La lettre juridique n°376 du 17 décembre 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Alerte professionnelle : un code d'entreprise doit être conforme à la loi du 6 janvier 1978

Réf. : Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3615EPL)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

le 07 Octobre 2010

Les chartes éthiques et codes de bonne conduite se sont développés depuis quelques années. Ils sont apparus comme un outil permettant, à l'inverse du règlement intérieur dont le champ est légalement limité, de réunir en un document, selon un contenu et un degré de précision variables, les engagements et obligations respectifs de l'employeur et des salariés. Ils sont, parfois, accompagnés de la mise en place d'un dispositif d'alerte professionnelle. Ce dernier avait, en son temps, éveillé l'attention de la doctrine (1). En 2007, le législateur, s'inspirant du rapport "Antonmatéi-Vivien", a mis en place un statut protecteur du salarié, en disposant qu'aucune personne ne peut être écartée d'un recrutement, d'un stage ou d'une formation en entreprise pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, à son employeur ou aux autorités des faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans ses fonctions (C. trav., art. L. 1161-1 N° Lexbase : L0763H97). Puis en 2008, l'administration du travail s'est efforcée d'encadrer sa pratique (2). Mais il manquait une dimension contentieuse à la matière pour que son intérêt soit total. La Cour de cassation vient précisément de rendre une décision, le 8 décembre dernier, à la fois utile et intéressante, en ce que le régime de l'alerte professionnelle est apprécié à l'aune de la loi du 6 janvier 1978. En 2004, puis en 2007, la société Dassault systèmes avait élaboré, à la suite de la loi américaine "Sarbanes Oxley" (3), un code de conduite des affaires applicable dans le groupe. Ce code définissait les règles applicables à la diffusion des informations confidentielles et des informations à usage interne dont les salariés peuvent avoir connaissance dans le cadre de leur contrat de travail. Il organisait un système d'alerte professionnelle (4). La version de 2007 de ce code avait fait l'objet, le 30 mai 2007, d'un engagement de conformité à l'autorisation unique n° 2005-305 du 8 décembre 2005 (N° Lexbase : X6007ADT), prise en application de l'article 25 II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS).

Estimant que son contenu portait atteinte aux libertés fondamentales des salariés et que le dispositif d'alerte n'était pas conforme à cette autorisation unique et aurait dû faire l'objet d'une autorisation en application de l'article 25 I de la loi du 6 janvier 1978, la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT a saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de ce code de bonne conduite. La cour d'appel de Versailles, dans une décision rendue le 17 avril 2008, a déclaré licites les dispositions du code de conduite des affaires, version 2007, relatives à l'alerte professionnelle (5). D'une part, la cour d'appel estimait que ce dispositif était conforme au régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil dans sa délibération du 8 décembre 2005, dispensant les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption (art. 1). D'autre part, la cour d'appel a considéré que, dans la mesure où la déclaration du système d'alerte a été faite auprès de la Cnil, l'employeur n'était pas tenu de rappeler, dans le paragraphe concerné du code de conduite, les dix articles de la délibération du 8 décembre 2005, notamment ses articles 9 et 10 concernant l'information de la personne faisant l'objet de l'alerte professionnelle et le respect des droits d'accès et de rectification.

La Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, annule l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, sur le fondement de l'article 25 de la loi du 6 janvier 1978 et les articles 1 et 3 de la délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005 de la Cnil. Cet arrêt apporte une contribution précieuse à une meilleure compréhension juridique des chartes d'éthique (codes de conduites...) et dispositifs d'alerte professionnelle, tant restent entières les questions de leur régime juridique et des modalités du contrôle administratif de leurs clauses relatives à la discipline. L'arrêt rapporté apporte d'utiles précisions relatives aux conditions de mise en place du dispositif d'alerte professionnelle (I) et suggère une synthèse sur la question de sa mise en oeuvre (II).


Résumé

Le régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil, dans sa délibération du 8 décembre 2005, dispense les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption. Aussi, un dispositif d'alerte professionnelle ne peut avoir une autre finalité que celle définie à l'article 1er de la délibération de la Cnil du 8 décembre 2005, que les dispositions de l'article 3 n'ont pas pour objet de modifier.

