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N3068AAU
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
le 07 Octobre 2010
Voilà cependant que la question, qui paraissait entendue, semble rebondir, sous l'impulsion de la jurisprudence pour se poser en ces termes : la lésion n'est-elle pas en train d'être consacrée à travers la théorie des vices du consentement ?
Depuis en effet que, par un arrêt de sa première chambre civile en date du 30 mai 2000, la Cour de cassation, en énonçant que "la (convention) - en l'occurrence ici une transaction - peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion" (Cass. civ. 1ère, 30 mai 2000 N° Lexbase : A3653AUT, Dalloz 2000, jur., p. 879, note J.-P. Chazal, Dalloz 2001, som., p. 1140, obs. D. Mazeaud, JCP éd. G 2001, II, n° 10461, note G. Loiseau), on peut légitimement s'interroger d'autant que, fidèle à ce qui a toujours été sa position, elle se refuse à assimiler le seul état de dépendance économique à la violence (voir déjà Cass. com., 20 mai 1980 N° Lexbase : A3405AG9 ; Cass. com., 21 février 1995 N° Lexbase : A8241ABT, RTD civ. 1996, p. 391, obs. J. Mestre) pour exiger la démonstration d'une exploitation abusive par l'un des contractants de la situation de faiblesse dans laquelle les circonstances ou l'inégalité des forces ont placé l'autre. C'est en effet le sens d'un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 avril 2002 énonçant, au visa de l'article 1112 du Code civil, que "seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement".
Or, quoi qu'on en dise, cette sanction d'un déséquilibre contractuel trouvant sa source dans une contrainte fait indiscutablement penser à la lésion rattachée à la théorie des vices du consentement. C'est dire que la jurisprudence, en faisant sortir la violence économique de son "ghetto juridique" (en ce sens, voir G. Loiseau, note sous Cass. civ. 1ère, 30 mai 2000, précité), invite à un rapprochement avec les solutions retenues par le Code civil allemand (BGB, art. 138) ou suisse des obligations (art. 28) qui admettent de façon générale la rescision pour lésion en cas de disproportion évidente entre les prestations, si elle a été déterminée par l'exploitation de la gêne, de la légèreté ou de l'inexpérience de la partie lésée par l'autre. Reste à savoir s'il n'aurait pas été plus simple de revenir ouvertement sur l'interdiction de principe en droit français de sanctionner la lésion par et pour elle-même plutôt que de faire un détour par la théorie des vices du consentement... C'est un autre débat.
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