La lettre juridique n°763 du 29 novembre 2018 : Impôts locaux

[Jurisprudence] La validation partielle de l’exonération de CFE au profit des installations portuaires gérées par les collectivités publiques, une décision en trompe l’œil

Réf. : Cons. const., 21 septembre 2018, n° 2018-733 QPC (N° Lexbase : A3795X7P)

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par Ludovic Lombard, Docteur en droit à l'Université Toulouse-Capitole

le 30 Novembre 2018

Dans une décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018, le Conseil constitutionnel a été amené à valider les dispositions du 2° de l’article 1449 du Code général des impôts (N° Lexbase : L2972IG8), relatif à l’exonération de cotisation foncière dont bénéficient «les grands ports maritimes, les ports autonomes, ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics ou des sociétés d’économie mixte».

La société d’exploitation des moyens de carénage (SEMCAR), une SARL, gère les installations de carénage du port de Concarneau. A la suite d’un contrôle de l’administration fiscale, la société a été considérée comme redevable de la cotisation foncière des entreprises. Elle a donc été contrainte de verser des rappels de cet impôt. Sa réclamation ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Rennes. A cette occasion, elle a présenté une QPC, estimant que le 2° de l’article 1449 du Code général des impôts créait une inégalité devant les charges publiques. Par une ordonnance du 5 mars 2018, le tribunal administratif de Rennes a transmis la QPC au Conseil d’Etat. Ce dernier l’a renvoyée au Conseil constitutionnel par une décision du 29 juin 2018.

 

La décision du Conseil constitutionnel repose exclusivement sur le respect du principe d’égalité devant les charges publiques. De manière classique désormais, ce principe s’appuie sur deux fondements, dégagés de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Tout d’abord, il s’agit de l’article 6 (N° Lexbase : L1370A9M) qui présente l’égalité devant la loi, dont la loi fiscale. La jurisprudence constitutionnelle est bien établie sur ce principe. Elle prévoit que «le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit». Ce considérant de principe est à nouveau rappelé dans la décision commentée. Ensuite, il s’agit de l’article 13 de la DDHC ([LXB=L1360A9A]), qui porte sur l’égalité en fonction des capacités contributives du contribuable. Le Conseil rappelle, à nouveau, que «en vertu de l’article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1360A9A), il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose».

 

La décision n° 2018-733 s’inscrit donc pleinement dans la ligne jurisprudentielle du Conseil. Il n’en reste pas moins que sa décision demeure à la fois ambivalente (I) et probablement peu opportune (II).

 

 

I - Une décision ambivalente

 

Si le Conseil constitutionnel rappelle les deux fondements servant de base à sa jurisprudence en matière d’égalité devant les charges publiques, en réalité sa décision ne repose que sur l’égalité prise en son sens d’égalité devant la loi. Cela est logique dans la mesure où ne sont pas concernées les facultés contributives.

Pour examiner la validité du dispositif prévu à l’article 1449 du Code général des impôts, le Conseil suit un raisonnement qui paraît incontestable.

 

Conformément à sa jurisprudence, il détermine d’abord l’existence d’un intérêt général justifiant la rupture d’égalité devant la loi. Une fois décelé, au regard des travaux préparatoires de la loi dont sont reprises les dispositions contestées, il ne lui restait plus qu’à examiner si la «la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit».

 

Dans un premier temps, donc, le Conseil décèle un intérêt général relatif à l’investissement public dans les ports. Dès lors, dans un second temps, le Conseil ne pouvait que constater que l’exonération de cotisation foncière des entreprises dont bénéficient les organismes publics est conforme à l’objectif d’intérêt général. Il est toutefois étonnant que le Conseil constitutionnel ait indiqué qu’«en excluant du bénéfice de l’exonération les sociétés, autres que les sociétés d’économie mixte, dont le capital est privé, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi». A en croire la position de principe du Conseil, la rupture de l’égalité peut être fondée sur un objectif d’intérêt général si la différence de traitement est en rapport avec l’objet de la loi. Elle peut aussi être fondée sur les capacités contributives des contribuables, à condition que les règles déterminant ces capacités reposent sur des critères objectifs et rationnels. Il est donc tout à fait étonnant que, malgré le rappel préalable de ces fondements, le Conseil crée une confusion entre eux.