Les mesures d'information prévues par la loi du 6 janvier 1978 reprises par la décision d'autorisation unique de la Cnil pour assurer la protection des droits des personnes concernées doivent être énoncées dans l'acte instituant la procédure d'alerte. Le dispositif d'alerte professionnelle de la société Dassault systèmes ne prévoyait aucune mesure d'information et de protection des personnes répondant aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et de la délibération du 8 décembre 2005 portant autorisation unique.

I - Validité de la mise en place d'une alerte professionnelle au sens de la loi du 6 janvier 1978

Les codes de conduite et chartes éthiques peuvent contenir des dispositions qui relèvent du champ légal du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-1, 3° N° Lexbase : L1837H9W), sur lequel s'exerce le contrôle de l'inspecteur du travail. Si la qualification de règlement intérieur n'est pas retenue, l'employeur n'est alors pas tenu d'en appliquer le régime juridique. Comme le relève l'administration du travail, tous les documents à visée éthique élaborés par les entreprises ne relèvent pas du régime juridique du règlement intérieur. De ce fait, l'inspection du travail n'est pas systématiquement destinataire de tels documents qui ne relèvent pas tous de la communication obligatoire fixée par l'article L. 1321-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1846H9A) (6). Aussi, l'usage d'un système d'alerte est une faculté pour le salarié : sans caractère obligatoire, le dispositif d'alerte ne relève pas, a priori, de la discipline et, par conséquent, n'entre pas dans le champ du règlement intérieur. Ces dispositifs ne font pas donc l'objet d'un contrôle administratif à ce titre.

Si la mise en place d'une alerte professionnelle ne relève pas du droit du travail (régime du règlement intérieur) ou d'un dispositif juridique propre, il ne faut pas en conclure qu'elle échappe au droit. L'alerte professionnelle se trouve, au contraire, à la croisée de différents champs juridiques : droit du travail, droit pénal des affaires, loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. Précisément, s'agissant de la loi du 6 janvier 1978, la Cnil avait, dans un premier temps, décidé que la mise en oeuvre, par un employeur, d'un dispositif destiné à organiser auprès des employés le recueil de données personnelles concernant des faits contraires aux règles de l'entreprise ou à la loi imputables à leurs collègues de travail, en ce qu'il pourrait conduire à un système organisé de délation professionnelle, ne pouvait qu'appeler une réserve de principe au regard de la loi du 6 janvier 1978 et, en particulier, de son article 1er (7). Puis, la Cnil a modifié son analyse, dans un document d'orientation du 10 novembre 2005, source de la délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005. La Commission a fixé avec précision les conditions de licéité des dispositifs d'alerte professionnelle au regard de la loi "Informatique et Libertés".

A - Régime simplifié d'autorisation unique auprès de la Cnil

  • Traitement automatisé des données

En 2005, par sa délibération n° 2005-305 du 8 décembre, la Cnil a préconisé une limitation du champ de l'alerte professionnelle dans des domaines spécifiques (financier, comptable, bancaire, lutte contre le blanchiment), a dissuadé les dénonciations anonymes (sans les interdire cependant) et a exigé une organisation spécifique pour traiter les alertes et l'information de la personne concernée dès que les preuves ont été archivées. La délibération du 8 décembre 2005 (art. 3) permet, pour des faits d'une particulière gravité (faits mettant en jeu l'intérêt vital de l'entreprise ou l'intégrité physique ou morale de ses employés), de déborder du champ du dispositif initialement prévu. Dans ces cas, l'alerte est recueillie et réorientée vers les personnes compétentes de l'entreprise.

