La lettre juridique n°356 du 25 juin 2009 : Éditorial

Evaluation locative cadastrale : du mille-feuille à l'Arlésienne

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Evaluation locative cadastrale : du mille-feuille à l'Arlésienne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211824-evaluation-locative-cadastrale-du-millefeuille-a-larlesienne
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Rien n'a plus de valeur qu'aujourd'hui" (Johann Wolfgang von Goethe).

(Fleurer le plan de travail...)

Chacun sait que le calcul des impôts locaux s'effectue à partir de la valeur locative cadastrale du bien immobilier (propriété bâtie ou non bâtie) dont le contribuable est propriétaire ou simplement occupant. Et, parce que tous les immeubles ne font pas l'objet d'une exploitation ou d'une location, cette valeur locative cadastrale correspond à un loyer théorique annuel tiré du bien en question, comme s'il avait été loué dans des conditions normales.

(Abaisser la pâte feuilletée... et la piquer rapidement à la fourchette)

Le problème, c'est que la dernière évaluation générale des immeubles imposables a eu lieu en 1960 pour les propriétés non bâties, et en 1970 pour les propriétés bâties. Il s'est agi, alors, d'établir, par commune, rien de moins qu'un zonage géographique des communes en zones locatives homogènes, ainsi que les valeurs de référence ou de comparaison dans chaque zone locative, pour chaque type et catégorie de biens (non bâti cultivé, non cultivé, à bâtir ; bâti d'habitation, commercial ou industriel). L'opération fut lourde et la révision générale qui devait avoir lieu tous les six ans s'est avérée unique !

On peut, alors, aisément imaginer que, depuis l'ère pompidolienne, le paysage français a fortement évolué : les zones rurales d'hier sont devenues des villes nouvelles d'aujourd'hui ; le visage des quartiers de chaque ville a profondément été marqué par le développement des habitations à loyers modérés, par la multiplication des dessertes de transports, ou encore par le développement des normes et cadres environnementaux pour le bâti comme pour le non-bâti... autant de facteurs emportant de lourdes conséquences sur l'évaluation de la valeur locative des biens imposables.

(Réaliser une crème pâtissière vanillée et disposer la première plaque sur le plan de travail)

Aussi, pour palier cette absence de révision générale, les valeurs locatives des propriétés sont sensées être actualisées tous les trois ans, au moyen de coefficients correspondants à l'évolution de ces valeurs entre 1970 et celles retenues pour l'actualisation. Ces coefficients sont fixés pour les propriétés non bâties, par région agricole ou forestière départementale et par groupe ou sous-groupe de natures de culture ou de propriété. Ils sont, également, fixés pour les propriétés bâties, par secteur géographique et par nature ou catégorie de biens. La valeur locative de l'ensemble des locaux à usage d'habitation ou professionnel peut être actualisée au moyen d'un coefficient unique par département. Or, seule l'actualisation triennale de 1980, avec le 1er janvier 1978 pour date de référence, a été effectuée. Les actualisations ultérieures ont été remplacées par des revalorisations annuelles forfaitaires. Ainsi, les valeurs locatives foncières sont majorées par application de coefficients forfaitaires fixés par les lois de finances, pour tenir compte de la variation des loyers.

(Etaler la crème pâtissière régulièrement à l'aide d'une spatule métallique courbée. Positionner sur le dessus une seconde plaque de pâte feuilletée. Presser avec la main afin de bien faire adhérer)

Dès lors, on voit bien que certaines règles revêtent un caractère général et s'appliquent à toutes les catégories de locaux confondues. Mais, l'évaluation des propriétés bâties s'effectue, essentiellement, suivant des règles qui varient en fonction de la nature des immeubles considérés qu'il s'agisse de locaux d'habitation ou à usage professionnel ordinaire, de locaux commerciaux ou assimilés, etc..

Cette valeur locative est déterminée pour chaque propriété ou fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte. Chaque propriété ou fraction de propriété est appréciée d'après sa consistance, son affectation, sa situation et son état, à la date de l'évaluation. En vertu du principe de l'égalité proportionnelle selon lequel tous les immeubles doivent supporter des charges fiscales équilibrées, les règles de détermination des valeurs locatives visent à dégager le loyer normal que le bien pourrait produire.

(Etaler une seconde couche de crème pâtissière)

Et, s'ajoute, comme pour consolider le Dédale de l'évaluation locative, les méthodes d'appréciation par voie de comparaison ou d'appréciation directe, lorsque cette évaluation de la valeur locative théorique est contestée par le contribuable. Le contentieux prolifique en la matière montre, justement, l'étendue du problème et l'incompréhension de nombreux contribuables rebelles devant le fait que leur bien soit taxé sur la base d'une valeur souvent déconnectée de la réalité et, plus singulièrement, déconnectée du jeu réel de l'offre et de la demande.

