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N2368AAX
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par Elisabeth Zysberg
le 07 Octobre 2010
Le rapport de la Commission s'ouvre sur l'état des actions racistes, xénophobes ou antisémites en France. Les statistiques des actes racistes sont élaborés chaque année à partir des données enregistrées par les services de la police nationale et divisées en deux catégories : les "actions violentes" et les "menaces". Alain Bacquet, président de la CNDH, a souligné que ces statistiques fournissent un bon indicateur car elles regroupent des comportements que l'on peut qualifier de racistes ou antisémites en raison de leur contexte alors même qu'il n'existe pas, pour certains de ces actes, de qualification pénale retenant la motivation raciste.
L'année 2001 a été marquée par une relative décrue des violences racistes, même si les chiffres restent beaucoup plus élevés que la moyenne des cinq années précédentes. Par rapport au "pic vertigineux" de l'année 2000, les données de 2001 sont globalement en recul : 67 "actions violentes" (contre 149 en 2000) et 149 menaces (au lieu de 334 en 2000). La décrue concerne essentiellement les actions anti-juives, tandis que les actes racistes autres qu'antisémites continuent à augmenter. De plus, on observe, tout comme en 2000, une corrélation entre les événements internationaux et la montée des actes racistes. Ainsi, les violences en 2000 étaient liées la "deuxième Intifada" alors que les actions racistes de 2001, qui se sont multipliées au dernier trimestre, sont probablement consécutives aux événements du 11 septembre. Alain Bacquet en conclut que cette poussée d'antisémitisme a, "pour l'essentiel, un caractère conjoncturel", ce qui ne l'empêche pas de juger que cette dérive "dangereuse" de doit pas être banalisée.
Le rapport rend également compte de la statistique des condamnations pénales prononcées par les tribunaux pour des infractions à caractère raciste. Alain Bacquet constate que, comme les années précédentes, le nombre de condamnations prononcées demeure "remarquablement faible et sans aucun doute, aussi peu représentatif de la réalité du racisme en France, notamment en ce qui concerne les discriminations sanctionnées par les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal". Le rapport relève toutefois une légère augmentation des condamnations pour discrimination dans l'offre d'emploi, conséquence positive du dispositif d'alerte et de soutien aux victimes de discrimination mis en place récemment.
Il fait aussi le point sur la pratique du testing à partir du bilan dressé par dix-sept procureurs généraux, interrogés au sujet de la "nuit du testing", organisée par l'association SOS Racisme, le 17 mars 2000, auprès de 88 établissements de loisirs (bars et discothèques). Selon eux, ces pratiques recouvrent une réalité très "disparate" et souvent "peu rigoureuse" : les opérations de testing n'ont jamais été précédées d'un avis préalable aux parquets; les faits n'ont pas toujours été constatés par huissier de justice... Au total, 21 plaintes ont été déposées auprès du procureur de la République ou d'un service de police judiciaire et ont donné lieu : à des enquêtes préliminaires, toujours en cours (7 cas), à des décisions de classements sans suite après enquête (3 cas), à des informations judiciaires clôturées par une ordonnance de non-lieu (3 cas), à des décisions de poursuites après enquête (8 cas ), qui ont abouti à des condamnations dans 3 cas et à des relaxes dans 5 autres cas.
Des premières décisions rendues et sous réserve de la jurisprudence à venir des cours d'appel et de la Cour de Cassation, il est possible néanmoins de dégager plusieurs conclusions. Le rapport établit que "le simple fait, pour des personnes d'origines ethniques différentes, de se présenter à l'entrée de certains établissements de loisirs et de faire constater par huissier le comportement du portier ne saurait, en lui -même, constituer une provocation à commettre l'infraction de discrimination prévue aux articles 225-1 et 225-2 du Code pénal. La démarche susmentionnée s'apparenterait plutôt à une préconstitution de preuve pénale, (...) mais qui, employée seule, s'avère insuffisante pour démontrer la réalité de l'infraction". Pour être d 'une quelconque utilité, le testing suppose la présence d'un tiers par rapport aux plaignants, afin, sinon de constater l'infraction, du moins d'attester les faits dont il a été le témoin direct. Les décisions de condamnations se sont appuyées sur des enquêtes judiciaires vérifiant et corroborant les éléments révélés par le testing, et diligentées sous le contrôle des parquets saisis. La pratique du testing semble donc, sous ces importantes réserves, de nature à contribuer à l'administration de la preuve d'une discrimination.
L'année 2001 a également été marquée par une modification importante du dispositif juridique de lutte contre les discriminations, consécutive à l'adoption de deux directives européennes des 29 juin et 27 novembre 2000 qui visent à mettre en oeuvre l'article 13 du Traité CE. Ces deux textes prévoient notamment la mise en place de mécanismes favorables aux victimes, comme l'aménagement de la charge de la preuve. La législation française a quant à elle été complétée par la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, qui introduit de nouvelles dispositions dans le Code du travail, le Code pénal, le Code de l'action sociale, et des familles et le Code de la Sécurité sociale. Les apports les plus marquant concernent l'élargissement du champ des discriminations prohibées, l'aménagement des procédures de recours dans un sens favorable aux victimes, par le réaménagement de la charge de la preuve de la discrimination.
Par ailleurs, le rapport relève que la Commission a émis un nombre d'avis élevé (18), dont 7 à la demande du Gouvernement et 11 sur auto-saisine ; 11 d'entre eux portaient sur des thèmes nationaux et 7 sur des questions européennes ou internationales. Ainsi, la CNCDH a eu à se prononcer sur l'asile, les dispositions législatives proposées par le Gouvernement pour renforcer la lutte contre le terrorisme, l'application de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, les placements d'enfants en France, l'adaptation du droit interne au statut de la Cour pénale internationale, les questions touchant aux droits des malades et des usagers du système de santé, ainsi que l'éthique biomédicale.
Enfin, Alain Bacquet s'est dit très préoccupé, depuis le 11 septembre dernier, par les risques que la lutte contre le terrorisme peut faire courir à l'exercice des droits et libertés fondamentaux. Cette lutte doit, selon lui, être conduite dans le respect de l'Etat de droit et notamment des normes internationales relatives au droit de l'homme et au droit humanitaire. Reprenant les termes de l'avis de la CNCDH sur la situation des personnes détenues après avoir été arrêtées dans le cadre du conflit en Afghanistan, il a déclaré : "ce serait une défaite morale des démocraties si celles-ci abdiquaient leurs propres valeurs dans la lutte contre le terrorisme".
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