Pour être licite, le dispositif doit avoir fait l'objet d'une déclaration ou d'une autorisation de la Cnil. Les dispositifs d'alerte, dès lors qu'ils comportent un traitement automatisé de données à caractère personnel, doivent être déclarés au titre de l'article 25, I, 4° de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. En application de la délibération du 8 décembre 2005, cette formalité s'accomplit :

- soit par une déclaration d'engagement de conformité à la décision d'autorisation unique du 8 décembre 2005. Cette formalité simplifiée s'applique aux dispositifs d'alerte mis en place dans l'entreprise en réponse à une obligation législative ou réglementaire de droit français visant à l'établissement de procédure de contrôle interne dans les domaines financiers, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption (délibération du 8 décembre 2005, art. 1er) ;

- soit après autorisation formelle de la Cnil, si le dispositif d'alerte est mis en place en l'absence d'obligation législative ou réglementaire ou établit une procédure de contrôle interne de faits portant sur d'autres domaines que financier, comptable, bancaire et de lutte contre la corruption.

  • Traitement non automatisé des données

Si le traitement de données n'est pas automatisé, il n'y a pas de formalité préalable à effectuer auprès de la Cnil. Néanmoins, le dispositif reste soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. En effet, l'article 2 de cette loi prévoit qu'elle s'applique aux traitements automatisés de données à caractère personnel, ainsi qu'aux traitements non automatisés de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans des fichiers. La même loi définit le traitement de données à caractère personnel comme toute opération ou tout ensemble d'opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé et précise que constitue un fichier tout ensemble structuré et stable de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés.

Par suite, ces dispositifs, même non automatisés, doivent être conformes aux règles fixées par la loi du 6 janvier 1978 et à celles adoptées par la Cnil dans son autorisation unique du 8 décembre 2005 : notamment, le dispositif ne doit pas être déloyal, frauduleux, ne doit pas conserver des données relatives aux origines raciales, opinions politiques, appartenance syndicale, le droit d'accès et de rectification doit être organisé, et les informations ne doivent pas être conservées au-delà de la durée "normale" d'utilisation...

En l'espèce, la cour d'appel avait admis la licéité du code de conduite des affaires de la société Dassault (version 2007), en son volet alerte professionnelle. Elle jugeait ce dispositif conforme au régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil, dispensant les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption (art. 1er). De plus, l'article 3 de cette autorisation prévoit que des faits qui ne se rapportent pas à ces domaines peuvent, toutefois, être communiqués aux personnes compétentes de l'organisme lorsque l'intérêt vital de celui ci ou l'intégrité physique ou morale de ses employés est en jeu. Bref, il ne saurait être reproché à l'employeur d'avoir étendu le dispositif d'alerte à des situations non prévues par la délibération de la Cnil et à des cas de mise en jeu de l'intérêt vital des personnes expressément prévue par cet article 3. Il ne peut donc être reproché à la société de ne pas avoir sollicité l'autorisation de la Commission.

Ce raisonnement n'est pas suivi par la Cour de cassation (arrêt rapporté), selon laquelle un dispositif d'alerte professionnelle faisant l'objet d'un engagement de conformité à l'autorisation unique ne peut avoir une autre finalité que celle définie à son article 1er (le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption), que les dispositions de l'article 3 (des faits qui ne se rapportent pas à ces domaines peuvent, toutefois, être communiqués aux personnes compétentes de l'organisme lorsque l'intérêt vital de celui ci ou l'intégrité physique ou morale de ses employés est en jeu) n'ont pas pour objet de modifier.

La question du domaine de l'alerte a attiré l'attention des auteurs du rapport "Antonmattéi-Vivien" (préc.). Dans sa délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005, la Cnil vise les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption, tout en permettant la prise en compte de faits lorsque l'intérêt vital de l'entreprise ou l'intégrité physique ou morale de ses employés est en jeu (art. 3). Un domaine trop général renforce le risque d'une utilisation abusive de l'alerte, laquelle poursuit une finalité bien déterminée de protection des intérêts de l'entreprise. Pour éviter une utilisation malveillante et un détournement de l'alerte professionnelle, le rapport "Antonmattéi-Vivien" propose de limiter l'utilisation du dispositif lorsqu'il s'agit d'actes contraires aux lois et règlements, à ceux qui mettent gravement en cause les règles de fonctionnement de la société ou de l'entreprise à laquelle appartient le déclencheur d'alerte.

