La lettre juridique n°426 du 3 février 2011 : Collectivités territoriales

[Questions à...] Le maire et les propriétaires indélicats - Questions à Arnaud Le Gall, avocat spécialiste en droit public au barreau de Caen et Maître de conférences à l'Université de Caen

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[Questions à...] Le maire et les propriétaires indélicats - Questions à Arnaud Le Gall, avocat spécialiste en droit public au barreau de Caen et Maître de conférences à l'Université de Caen. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3570489-questions-a-le-maire-et-les-proprietaires-indelicats-bquestions-a-arnaud-le-gall-avocat-specialiste
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 10 Mars 2011

Il arrive fréquemment que les maires se retrouvent dans des situations difficiles du fait de propriétaires qui n'entretiennent pas leur bien. La situation se complexifie encore lorsque l'identité de ces derniers n'est pas connue avec certitude où qu'il existe un doute sérieux sur la qualité de la personne qui se prévaut de ce titre. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le maire, s'il n'est pas entièrement désarmé devant ces situations, n'est pas, pour autant, en mesure de faire cesser tous les troubles qui peuvent apparaître. Le respect du droit de propriété s'impose, en effet, aux collectivités territoriales. Cette contrainte est absolument nécessaire, on ne peut qu'en convenir, mais on comprendra également, surtout lorsque le propriétaire n'est pas identifié, qu'on puisse s'agacer devant l'impuissance de l'exécutif communal, souvent d'ailleurs mal ressentie par les victimes des nuisances. Pour faire le point sur cette problématique, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Arnaud Le Gall, avocat spécialiste en droit public au barreau de Caen et Maître de conférences à l'Université de Caen. Lexbase : Dans quels cas le pouvoir de police administrative générale du maire lui permet-il d'intervenir ?

Arnaud Le Gall : Le maire peut intervenir en cas d'urgence pour faire cesser les troubles. Cette intervention doit avoir pour finalité d'assurer un des objectifs prévus à l'article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3470ICI), à savoir le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. L'article L. 2212-4 de ce code (N° Lexbase : L8694AAA) s'applique, en effet, en cas de danger grave ou imminent. Par ailleurs, le Conseil d'Etat admet l'intervention du maire sur le fondement de ses pouvoirs de police administrative générale, quelle que soit la cause du danger, en présence d'une situation d'extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent (CE 4° et 5° s-s-r., 10 octobre 2005, n° 259205, Commune de Badinières N° Lexbase : A0028DLM) (1). Néanmoins, il convient d'insister sur cette condition d'urgence : les pouvoirs de police prévus à l'article L. 2212-2 sont insuffisants pour permettre au maire de faire cesser une situation latente ne présentant pas de danger immédiat mais dont les conséquences sont susceptibles d'occasionner des gênes, voire des préjudices manifestes.

Les possibilités d'intervention du maire au titre de ses pouvoirs de police administratives sont donc un peu paradoxales. Elles sont finalement très importantes au vu des décisions qu'il peut prendre dans l'urgence. En revanche, elles sont partiellement contradictoires avec l'un des aspects essentiels du pouvoir de police du maire qui recouvre, en effet, une dimension importante de prévention des troubles. L'élu se trouve donc parfois encombré par des pouvoirs qu'il peut mettre en oeuvre uniquement dans des situations que, précisément, il cherche à éviter, et que ses pouvoirs de police ne peuvent empêcher.

Lexbase : Quelles sont les dispositions législatives qui encadrent cette intervention ?

Arnaud Le Gall : On peut recenser, sans prétendre à l'exhaustivité, plusieurs dispositions législatives qui permettent à l'exécutif communal d'intervenir sur des propriétés privées en cas de carence de la part des propriétaires.

- Les articles L. 2213-30 (N° Lexbase : L8716AA3) et L. 2213-31 (N° Lexbase : L8717AA4) du Code général des collectivités territoriales permettent au maire de combattre la présence de mares ou de plan d'eau susceptibles de porter atteinte à la salubrité publique. Toutefois, le maire ne dispose pas de pouvoirs directs : dans les deux cas (les mares communales, d'un côté, et les plans d'eau et fossés à eaux stagnantes situés sur les terrains privés, de l'autre), les dispositions de ce code lui permettent seulement d'actionner le préfet qui, seul, et après enquête publique ou mise en demeure du propriétaire, peut ordonner les travaux nécessaires ou la suppression de la mare.

