assurance, 4 novembre 2020.

[2] L’OCDE estime en effet à 15 % le nombre d’entreprises qui pourraient faire faillite dans le contexte de la crise induite par la pandémie de la covid-19.

[3] Loi n° 2013-504, du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU).

[4] CA Lyon, 21 mars 2017, n° 15/08943 (N° Lexbase : A5354UEZ).

[5] CA Colmar, 25 septembre 2019, n° 16/05113 (N° Lexbase : A6766ZPB).

[6] Cass. avis, 6 novembre 2017, n° 17013 (N° Lexbase : A8557WYL), n° 17014 (N° Lexbase : A8558WYM), n° 17015 (N° Lexbase : A8559WYN), n° 17016 (N° Lexbase : A8560WYP) et n° 17017 (N° Lexbase : A8561WYQ).

[7] Cass. civ. 2, 18 janvier 2018, n° 16-27.332, F-D (N° Lexbase : A8881XA8).

[8] D. Libault, Rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective, septembre 2015 [en ligne].

[9] Dans un arrêt du 15 novembre 2016 (Cass. com., 15 novembre 2016, n° 14-27.045, FS-P+B+I N° Lexbase : A2464SI4), la Cour de cassation a jugé que la procédure classique de résiliation d’un contrat d’assurance pour non-paiement des primes doit être respectée par l’assureur lorsque le liquidateur judiciaire ne paie pas les cotisations, nonobstant les dispositions du Code de commerce qui prévoient, de manière générale, la résiliation de plein droit en cas de défaut de paiement.

[10] Loi n° 2013-540, du 14 juin 2013, de sécurisation de l’emploi, art. 4.

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