La lettre juridique n°405 du 29 juillet 2010 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Audience électorale et représentativité syndicale : la hiérarchie entre les élections professionnelles dans l'entreprise confirmée

Réf. : Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 10-60.148, Urssaf de l'Ardèche c/ Syndicat union départementale Force ouvrière Drôme-Ardèche et a., FS-P+B (N° Lexbase : A6917E4X)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Sous réserve des dispositions transitoires édictées par la loi du 20 août 2008 (loi n° 2008-789, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail N° Lexbase : L7392IAZ), la représentativité syndicale doit désormais nécessairement être prouvée, sur la base de critères édictés par la réforme précitée. Parmi ceux-ci, figure en bonne place l'audience électorale, appréciée à l'aune des élections professionnelles organisées dans l'entreprise. Dans la mesure où, à ce niveau, peuvent être organisées plusieurs élections en fonction des institutions représentatives du personnel à mettre en place, il importait de déterminer si l'une d'entre elle devait être privilégiée et, dans l'affirmative, laquelle. A lire les textes de loi applicables en la matière, une priorité paraissait avoir été donnée à l'élection des représentants des salariés au comité d'entreprise. C'est ce que vient, sans surprise aucune, confirmer la Cour de cassation dans un important arrêt rendu le 13 juillet 2010.
Résumé

L'audience recueillie par les organisations syndicales aux élections des délégués du personnel ne peut être prise en compte, pour apprécier leur représentativité, que s'il ne s'est pas tenu dans l'entreprise d'élections au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel permettant de mesurer cette audience.

I - Une priorité clairement affichée dans la loi

  • L'audience électorale, pierre angulaire de la représentativité

Dans le but de renforcer la légitimité des organisations syndicales, la loi du 20 août 2008 a mis fin à la présomption de représentativité pour lui substituer, à plus ou moins brève échéance, la seule représentativité prouvée. Dans la même perspective, le législateur a pris soin d'établir une nouvelle liste des critères de la représentativité syndicale, qui figure à l'article L. 2121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3727IBN).

Parmi ces différents critères, une place de choix a été réservée à l'audience électorale, dont on peut dire qu'elle est aujourd'hui la pierre angulaire de la représentativité. Ainsi que l'affirme le texte précité, celle-ci est déterminée d'après "l'audience établie selon les niveaux de négociation conformément aux articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2122-5 (N° Lexbase : L3781IBN), L. 2122-6 (N° Lexbase : L3796IB9) et L. 2122-9 (N° Lexbase : L3747IBE) du Code du travail" (C. trav., art. L. 2121-1, 5°).

Dans l'entreprise ou l'établissement, sont représentatives les organisations syndicales qui satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants (C. trav., art. L. 2122-1).

Le législateur, et avant lui les signataires de la position commune, ont donc fait le choix de prendre en compte les résultats aux élections professionnelles organisées dans l'entreprise. Parmi celles-ci, prééminence a été accordée à l'élection de la représentation du personnel au comité d'entreprise.

  • La prééminence de l'élection du comité d'entreprise

Dès lors qu'une entreprise compte plus de cinquante salariés, doivent être mis en place des délégués du personnel et un comité d'entreprise. On sait, toutefois, que, dans les entreprises de moins de deux cents salariés, l'employeur peut décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2326-1 N° Lexbase : L9878H8D). Dans cette dernière hypothèse, et à l'évidence, les élections à prendre en considération pour la mesure de l'audience électorale ne font pas de difficulté. Il en va, en revanche, différemment, lorsque sont organisées des élections des délégués du personnel et du comité d'entreprise. Faut-il prendre en compte les résultats des premières, des secondes ou de l'une ou l'autre indifféremment ?

A notre sens, le législateur a répondu à cette interrogation en usant, au sein de l'article L. 2122-1 du Code du travail, de la locution "à défaut". Celle-ci marque clairement un ordre de priorité : si des élections au comité d'entreprise ont été organisées, seuls les résultats obtenus à ces dernières doivent être pris en compte. On trouve confirmation de cette prééminence dans les travaux parlementaires. Ainsi, il était affirmé, dans le rapport établi par M. A. Gournac au nom de la Commission des Affaires sociales du Sénat, que "sera prise en compte par priorité l'élection des représentants au comité d'entreprise, à défaut celle du délégué unique du personnel et, si ce dernier n'a pas été mis en place, celle des délégués du personnel. Il n'y a donc pas de combinaison de l'ensemble des résultats des élections conduites dans l'entreprise". En revanche, et sauf erreur de notre part, aucun de ces mêmes travaux parlementaires ne fournit la raison de cette priorité accordée aux élections de la représentation du personnel au comité d'entreprise. Cette hiérarchie dans les élections professionnelles se trouve, en tous cas, confirmée par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.