B - Protection des droits de la personne

En l'espèce, pour débouter le syndicat de sa demande d'annulation du code de conduite, la cour d'appel a retenu que, dès lors que la déclaration du système d'alerte a été faite auprès de la Cnil, la société n'était pas tenue de rappeler, dans le paragraphe concerné du code de conduite des affaires, les dix articles de la délibération du 8 décembre 2005, et, notamment, ses articles 9 et 10 concernant l'information de la personne faisant l'objet de l'alerte professionnelle et le respect des droits d'accès et de rectification et qu'il suffisait de rappeler comme l'a fait la société les points principaux de cette délibération.

Là encore, la Cour de cassation prononce la censure. Les mesures d'information prévues par la loi du 6 janvier 1978 reprises par la décision d'autorisation unique de cette commission pour assurer la protection des droits des personnes concernées doivent être énoncées dans l'acte instituant la procédure d'alerte. En l'espèce, le dispositif d'alerte professionnelle de la société Dassault systèmes ne prévoyait aucune mesure d'information et de protection des personnes répondant aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et de la délibération du 8 décembre 2005, portant autorisation unique, le syndicat était donc fondé en sa demande d'annulation du code de conduite (version 2007).

II - Mise en oeuvre de l'alerte professionnelle

Lorsqu'un salarié entend mettre en oeuvre le dispositif d'alerte professionnelle, deux séries de questions se posent : d'abord, quelles sont les conséquences de la mise en oeuvre d'une alerte professionnelle sur son statut (B) ; ensuite, sur quel fondement juridique l'employeur peut mettre en place ce droit d'alerte professionnelle (A).

A - Fondement juridique

Le rapport "Antonmattéi-Vivien" avait justement souligné que, dans la majorité des situations, un support normatif unilatéral assure la mise en place et l'organisation des alertes professionnelles : le plus souvent, une charte d'éthique avec, parfois, une insertion des clauses relatives à l'alerte dans le règlement intérieur. L'introduction de tels dispositifs dans le règlement intérieur ne parait pas fondée et cette proposition rejoint celle formulée par le rapport "Antonmattéi-Vivien" : un régime spécifique doit être élaboré.

Si l'on admet que l'alerte professionnelle peut être considérée comme un dispositif permettant un contrôle de l'activité des salariés, elle relèverait des dispositions de l'article L. 2323-32, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L2810H9X), selon lequel le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés, qui impose l'information et la consultation préalable du comité d'entreprise. L'information des salariés est essentielle au bon fonctionnement de ce type de dispositif.

Si l'alerte professionnelle relève des dispositions de l'article L. 1222-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5450ACT), aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ; il est plus efficace d'indiquer cette obligation d'information dans les textes relatifs à l'alerte professionnelle.

L'alerte professionnelle, le plus souvent, aura pour support un code de bonne conduite ou une charte d'éthique, appartenant à la catégorie dite du "self-service normatif". Le droit du travail a pris acte de ces nouveaux modes de gestion : il pose des limites par le contrôle des pouvoirs de l'employeur et le respect de la personne (8). La doctrine administrative distingue les dispositions du règlement intérieur des normes tirées des chartes éthiques, des codes de bonne conduite et des dispositifs d'alerte professionnelle, qui paraissent être associés à de simples outils de communication (9).

B - Mise en oeuvre de l'alerte professionnelle et protection du salarié donneur d'alerte

  • Protection légale

La loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L2607H3X), apporte des éléments de réponse aux salariés soucieux d'appréhender les effets de la mise en oeuvre du droit d'alerte professionnelle sur leur statut de salarié. En effet, le législateur a décidé qu'aucune personne ne peut être écartée d'un recrutement ou d'un stage ou d'une formation en entreprise pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, à son employeur, ou aux autorités des faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans ses fonctions (C. trav., art. L. 1161-1) (10).

