La lettre juridique n°430 du 3 mars 2011 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] La notion de mise à disposition d'avances, de prêts ou d'acomptes consentis à l'associé par une personne interposée : critère de la disposition à titre personnel du solde débiteur d'un compte courant ouvert par un tiers

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 26 janvier 2011, n° 314000, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7464GQI)

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[Jurisprudence] La notion de mise à disposition d'avances, de prêts ou d'acomptes consentis à l'associé par une personne interposée : critère de la disposition à titre personnel du solde débiteur d'un compte courant ouvert par un tiers. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3901287-jurisprudence-la-notion-de-mise-a-disposition-davances-de-prets-ou-dacomptes-consentis-a-lassocie-pa
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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 03 Mars 2011

Le solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures d'une SA au nom d'une EURL dont l'exploitant est en même temps l'associé de la SA ne constitue pas mécaniquement pour l'associé personne physique un revenu distribué sauf pour l'administration à démontrer que ce dernier, sous couvert du compte courant de son entreprise, en a disposé personnellement, preuve qu'elle rapporte en l'espèce, l'EURL n'étant qu'une "coquille vide". Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 26 janvier 2011, vient de juger que l'administration ne peut regarder l'existence d'un solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures d'une SA au nom d'une entreprise unipersonnelle dont le contribuable est le gérant et l'unique associé, tout en étant parallèlement associé de la SA, comme de nature à établir que le montant de ce solde a constitué, pour l'intéressé, un revenu distribué au sens du a de l'article 111 du CGI (N° Lexbase : L2066HL4), qu'à la condition d'établir que l'entreprise unipersonnelle en cause n'a fait que s'interposer entre la SA et le contribuable, bénéficiaire de la distribution.

Les faits dans cette affaire sont les suivants : M. T. était gérant et unique associé de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Hardbody, et parallèlement associé de la société anonyme (SA) Gestwill. A la date du 31 décembre 1992, le compte courant ouvert au nom de l'EURL Hardbody, associée de la SA Gestwill, dans les comptes de cette société présentait un solde débiteur de 1 528 980,80 francs (233 091,62 euros). Sur le fondement des dispositions du a de l'article 111 du CGI, cette somme a été regardée par l'administration comme un revenu distribué indirectement mis à la disposition de M. T.

Le Conseil d'Etat apporte, à cette occasion, d'utiles précisions sur la notion de mise à disposition d'avances, de prêts ou d'acomptes consentis à l'associé par une personne interposée. En l'espèce, c'est l'EURL qui était titulaire du compte courant dans les écritures de la SA et non l'associé unique de l'EURL (par ailleurs associé de la SA) pris personnellement. La circonstance que les bénéfices sociaux de l'EURL soient entièrement imposables entre les mains de l'associé unique ne suffit pas à le faire regarder comme ayant personnellement disposé des avances en compte courant. En effet, il appartient à l'administration d'établir que l'EURL doit être considérée comme un simple tiers interposé entre la société distributrice et le bénéficiaire réel des distributions. Ce faisant, le Conseil d'Etat apporte une nouvelle pierre à sa construction jurisprudentielle concernant la distribution par personne interposée et prolonge notamment une jurisprudence du 20 octobre 1995 (CE 9° et 8° s-s-r., 20 octobre 1995, n° 136115, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6096AN4) à propos du solde débiteur du compte client d'une entreprise individuelle ouvert dans les écritures d'une SA au nom d'une entreprise individuelle dont l'exploitant était en même temps associé de la société.

I - Alors même que les bénéfices sociaux d'une EURL sont imposables entre les mains de l'associé unique, son patrimoine demeure distinct de celui de l'associé

Le solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures d'une SA au nom d'une EURL dont l'associé unique est en même temps associé de la SA ne constitue pas nécessairement pour l'associé unique un revenu distribué.

