La lettre juridique n°343 du 26 mars 2009 : Éditorial

Contrefaçon sur internet et Malleus Maleficarum : inutile chasse aux sorcières

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Contrefaçon sur internet et Malleus Maleficarum : inutile chasse aux sorcières. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211602-contrefacon-sur-internet-et-i-malleus-maleficarum-i-inutile-chasse-aux-sorcieres
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Que celui qui est volé ne s'aperçoive pas du larcin, qu'il n'en sache rien, et il n'est pas volé du tout", Shakespeare, in Othello.

Et, le moins que l'on puisse dire c'est qu'en matière de contrefaçon le législateur se refuse à engager une "chasse aux sorcières". Pourtant, l'arsenal juridique de "l'Inquisition intellectuelle et commerciale" ne cesse de s'affiner et de se développer à la lumière des lois nouvelles, comme de la dernière jurisprudence. Reste que le Gouvernement exclut d'imiter Jean XXII et de publier une bulle Super Illius Specula à l'encontre des "pirates numériques"... Il se contentera, à la faveur de la prochaine loi relative à la diffusion et à la protection de la création sur internet, actuellement en débat au Parlement, d'une excommunication du contrefacteur de "l'Assemblée des internautes" !

Force est de constater que l'on ne cesse de souffler le chaud et le froid, lorsqu'il s'agit de protéger le droit de propriété exclusif d'un auteur sur son oeuvre, sa marque ou son brevet. Ou plus vraisemblablement, le législateur se voit ainsi confronté au principe de réalisme social en ce qu'il est contraint de ne pas pénaliser un comportement, certes frauduleux, mais tellement démocratisé que la mise en oeuvre de toute sanction pénale s'avèrerait utopique et, par conséquent, de portée nulle. Finalement, Shakespeare avait raison : si l'on ne peut appréhender le larcin, point de vol ! Pour autant, l'absence de sanction pénale à l'encontre de la masse des fraudeurs au droit de propriété intellectuelle qui n'en tirerait aucun bénéfice commercial, ni ne pratiquerait individuellement leur forfait sur une grande échelle, n'annihile t'elle pas de facto l'utilité d'une action en contrefaçon à leur encontre ? Et après tout, "La propriété, c'est le vol" écrivait, un brin goguenard, Proudhon, dans son Etude sur le principe du droit et du gouvernement.

Comme le souligne Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences à la Faculté de droit et de science politique de Rennes, dans une chronique publiée cette semaine, "parce que le plus souvent les faits qui fondent l'action en concurrence déloyale sont les mêmes que ceux avancés au soutien de l'action en contrefaçon, il est fréquent que les plaideurs invoquent des moyens de défense issus du régime de la propriété intellectuelle". Ce serait, donc, la jonction, quasi systématique, des actions aux fins d'engager la responsabilité du contrefacteur qui permettrait, le plus souvent, une condamnation sur le terrain de la réparation du préjudice commercial du titulaire des droits de propriété intellectuelle. Mais, à la lumière d'un arrêt rendu le 10 février 2009 par la Cour de cassation, l'auteur met l'accent sur le fait que "si les domaines de ces actions se recoupent souvent en pratique ces deux actions sont néanmoins fondamentalement différentes". La Cour de cassation rappelle ainsi que "l'action en concurrence déloyale peut être intentée par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif, [et] qu'il n'importe pas que les faits incriminés soient matériellement les mêmes que ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif".

Et de relever, également, deux décisions qui devraient préfigurer la "sévérité" avec laquelle les Autorités vont être amenées à sanctionner les contrefacteurs sur internet. En effet, un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation rendu le 19 janvier dernier censure une cour d'appel en décidant que les investigations menées par l'agent assermenté et les renseignements ainsi obtenus rentrent dans les pouvoirs conférés par l'article L. 331-2 du Code de propriété intellectuelle et ne constituent pas un traitement de données à caractère personnel. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à l'exception de nullité soulevée par le prévenu. Par ailleurs, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 22 janvier 2009, s'est prononcée sur l'existence d'un acte de contrefaçon du fait de l'utilisation d'une photographie dans un magazine en l'absence d'autorisation de l'auteur de l'oeuvre photographique que la reproduction des oeuvres photographiques ne pouvait recevoir la qualification de courtes citations même si l'oeuvre est reproduite dans un but informatif. On en perdrait presque son latin : d'un côté une jurisprudence alerte sur la protection des droits de propriété intellectuelle ; de l'autre côté, un législateur frileux à engager le bras de fer pénal avec les internautes contrefacteurs.

En fait, il s'agit, clairement, d'abandonner toute politique répressive à l'encontre de ces "pirates numériques" et d'engager la lutte contre la contrefaçon sur internet par le biais d'une responsabilisation sur le plan civil à la lumière du préjudice causé. La loi pénale intervenant uniquement pour les cas de fraude massive. On ne peut pas lutter contre un sentiment de culpabilité des internautes qui téléchargent illégalement des oeuvres musicales ou cinématographiques très faible (selon le rapport de la Commission des lois auprès de l'Assemblée nationale). Ces derniers considèrent, en effet, que le problème vient davantage de l'absence de responsabilisation des acteurs de l'internet (fournisseurs d'accès, diffuseurs de contenus, notamment) que de leur propre comportement et estiment qu'il revient aux milieux culturels d'inventer un nouveau modèle économique.

Et ce nouveau modèle économique passe par la promotion des creatives commons en matière de logiciel, par exemple ; celle des concerts, la musique numérique n'en constituant plus que le support marketing ; ou encore la promotion de la marque en dehors de tout produit, mais associant un concept, un univers, une ambiance (ex. : la marque "Orange").

"J'ai assez d'idées pour qu'on puisse me voler sans me nuire" eut dit Malraux ! Le législateur est parfaitement conscient qu'il ne sert à rien de lutter contre l'émancipation sociétale, hier celle des femmes/sorcières, aujourd'hui celle des internautes/pairs (à pairs). A quand un "Michelet" pour réhabiliter les contrefacteurs sur internet, comme il consacra un livre, en 1862, promoteur du féminisme ?

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