 

La décision est toutefois équilibrée, en apparence. Ainsi, la découverte de l’objectif d’intérêt général relatif à l’investissement public conduit le Conseil à censurer l’exonération dont bénéficient les sociétés d’économie mixte. Toutefois, il ne les censure pas parce que les capitaux sont des capitaux privés, mais parce que des sociétés similaires, telles que les sociétés publiques locales ne bénéficient pas d’un même traitement.

 

La décision peut cependant apparaître contestable. Il est d’abord notable que le Conseil choisit d’identifier un objectif d’intérêt général. Il aurait pu opter pour la détermination de situations différentes, qui paraissait plus simple. Il aurait alors simplement considéré que les organismes publics et les organismes privés sont placés dans des situations différentes, selon un critère organique. Dans une décision du 14 novembre 2014, Société Mutuelle Saint-Christophe, le Conseil avait ainsi simplement précisé, au sujet de la taxe sur les contrats d’assurance que, «le principe d’égalité devant l’impôt et les charges publiques n’impose pas que les personnes privées soient soumises à des règles d’assujettissement à l’impôt identiques à celles qui s’appliquent aux personnes morales de droit public»[1]. Il pourrait alors implicitement avoir renoncé à ce critère, estimant donc que les entités publiques et les entités privées doivent être traitées de manière identique lorsqu’elles exercent une même activité. Le Conseil constitutionnel tente alors de déceler un objectif d’intérêt général, puisque les entités ne peuvent être placées dans des situations différentes d’après leur nature publique ou privée. Il découvre cet intérêt général dans la volonté de favoriser l’investissement public. Pourtant, le Conseil ne justifie pas en quoi cet intérêt est un intérêt général et il réintroduit, en la légitimant, la distinction fondée sur un critère organique. Cela dit, le critère ne dépend plus d’une différence absolue de situation, mais simplement d’une différenciation contingente.

 

La décision du Conseil constitutionnel apparaît difficilement lisible et discutable. Elle montre, par ailleurs, une opportunité ratée pour faire prévaloir une norme nationale face au risque de requalification de la mesure fiscale en aide d’Etat.

 

 

 

II - Une décision opportune ?

 

Il convient de rappeler que les mesures fiscales favorables peuvent être qualifiées d’aide d’Etat par la commission européenne. L’article 107 du Traité (N° Lexbase : L2404IPQ) stipule en effet que «sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions». Or, la communication relative aux aides d’Etat de la Commission européenne précise que «le fait de renoncer à des recettes d'Etat suffit. La renonciation à des recettes qui auraient normalement été versées à l'Etat constitue un transfert de ressources d'Etat. Par exemple, un "manque à gagner" en matière de recettes fiscales et de sécurité sociale qui résulterait d'exonérations ou de réductions d'impôts ou de charges sociales accordées par l'Etat membre, […] satisfait à l'exigence relative aux ressources d'Etat énoncée à l'article 107, paragraphe 1, du traité»[2]. Cette solution est classiquement dégagée, d’ailleurs par la Cour de justice[3].

 

Par ailleurs, il est notable que l’article 107 vise les faveurs accordées aux entreprises. Or, la Cour de justice définit l’entreprise en fonction de l’activité économique exercée et non d’un point de vue organique[4].

 

Dès lors, il apparaît que l’exonération de cotisation foncière des entreprises dont bénéficient certains ports, gérés par des collectivités publiques, pourrait être qualifiée d’aides d’Etat. D’ailleurs, les ports maritimes ont récemment subi une telle reconnaissance d’aides d’Etat pour des exonérations d’impôt sur les sociétés dont ils bénéficiaient. Dans une décision du 27 juillet 2017[5], la Commission européenne a ainsi «demandé à la Belgique et à la France de mettre fin aux exemptions de l’impôt sur les sociétés accordées à leurs ports, de manière à aligner leurs régimes fiscaux sur les règles de l’UE en matière d’aides d’Etat». En effet, pour elle, «les bénéfices des opérateurs portuaires doivent être taxés selon les lois nationales normales relatives à l’impôt sur les sociétés afin d’éviter les distorsions de concurrence»[6].