La loi du 13 novembre 2007 s'inscrit dans une dynamique engagée par la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000, modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L0648AIT). Son article 9 introduit dans le livre 1er de la première partie du Code du travail un nouveau titre VI intitulé "Corruption". Cette nouvelle section du Code du travail permet à tout salarié qui, de bonne foi, relate à son employeur ou aux autorités des faits de corruption dont il aurait pu avoir connaissance dans l'exercice de ses fonctions, de bénéficier d'une protection légale. Aucun salarié ne pourra plus faire l'objet de rétorsion pour avoir dénoncé des faits de corruption. Cette disposition protectrice des salariés n'existait pas à l'origine, ce sont les députés qui ont permis son introduction.

La protection offerte par le législateur à la personne attachée à l'entreprise ayant donné l'alerte est complète. Elle permet non seulement au salarié, mais également à tout candidat à un emploi, et de manière plus générale, à toute personne participant ou souhaitant participer en quelque qualité que ce soit à l'activité de l'entreprise (candidat, stagiaire, personne en formation...), d'être protégés. Le législateur a prévu une sanction forte, identique à celle applicable en cas de non-respect par l'employeur d'un droit ou d'une liberté individuelle. La nullité de l'acte et la sanction retenue sont applicables à tout acte effectué en contravention des dispositions protectrices de la personne attachée à l'entreprise et ayant dénoncé des faits de corruption.

Toute personne ayant relaté ou témoigné de faits de corruption peut se prévaloir des dispositions protectrices. Afin d'éviter que cette nullité ne soit systématique, et donc les discriminations positives au profit des "donneurs d'alertes", le législateur permet à l'employeur, auteur de l'acte contesté, d'établir que la mise à l'écart du salarié, la rupture, le défaut de recrutement du candidat ou du stagiaire est extérieure aux dénonciations auxquelles il a procédé.

  • Protection jurisprudentielle

La Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà, à plusieurs reprises, examiné des dénonciations de pratiques douteuses révélées par des salariés (en l'absence de dispositif d'alerte professionnelle) et s'efforce de différencier délation et dénonciation. Elle pose trois conditions pour qu'un salarié puisse dénoncer des pratiques douteuses, des malversations, observées dans son entreprise : il doit s'agir de faits qui ont trait à la vie de l'entreprise ; le salarié doit être de bonne foi (11) ; le destinataire des accusations peut être l'inspecteur du travail (12), le parquet (13) ou, encore, le président directeur général (14). Lorsque ces conditions ne sont pas respectées, l'employeur recouvre son pouvoir disciplinaire. En tout état de cause, le salarié qui dénonce des pratiques douteuses, en l'absence d'abus, exerce une liberté fondamentale qu'est sa liberté d'expression (15).