- La procédure d'abandon manifeste d'une parcelle est prévue aux articles L. 2243-1 (N° Lexbase : L2087G98) à L. 2243-4 du Code général des collectivités territoriales. Elle permet à la commune d'exproprier des immeubles manifestement non entretenus. Cette procédure présente, cependant, deux lacunes. D'une part, elle ne concerne que les parcelles situées à l'intérieur du périmètre d'agglomération d'une commune ce qui exclut, pour les communes rurales, une part essentielle de leur territoire. D'autre part, il s'agit d'une véritable expropriation avec toute la lourdeur et tous les coûts qu'implique cette procédure. On rappellera, en particulier, que l'acquisition forcée de l'immeuble doit avoir pour objectif, soit la construction de logements, soit tout objet d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement. Il convient, enfin, de souligner qu'il ne s'agit pas d'une procédure destinée à faire face à un péril (CE 4° et 5° s-s-r., 11 mai 2007, n° 284681, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1246DW3). Elle est donc d'application limitée.

- Les dispositions de l'article L. 151-36 du Code rural (N° Lexbase : L4023HWW) permettent aux collectivités de faire procéder à des travaux nombreux tels que ceux relatifs au curage des fossés ou au débroussaillement, mais ces travaux doivent s'inscrire dans un programme et sont, en principe, pris en charge par les personnes publiques en question. Les personnes privées concernées peuvent être appelées à contribuer au coût de ces travaux, mais elles peuvent, également, exiger l'acquisition de leur bien immobilier par la personne publique, si le montant de la participation aux travaux qui leur est demandé dépasse le tiers de la valeur du bien.

- L'article L. 322-1 du Code forestier (N° Lexbase : L9351AE3) permet au préfet, indépendamment des pouvoirs du maire, d'édicter toutes les mesures nécessaires pour prévenir et lutter contre les feux de forêt. A ce titre, il peut, notamment en cas de carence des propriétaires, faire procéder à des travaux de débroussaillage sur une distance maximale de 50 mètres autour des habitations. Toutefois, cette possibilité est réservée aux zones particulièrement exposées aux feux de forêt. Elle n'est donc pas d'application générale. Cet article permet aussi au préfet de faire procéder d'office à des travaux de nettoyage après une coupe de bois.

- L'article L. 2213-25 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8711AAU) permet, enfin, au maire, en cas d'inaction du propriétaire mis en demeure, de faire procéder d'office à certains travaux dans une perspective de protection de l'environnement. Cet article dispose que "faute pour le propriétaire ou ses ayants droit d'entretenir un terrain non bâti situé à l'intérieur d'une zone d'habitation ou à une distance maximum de 50 mètres des habitations, dépendances, chantiers, ateliers ou usines lui appartenant, le maire peut, pour des motifs d'environnement, lui notifier par arrêté l'obligation d'exécuter, à ses frais, les travaux de remise en état de ce terrain après mise en demeure. Si, au jour indiqué par l'arrêté de mise en demeure, les travaux de remise en état du terrain prescrits n'ont pas été effectués, le maire peut faire procéder d'office à leur exécution aux frais du propriétaire ou de ses ayants droit. Si le propriétaire ou, en cas d'indivision, un ou plusieurs des indivisaires n'ont pu être identifiés, la notification les concernant est valablement faite à la mairie. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article".

Chargé de l'élaboration de ce décret, le ministère de l'Ecologie, à l'occasion de plusieurs réponses à des questions parlementaires (QE n° 9678 de M. Vachet Léon, JOAN du 23 décembre 2002, p. 5076, réponse publ. 14 avril 2003, p. 2950, 12ème législature N° Lexbase : L3451IPI), a fait valoir les difficultés rencontrées quant à la définition des notions de "terrain non bâti" et de "motifs d'environnement", ainsi que le souci du respect de la propriété privée et de l'articulation avec d'autres dispositifs juridiques. Toutefois, le Conseil d'Etat a considéré que ce pouvoir de police du maire est applicable même sans décret d'application (CE 4° et 5° s-s-r., 11 mai 2007, n° 284681, précité). Le juge administratif a, également, apporté quelques précisions sur le contenu de l'expression "motifs d'environnement" : il a, ainsi, été jugé qu'une végétation abondante et vigoureuse, ainsi que la présence d'engins de chantier détériorés et abandonnés depuis de nombreuses années sur des parcelles pouvaient être considérés comme un motif d'environnement au sens de l'article L. 2213-25 précité (CAA Nancy, 1ère ch., 17 janvier 2008, n° 06NC01005 N° Lexbase : A1400D4M). Cet article demeure, cependant, insuffisant pour permettre à l'exécutif communal d'agir pour le bien commun, en particulier à cause de la condition de distance posée par le texte. Une décision ne respectant pas cette condition serait, ainsi, illégale. Cette hypothèse aurait, d'ailleurs, l'inconvénient de voir le fauteur de troubles obtenir gain de cause devant le juge administratif. Ce ne serait pas la première fois.