 

Cette position des institutions de l’Union européenne en concerne d’ailleurs pas seulement les impôts dits commerciaux. Dans un arrêt du 9 octobre 2014, la CJUE a ainsi précisé qu’est «susceptible de constituer une aide d’Etat, prohibée au titre de cette disposition, l’exonération de la taxe foncière d’une parcelle de terrain appartenant à l’Etat et mise à la disposition d’une entreprise dont ce dernier détient la totalité du capital et qui produit, à partir de cette parcelle, des biens et des services pouvant faire l’objet d’échanges entre les Etats membres sur des marchés ouverts à la concurrence». Etait en cause la volonté de l’Etat espagnol de faire bénéficier une entreprise publique d’une exonération de taxe foncière pour la disposition… d’un chantier naval.

 

L’exonération de cotisation foncière des entreprises ne pourra vraisemblablement pas bénéficier de l’exemption de notification ni de l’exemption de récupération de l’aide. En effet, les aides existantes avant l’entrée en vigueur du Traité de Rome bénéficie d’une procédure d’examen favorable. Or, l’exonération de cotisation foncière des entreprises, même si le Conseil constitutionnel tente de l’encrer dans l’exonération de taxe professionnelle obtenue en 1975, sera probablement perçue comme nouvelle par la commission européenne. Dès lors, les ports bénéficiaires pourraient être contraints de rembourser le montant de l’aide perçu.

 

 

La décision du Conseil semble équilibrée. Pourtant, elle apparaît critiquable sur ses fondements. Le Conseil aurait pu aller au bout d’une logique introduisant un rapprochement des modes d’exploitation public et privé des ports. De plus, elle marque une opportunité manquée par le Conseil d’anticiper une possible sanction des institutions de l’Union européenne, au regard de la règlementation en matière d’aide d’Etat.

 

 

[1] Cons. const., 14 novembre 2014, décision n° 2014-425 QPC (N° Lexbase : A0177M3X) ; note Franck Lafaille, Lexbase, éd. Fisc., n° 597, 2015.

[2] Commission européenne, Communication relative à la notion d’aides d’Etat visée à l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, n° 2016/C 262/01, 19 juillet 2016, pt. 51.

[3] Voir en ce sens, par exemple, CJCE, 15 mars 1994, aff. C-387/92 (N° Lexbase : A9488AUX), Rec. CJCE p.I-877 ; point 14.

[4] CJCE, 23 avril 1991, aff. C-41/90 (N° Lexbase : A0092AWC), conclusions Francis Geoffrey Jacobs ; Rec. CJCE p. I-1979 ; point 21 ; CJCE, 16 novembre 1995, aff. C-244/94 (N° Lexbase : A9643AUP), conclusions Giuseppe Tesauro, Rec. CJCE p.I-4013 ; point 21 ; CJCE, 18 juin 1998, aff. C-35/96 (N° Lexbase : A1741AWE), conclusions Georges Cosmas, Rec. CJCE p.I-3851 ; point 36 ; CJCE, 1er juillet 2008, aff. C-49/07 (N° Lexbase : A4101D9R), conclusions Juliane Kokott ; Rec. CJCE p. I-4863 ; point 27.

[5] Voir pour le cas français, décision de la Commission, C (2017) 5176 final, concernant le régime d’aide mis à exécution par la France-fiscalité des ports en France, 27 juillet 2017.

[6] Commission européenne, Communiqué de presse, «Aides d’Etat : la commission demande à la Belgique et à la France de mettre fin aux exemptions fiscales pour les ports», 27 juillet 2017.

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