A - La présomption de distribution de l'article 111 du CGI ne peut ignorer la personnalité juridique de l'EURL qui possède un patrimoine distinct de celui de son associé unique

Les dispositions de l'article 111-a du CGI prévoient que sont notamment considérées comme revenus distribués, sauf preuve contraire, les sommes mises à disposition des associés, directement ou par personne interposée. Selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, à laquelle s'est ralliée la doctrine administrative, l'administration doit, avant toute imposition fondée sur l'article 111-a du CGI, établir la réalité de la mise à la disposition de l'associé des sommes litigieuses et, en cas d'interposition d'une tierce personne, que cette dernière n'est qu'une personne interposée entre l'associé et la société. Ce sont ces principes dont le Conseil d'Etat fait application dans son arrêt du 26 janvier 2011, mais dans le cas particulier où un compte courant a été ouvert au nom de l'EURL associée de la SA dans les comptes de cette société, compte courant présentant un solde débiteur d'un montant de 1 528 980,80 francs (233 091,62 euros). En l'espèce, l'associé (personne physique) était à la fois associé de la SA mais aussi associé unique de l'EURL. Toutefois, le solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures de la SA était celui de l'EURL. Or, l'entreprise unipersonnelle possédait un patrimoine distinct de celui de son associé unique. Sa personnalité juridique faisait donc écran entre la SA dont l'EURL était associée et l'associé unique de l'EURL.

Toutefois, l'administration avait regardé les sommes constitutives du solde débiteur du compte courant, comme appréhendées directement par l'associé unique de l'EURL. La qualification de revenus distribués avait été faite par le service au motif que les bénéfices sociaux d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée sont entièrement imposables entre les mains de son associé unique. Ce faisant, le service avait ignoré l'écran constitué par la personne juridique de l'EURL, dotée d'un patrimoine propre et distinct de celui de son associé. La personnalité juridique de l'EURL qui faisait écran entre la société distributrice et l'associé s'opposait donc à la qualification de revenus distribués, sauf à démontrer le caractère fictif de l'EURL interposée entre la SA distributrice et l'associé de celle-ci, par ailleurs associé unique de l'EURL.

B - Il appartient à l'administration d'établir que l'EURL est un simple tiers interposé entre la société distributrice et le bénéficiaire des distributions

Le solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures d'une SA ne constitue un revenu distribué qu'à la condition d'établir que l'entreprise unipersonnelle n'a fait que s'interposer entre la SA et le bénéficiaire réel de la distribution. Il convient donc de démontrer le caractère fictif du tiers interposé entre la SA et l'associé qui est le maître de l'affaire. Le Conseil d'Etat retient ce critère de la maîtrise d'affaire lorsque les associés sont passés outre la personnalité juridique de la société, qui est alors regardée comme étant interposée.

Ainsi, lorsque l'administration soutient que le contribuable bénéficie du solde du compte client par entreprise interposée, elle peut l'établir en démontrant, par exemple, la confusion des patrimoines de l'entreprise individuelle et de son dirigeant. Le Conseil d'Etat, sous l'arrêt du 20 octobre 1995 précité, avait déjà eu l'occasion de préciser, mais s'agissant d'une entreprise individuelle, que le solde débiteur du compte client ouvert dans les écritures d'une SA au nom d'une entreprise individuelle, dont l'exploitant est en même temps associé de la société, ne constitue pas, pour l'intéressé, un revenu distribué, sauf à l'administration de prouver que ce dernier, sous couvert du compte client de son entreprise, en a profité personnellement. Toutefois, dans ce précédent, une personne juridique n'était pas interposée entre la société distributrice et l'associé. Reste que, dans ce précédent, le Conseil d'Etat avait posé une limite à la présomption de distribution de l'article 111-a du CGI, et qu'une SA peut, en effet, être amenée à consentir un crédit fournisseur à une entreprise individuelle cliente dont l'exploitant a été associé de la société. La Haute juridiction, par un arrêt du 16 octobre 1989 (CE 7° et 9° s-s-r., 16 octobre 1989, n° 46397, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1386AQE), avait jugé qu'en l'espèce les avances consenties dans le cadre des relations professionnelles n'entraient pas dans le champ de l'article 111-a du CGI.