Lexbase : Que se passe-t-il en cas d'impossibilité d'identifier le propriétaire ?

Arnaud Le Gall : En dehors des hypothèses qui viennent d'être rappelées, et dont certaines prévoient ce cas de figure, on se trouve dans le vide juridique le plus total. La situation est d'autant plus complexe que si, en écartant le respect du droit de propriété, on peut admettre la légitimité de l'intervention publique destinée à faire cesser le trouble (mais non sa légalité puisqu'il y a violation du droit de propriété), on met à la charge de la collectivité le coût financier de l'intervention puisqu'il sera impossible de récupérer le coût des travaux sur un propriétaire inexistant. Le propriétaire non identifié n'entamera pas d'action en justice, mais il fera tout de même supporter son incurie à la collectivité.

Lexbase : Quelle est la position du juge administratif ? A-t-il développé une jurisprudence plutôt favorable à la collectivité publique ou au respect de la propriété privée ?

Arnaud Le Gall : La jurisprudence administrative sur ce sujet est finalement assez rare. Le Conseil d'Etat a estimé qu'un maire qui a été dans l'impossibilité d'obtenir l'accord des propriétaires pour faire cesser, par un autre moyen, le danger pour la santé publique que constituait une mare, peut légalement ordonner la suppression de cette dernière (CE, 25 novembre 1958, Epoux Gauthier, Rec, p. 523). La déclaration de parcelle en l'état d'abandon n'a donné lieu qu'à une jurisprudence limitée dont on ne peut pas dire qu'elle soit favorable à l'une ou l'autre partie : le juge vérifie essentiellement si les critères légaux sont remplis sans se poser en protecteur de la propriété individuelle (voir, par exemple, CAA Nancy, 1ère ch., 22 juin 2006, n° 04NC000546 N° Lexbase : A5238DQ3).

Le Conseil d'Etat a, également, estimé que les procès-verbaux provisoires et définitifs par lesquels le maire constate l'état d'abandon manifeste d'une parcelle ne constituent que de simples mesures préparatoires à la décision éventuelle du conseil municipal de déclarer cette parcelle en l'état d'abandon manifeste et de procéder à son expropriation. Ces actes ne portent, par eux-mêmes, aucune atteinte directe au droit de propriété (CE 4° et 5° s-s-r., 18 février 2009, n° 301466, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2533ED8). Le refus du maire d'appliquer la procédure prévue à l'article L. 2213-25 du Code général des collectivités territoriales est soumis au contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation (CE 4° et 5° s-s-r., 11 mai 2007, n° 284681, précité). L'application de cette procédure conduit le juge administratif, là encore, à vérifier si les conditions posées par la loi ont été respectées par la collectivité, tout en ne s'érigeant pas en protecteur de la propriété privée (CAA Nancy, 1ère ch., 11 février 2010, n° 09NC00279 N° Lexbase : A9276GQM ; CAA Nancy, 1ère ch., 17 janvier 2008, n° 06NC001005 N° Lexbase : A1400D4M).

Il faut, en effet, rappeler que ce rôle est dévolu au juge judiciaire en cas de voie de fait. Or, l'intervention d'une personne publique sur une propriété privée est, par nature, susceptible de constituer une voie de fait. En effet, celle-ci implique la réunion de deux conditions : d'une part, l'atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, et, d'autre part, la réalisation manifestement insusceptible de se rattacher à ses pouvoirs. Dans le cas de figure qu'on évoque ici, la première condition est presque systématiquement remplie. La collectivité pallie la carence du propriétaire, non seulement en pénétrant de force sur le fond privé, mais, également, en agissant sur la cause des troubles, ce qui implique nécessairement bien plus qu'une simple violation de propriété. Et c'est aussi cet aspect de l'intervention qui risque de constituer également le second critère : il n'entre pas dans les attributions normales de l'administration de procéder, de force et en dehors des cas prévus par la loi, à des travaux quelconques sur des propriétés privées.

La voie de fait relève de la compétence des juridictions judiciaires qui ont tendance à avoir une conception relativement extensive de cette notion, même si le Tribunal des conflits censure les appréciations qu'il juge abusives. Le juge civil est, en effet, compétent pour assurer la réparation des préjudices, mais aussi pour faire cesser le trouble en adressant des injonctions à la personne publique. La voie de fait supprime toutes les questions préjudicielles, ce qui permet au juge judiciaire de se prononcer sur la légalité des décisions administratives en cause.


(1) Lire Ch. De Bernardinis, Vers une harmonisation des régimes de police administrative ? A propos de la démolition d'un immeuble menaçant ruine, Lexbase Hebdo du 18 janvier 2006 - édition publique (N° Lexbase : N3116AKM).

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