(Enfin, disposer la dernière abaisse de pâte cuite)

Ainsi, c'est au Conseil d'Etat qu'il échoit d'apporter des précisions concernant les règles gouvernant le choix de la méthode d'évaluation à utiliser pour le calcul de la valeur locative cadastrale d'un bien ; ce fut le cas, dernièrement, dans deux arrêts rendus le 5 juin 2009, sur lesquels revient, cette semaine, Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes. A titre technique et informatif, les juges décident qu'en vertu des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI, la valeur vénale des immeubles évalués par voie d'appréciation directe doit d'abord être déterminée en utilisant les données figurant dans les différents actes constituant l'origine de la propriété de l'immeuble, si ces données, qui peuvent résulter notamment d'actes de cession, de déclarations de succession, d'apports en société ou, s'agissant d'immeubles qui n'étaient pas construits en 1970, de leur valeur lors de leur première inscription au bilan, ont une date la plus proche possible de la date de référence du 1er janvier 1970. Si ces données ne peuvent être regardées comme pertinentes du fait qu'elles présenteraient une trop grande antériorité ou postériorité par rapport à cette date, il incombe à l'administration fiscale de proposer des évaluations fondées sur les deux autres méthodes comparatives prévues à l'article 324 AC de l'annexe III au CGI, en retenant des transactions qui peuvent être postérieures ou antérieures aux actes ou au bilan mentionnés ci-dessus dès lors qu'elles ont été conclues à une date plus proche du 1er janvier 1970. Ce n'est que si l'administration n'est pas à même de proposer des éléments de calcul fondés sur l'une ou l'autre de ces méthodes et si le contribuable n'est pas davantage en mesure de fournir ces éléments de comparaison qu'il y a lieu de retenir, pour le calcul de la valeur locative, les données figurant dans les actes constituant l'origine de la propriété du bien ou, le cas échéant, dans son bilan. CQFD !

(Un mille-feuille se compose toujours de trois épaisseurs de pâte feuilletée !)

Pierre par pierre s'édifie l'imbroglio relatif à la fixation de la valeur locative imposable des biens immobiliers. Et, la jurisprudence chargée de démêler le fil d'Ariane, alimente finalement sans cesse le tonneau des Danaïdes, en attendant l'Arlésienne, c'est-à-dire la nécessaire révision générale des valeurs locatives cadastrales dont tout le monde parle et que personne ne voit jamais ! L'image n'est pas d'Epinal, si l'on se souvient que l'article 47 de la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 disposait du principe de cette révision générale, laissant le soin, à une seconde loi, de fixer la date d'application de cette révision. Or, cette seconde loi n'est jamais intervenue.

(Disposer le mille-feuille sur une grille)

La nouvelle d'Alfonse Daudet, tirée des Lettres de mon moulin, en 1869, aura tôt fait d'inspirer les commentateurs avertis, tant le nombre d'amendements déposés depuis près de vingt ans, aux fins d'organiser cette révision donne la nette impression que si tout le monde la juge nécessaire, beaucoup ne la souhaitent pas véritablement. Mais enfin pour quelles raisons, outre la lourdeur d'une telle opération ?

(Remplir un cornet à décor avec le fondant coloré et tracer des lignes parallèles)

Sans doute parce que les premières intéressées, c'est-à-dire les collectivités locales, pourraient voir d'un mauvais oeil une manne financière d'importance leur échapper du fait de l'application directe d'une nouvelle révision réalisée sur la base d'une appréciation in concreto. Car, l'on sait bien que nombre de locaux commerciaux sont surévalués et que l'on ne prend pas suffisamment en compte la volatilité de la valeur du fonds de commerce, ou encore qu'il existe une différence de valeur toute théorique entre une résidence principale et une résidence secondaire. Si l'on ajoute que le système de péréquation entre collectivités locales ou territoriales ne permet pas une harmonisation efficace sur le territoire national, -péréquation qui pourrait compenser cette perte de revenus attendue par certaines collectivités-, et que la décentralisation accélérée semble engendrer de nombreux déçus qui attendent toujours le redéploiement financier y afférent, on comprend, dès lors, qu'une révision générale, "soeur Anne" de gros chambardements dans la perception et la redistribution des impôts locaux, ne fasse pas l'unanimité...

(Parer les côtés du mille-feuille... avec un couteau scie pour le rendre présentable)

Le dernier amendement en la matière fut déposé à l'occasion du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2009. Adopté en commission des finances contre l'avis du Gouvernement, cet amendement a finalement été retiré à la demande pressante d'Eric Woerth, ministre du Budget, l'estimant prématuré (sic), alors que le rapport du comité "Balladur" aborde précisément cette question.

(Réserver au frais jusqu'au moment de le servir)

Bon appétit ou bonne lecture, c'est selon !

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