(1) N. Caussé, La Valeur juridique des chartes d'entreprise au regard du droit du travail français, préface de D. Berra, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2000 ; A. Sobczak, Réseaux de sociétés et codes de conduite. Un nouveau modèle de régulation des relations de travail pour les entreprises européennes, Bibliothèque de droit social, LGDJ, 2002 ; D. Berra, Les chartes d'entreprise et le droit du travail, Mélanges M. Despax, Presses de l'Université des sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 123 ; A. Coeuret et N. de Sevin, Les dispositifs d'alerte et le droit du travail français : chronique d'une greffe, RJS, n° 2/06, p. 75 ; L. Gauthier, L'impact des chartes d'éthique, Revue française de gestion, n° 130, septembre-octobre 2000, p. 77 ; A. Jeammaud, M. Le Friant et A. Lyon-Caen, L'ordonnancement des relations de travail, D., 1998, chron., p. 359 ; B. Soinne, Le contenu du pouvoir normatif de l'employeur, Dr. soc., 1983, p. 509 ; A. Supiot, La réglementation patronale de l'entreprise, Dr. soc., 1992, p. 215 ; A. Teissier, L'éthique, une norme de l'entreprise, Travail et Protection sociale, octobre 2000, p. 6 ; M. Véricel, L'employeur dispose-t-il d'un pouvoir normatif en dehors du domaine du règlement intérieur ?, Dr. soc., 2000, p. 1059 ; Sur le pouvoir normatif de l'employeur, Dr. soc., 1991, p. 120 ; Ph. Waquet, Le contrôle du règlement intérieur, AJDA, 1991, p. 590.
Voir, également, Rapport Antonmatéi-Vivien, Chartes d'éthique et alerte professionnelle, rapport Antonmatéi-Vivien, janvier 2007. V. nos obs., Chartes d'éthique et alerte professionnelle, Lexbase Hebdo n° 263 du 7 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3661BB9).
(2) Circulaire DGT 2008/22 du 19 novembre 2008, relative aux chartes éthiques, dispositifs d'alerte professionnelle et au règlement intérieur (N° Lexbase : L5846ICI).
(3) Certaines entreprises se trouvent contraintes de mettre en oeuvre des dispositifs d'alerte, dont les entreprises cotées sur le marché américain, en application de la loi dite "Sarbannes-Oxley".
(4) Aux termes duquel "l'utilisation du dispositif d'alerte professionnelle n'est ni obligatoire, ni exclusive. Si elle l'estime justifié, toute personne ayant connaissance d'un manquement sérieux aux principes décrits par le Code of Business conduct, en matière comptable, financière ou de lutte contre la corruption, peut signaler ce manquement aux personnes compétentes du groupe DS. Ce dispositif ne peut être utilisé hors du champ indiqué ci-dessus. Néanmoins, il s'applique également en cas de manquements graves aux principes décrits par le code lorsqu'il met en jeu l'intérêt vital du groupe DS ou l'intégrité physique ou morale d'une personne (notamment, en cas d'atteinte au droit de la propriété intellectuelle, de divulgation d'informations strictement confidentielles, de conflits d'intérêts, de délits d'initié, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel)".
(5) CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 17 avril 2008, n° 07/08624, SA Dassault systèmes c/ Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (N° Lexbase : A3686EB7).
(6) Circulaire DGT n° 2008/22 du 19 novembre 2008, préc..
(7) Délibération n° 2005-110 du 26 mai 2005, relative à une demande d'autorisation de McDonald's France pour la mise en oeuvre d'un dispositif d'intégrité professionnelle (N° Lexbase : X2560AD8).
(8) Lire les obs. de G. Marie, L'appropriation des concepts managériaux par le droit du travail, Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3614BIP).
(9) L'administration du travail relève que certaines entreprises choisissent d'intégrer tout ou partie de la charte au contrat de travail, soit lors de sa conclusion, soit par un avenant ultérieur. Cette méthode n'est pas sans risques, ni conditions pour l'employeur : il doit, en effet, s'assurer de l'accord clair et non équivoque du salarié. De telles dispositions doivent répondre aux conditions de l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P).
(10) Lire les obs. de S. Martin-Cuenot, L'entrée en vigueur d'une protection du salarié donneur d'alerte en matière de corruption, Lexbase Hebdo n° 282 du 22 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1892BDG).
(11) Cass.soc., 8 novembre 2006, n° 05-41.504, Société Ferring, F-P+B (N° Lexbase : A3116DS9).
(12) Cass. soc., 14 mars 2000, n° 97-43.268, Mlle Pitron c/ Mme Cunéaz (N° Lexbase : A6362AGQ).
(13) Cass. soc. 12 juillet 2006, n° 04-41.075, M. Yves Pretat, F-P+B (N° Lexbase : A4374DQ3).
(14) Cass.soc., 8 novembre 2006, n° 05-41.504, Société Ferring, F-P+B (N° Lexbase : A3116DS9).
(15) Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804, Société anonyme Dunlop France c/ M. Clavaud (N° Lexbase : A4778AA9) ; Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-45.532, Mme Floutier c/ Société Cofinindev (N° Lexbase : A3427AT4).


Décision

Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3615EPL)

Cassation CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 17 avril 2008, n° 07/08624, SA Dassault systèmes c/ Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (N° Lexbase : A3686EB7)

Textes visés : Cnil, délibération n° 2005-308 du 8 décembre 2005 (N° Lexbase : X6007ADT)

Mots-clefs : alerte professionnelle ; contrôle judiciaire ; conformité à la délibération de la Cnil du 8 décembre 2005

Liens base : (N° Lexbase : E2460ETB) et

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