L'EURL, dotée d'un patrimoine distinct de celui de son associé unique, fait écran entre la SA distributrice et l'associé de la SA et de l'EURL et s'oppose à la qualification du solde débiteur du compte courant ouvert dans les écritures de la SA de revenus distribués, sauf pour le service à démontrer la nature de personne interposée de ladite société ; cette notion de "personne interposée" a alors été progressivement précisée par la jurisprudence.

II - La notion de distribution par personne interposée ne va pas sans quelques difficultés d'application et doit être maniée avec précaution

La notion de personne ou de société interposée vise à prévenir les dissimulations d'avances à des sociétés effectuées sous couvert de versements à des tiers.

A - La notion de distribution par personne interposée a été consacrée par la jurisprudence de manière large

La qualité de personne interposée a été progressivement construite par le juge. Bien que définie par la jurisprudence, de façon à prévenir utilement la tentation, à laquelle les entreprises peuvent se trouvaient exposées, de dissimuler des avantages consentis aux associés, elle ne peut être mise en oeuvre en ignorant la réalité de la personnalité juridique de la structure interposée entre une société et l'associé et impose donc à l'administration de démontrer le caractère de simple tiers interposé que recouvre la société interposée. Une jurisprudence assez fournie dont nous ne rappellerons que quelques exemples est venue préciser la notion de personne interposée.

Ainsi, les avances consenties par une société à l'épouse, même séparée de biens, de l'un des associés, ont été considérées comme des sommes mises à la disposition de ce dernier par personne interposée, dès lors que la bénéficiaire vivait avec son mari (CE 9° s-s, 13 juillet 1962, n° 53164). Le Conseil d'Etat a aussi jugé, dans un arrêt du 10 mai 1989 (CE 8° et 9° s-s-r., 10 mai 1989, n° 38546, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1117AQG), que la situation débitrice du compte courant devait être regardée comme correspondant à des sommes mises à la disposition de l'associé, directement ou par personne interposée, au sens des dispositions de l'article 111 du CGI, sauf preuve contraire, qui n'était pas apportée en l'espèce.

Cette même qualité de personne interposée a parfois été refusée par le juge. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que le service des impôts ne peut regarder comme des revenus distribués au profit d'un contribuable associé d'une SA, la somme résultant de la compensation entre le solde débiteur du compte client de son entreprise individuelle dans les écritures de la SA et le solde créditeur de son compte courant d'associé de celle-ci, que s'il est établit par l'administration que le contribuable a bénéficié personnellement des sommes en cause (CE 7° et 8° s-s-r., 7 janvier 1985, n° 42202, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2906AML confirmé par CE 7° et 9° s-s-r., 24 juillet 1987, n° 64092, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2961APD).

B - L'interposition par personne ou par société ne doit être admise que lorsque la fraude est établie

En l'espèce, dans l'arrêt commenté du Conseil d'Etat du 26 janvier 2011, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de ce que l'EURL était un simple tiers, interposé entre la SA et l'associé personne physique. Il est vrai qu'en l'espèce la solution ne faisait guère de doute : l'administration soutenait, sans être sérieusement contredite, que l'EURL Hardbody n'avait aucune activité et n'avait jamais déposé de déclaration de TVA. Elle n'avait pas non plus établi de bilan au cours de son existence. L'EURL était donc une coquille vide et la personne juridique interposée était fictive.

Certes, l'associé soutenait que la référence au compte 455 procédait en l'espèce d'une erreur comptable et que le compte courant d'associé en cause était utilisé pour centraliser les écritures d'achats et de ventes, ainsi que les règlements, encaissements et avances entre deux sociétés, sans qu'aucun avantage n'ait été consenti à l'associé en propre. Mais s'il est exact que les relations consenties dans le cadre de relations professionnelles n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 111-a du CGI, l'associé ne produisait, en l'espèce, à l'appui de cette allégation, aucun élément de preuve. Il convenait donc de regarder la SA comme ayant mis, sous couvert de relations professionnelles, par le biais de l'EURL, les sommes placées en compte courant à la disposition personnelle de l'associé unique de l'EURL.

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