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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
L'affaire pourrait relever de l'anecdote passéiste, si elle ne révélait pas, une fois encore, la nécessité de faire feu de tout bois contre l'extrémisme rampant, où qu'il puisse se loger, quand bien même revêtirait-il les armes d'une stèle au beau milieu d'un cimetière de Marignane.
Par un arrêt des plus cinglants, en date du 14 novembre 2011, le Conseil d'Etat rappelle à tous et, notamment, aux premiers magistrats municipaux, qu'une stèle manifestant une prise de position politique, en l'espèce en faveur de "l'Algérie française", n'a pas sa place dans un cimetière communal. Ce faisant, le Haut conseil confirme la position tant du juge du tribunal administratif de Marseille, du 7 juillet 2008, que celle de la cour administrative d'appel, du 23 avril 2010. Cette stèle ne constituait pas un simple monument commémoratif à la mémoire de personnes défuntes, mais manifestait une prise de position politique et procédait à l'apologie de faits criminels. En délivrant, par l'arrêté du 23 juin 2005, l'autorisation d'occuper pendant quinze ans un emplacement dans le cimetière en vue d'y installer cette stèle, le maire de Marignane, de l'époque, a autorisé l'occupation du domaine public communal pour un usage qui, d'une part, n'était pas compatible avec la destination normale d'un cimetière et, d'autre part, était de nature à entraîner des troubles à l'ordre public. Et, le Conseil d'Etat d'enfoncer le clou : "cette stèle [dédiée aux 'combattants tombés pour que vive l'Algérie Française'] comportait les dates d'exécution des auteurs de plusieurs assassinats ou tentatives d'assassinats, ne constituait pas un simple monument commémoratif à la mémoire de personnes défuntes mais manifestait une prise de position politique et procédait à l'apologie de faits criminels".
On sait, depuis 1889, et le monument en l'honneur des morts de la guerre de 1870 édifié à Vic-en-Bigorre, suivi par tant d'autres en commémoration de ceux tombés durant la Guerre franco-prussienne, que l'édification d'une stèle commémorative revêt nécessairement un rôle politique, en dehors du respect et du souvenir entretenus par les générations postérieures à l'adresse de celles qui ont combattu pour la liberté de la Nation. Il peut difficilement en être, autrement, la stèle dut-elle être édifiée au sein d'un cimetière, lieu pourtant de neutralité, comme le rappelle au bon souvenir de nos maires, chargés de la police funéraire, la loi du 14 novembre 1881, sur la liberté des funérailles. Et, si l'article R. 2223-8 du Code général des collectivités territoriales commande qu'"aucune inscription ne peut être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à l'approbation du maire", l'article L. 2223-12 du même code dispose que "tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d'un parent ou d'un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture". On comprend, dès lors, l'origine (juridique) du contentieux, d'autant que le maire en question n'avait pas, de par sa sensibilité politique sans doute, perçu le trouble que pouvait susciter une inscription glorifiant, même indirectement, plusieurs assassinats (entre 1 700 et 12 500 personnes, selon les historiens), attentats et exactions, un putsch, jusqu'à l'attentat du "Petit Clamart" du 22 août 1962, visant le Général de Gaulle et son épouse. Et, ce ne sont pas l'amnistie et la libération des prisonniers membres de l'Organisation armée secrète, par le Général Président, après son entretien avec le Général Massu, à Baden Baden, en mai 1968, qui réhabiliteraient en quoique ce soit les membres actifs de cette organisation terroriste clandestine.
Reste que le concept d'"Algérie française" est un concept fort ambigu qui, aujourd'hui, s'il revêt une connotation colonialiste "jusqu'au-boutiste", fut, également, le rêve d'une gloire militaire et républicaine. Département français, bien avant le comtat de Nice et la Savoie, l'indivisibilité du territoire national, au lendemain de la Seconde guerre mondiale et de la débâcle indochinoise, pressait Pierre Mendès-France, Président du conseil et artisan de la paix, à clamer dans l'hémicycle, à la suite des attentats de la "Toussaint rouge", en 1954 : "L'Algérie, c'est la France !". C'est dire que le sacrifice des Français, aussi bien ceux morts pour la défense d'une idée d'un autre temps, l'unité territoriale, que ceux morts pour une idée nouvelle, devenue universelle, le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ", est un sacrifice expiatoire du colonialisme, dont la France peine encore à se remettre. Au même titre que la Collaboration connaît ses derniers soubresauts dans nos prétoires, le contentieux sur fond de guerre d'Algérie ne semble pas, encore, être tari. Un cimetière de Béziers comporte en son sein une stèle avec les noms et les portraits en médaillon des quatre activistes de l'OAS condamnés à mort et exécutés pour leurs crimes, avec la mention "Pour avoir défendu l'Algérie Française".
Le Mémorial national de la Guerre d'Algérie et des Combats du Maroc et de la Tunisie, quai Branly à Paris, est le symbole de l'apaisement recherché par les autorités publiques. Une première colonne déroule, en continu, par année et par ordre alphabétique, les noms des 23 000 soldats et harkis, morts pour la France en Afrique du Nord. Une deuxième colonne passe des messages rappelant la période de la guerre d'Algérie et le souvenir de tous ceux qui ont disparu après le cessez-le-feu, et désormais, les noms des victimes civiles de la manifestation de la rue d'Isly, à Alger, le 26 mars 1962. La troisième colonne affiche le nom d'un soldat recherché parmi l'ensemble des disparus.
Que le dey d'Alger, Hussein Dey, n'a-t-il pas déclenché en "soufflant", d'un coup d'éventail, le consul général de France, Pierre Deval, venu lui rendre hommage pour la fête musulmane du baïram, ce 30 avril 1827 ? Ou peut-être doit-on, comme pour bien d'autres conflits du XXème siècle, chercher la cause lointaine de tout ce drame auprès de... Bonaparte, dont l'impayé contracté, durant la campagne d'Egypte, à l'occasion du transport d'un tonnage de blé acheté par l'Empire à un négociant d'Alger, nourrissait déjà le contentieux du "pillage" des ressources algériennes...
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