II - Une priorité confirmée par la Cour de cassation

  • La solution

En l'espèce, l'union départementale Force ouvrière Drôme-Ardèche (le syndicat FO) avait désigné, le 21 décembre 2009, Mme X en qualité de déléguée syndicale au sein de l'Urssaf de l'Ardèche. Contestant la représentativité du syndicat FO au motif que celui n'avait pas recueilli 10 % des suffrages aux élections des membres du comité d'entreprise mais seulement aux élections des délégués du personnel, l'Urssaf avait saisi le tribunal d'instance en annulation de la désignation.

Pour valider la désignation de la déléguée syndicale, le jugement attaqué, après avoir relevé que le syndicat FO, qui n'avait pas présenté de candidat aux élections des membres du comité d'entreprise, avait obtenu 100 % des suffrages exprimés au premier tour des élections des délégués du personnel, avait énoncé que faute, pour la loi du 20 août 2008, de dire précisément que les élections des délégués du personnel entrent de manière subsidiaire dans la mesure de la représentativité des syndicats au niveau ces entreprises, tout en étant prises en compte au même titre que les autres élections, pour ce qui est de la représentativité des délégués syndicaux, il convient d'écarter l'interprétation proposée par l'Urssaf et ainsi de retenir une absence de hiérarchie entre les trois instances citées, comité d'entreprise, délégation unique du personnel ou délégués du personnel.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 2121-1, L. 2122-1 et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) du Code du travail. Après avoir rappelé la teneur des deux premiers de ces textes, la Cour de cassation décide "qu'il en résulte que l'audience recueillie par les organisations syndicales aux élections des délégués du personnel ne peut être prise en compte, pour apprécier leur représentativité, que s'il ne s'est pas tenu dans l'entreprise d'élections au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel permettant de mesurer cette audience".

  • Une solution justifiée

La solution retenue par la Cour de cassation doit être pleinement approuvée. Il était pour le moins difficile de souscrire à l'argumentation développée par les juges du fond. Ainsi que nous l'avons vu précédemment, et contrairement à ce qu'ils affirmaient, la loi du 20 août 2008 dit clairement que les élections des délégués du personnel entrent de manière subsidiaire dans la mesure de la représentativité des syndicats au niveau de l'entreprise ou de l'établissement. A cet égard, et pour s'attacher comme l'avaient fait, en l'espèce, les juges du fond à l'exigence que le salarié désigné comme délégué syndical figure parmi les candidats ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles, sont visées indifféremment les élections au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel (C. trav., art. L. 2143-3). Point de locution "à défaut" dans ce texte qui conduirait à établir une hiérarchie entre les élections professionnelles.

Il est donc, désormais, acquis que, lorsque des élections au comité d'entreprise ont été organisées dans l'entreprise, seuls les résultats obtenus à celles-ci doivent être pris en compte pour la mesure de l'audience électorale et, par voie de conséquence, la détermination des syndicats représentatifs. Toute organisation qui n'aurait pas présenté de candidats ou qui, l'ayant fait, n'auraient pas franchi la barre fatidique des 10 % ne peut prétendre à la représentativité et exercer les prérogatives qui lui sont attachées. Peu importe par suite que, comme en l'espèce, elle ait obtenu un score de 100 % aux élections des délégués du personnel. La solution est rigoureuse, mais elle n'est que la conséquence de la loi.

La solution retenue vaut certainement lorsque le comité d'entreprise est mis en place dans une entreprise de moins de cinquante salariés, en vertu d'une stipulation conventionnelle. Il convient, en revanche, s'interroger sur la situation dans laquelle des élections au comité d'entreprise ont été organisées, mais se sont soldées par un procès-verbal de carence. Peut-on, dans ce cas, prendre en compte les résultats aux élections des délégués du personnel ? En visant, les élections au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel "permettant de mesurer l'audience électorale", la Cour de cassation invite à répondre par l'affirmative. Pourtant, il pourrait tout aussi bien être soutenu que les salariés, en ne portant pas leurs voix sur les listes syndicales présentées, ont entendu manifester un choix, en niant la représentativité aux syndicats concernés. Gageons cependant que ce ne sera pas là la solution retenue par la Chambre sociale.


Décision

Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 10-60.148, Urssaf de l'Ardèche c/ Syndicat union départementale Force ouvrière Drôme-Ardèche et a., FS-P+B (N° Lexbase : A6917E4X)

Cassation sans renvoi de TI Privas, contentieux des élections professionnelles, 18 février 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN), L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD)

Mots-clefs : syndicats ; représentativité ; audience électorale ; élections professionnelles ; priorité ; comité d'entreprise

Lien base : (N° Lexbase : E1798ETR)

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