La lettre juridique n°316 du 4 septembre 2008 : Avocats

[Point de vue...] Rencontre avec Maître Philippe Duprat, Bâtonnier de Bordeaux : avocat, une profession en danger... qui sait réagir

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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques

le 07 Octobre 2010

Les éditions Lexbase ont assisté, le 13 juin dernier à Bordeaux, à la rentrée de la Conférence du Stage, au cours de laquelle le Bâtonnier Philippe Duprat a insisté sur la fonction sociale de l'avocat, qu'il qualifie de "médecin du corps social". Il a souligné qu'à ce titre, "il ne peut être évincé lorsqu'il s'agit d'apprécier le fonctionnement de l'hôpital, c'est-à-dire, au cas d'espèce, des tribunaux dans lesquels il travaille quotidiennement". Les réformes doivent se faire en concertation avec les avocats : ceci est vrai pour la réforme de la carte judiciaire, ça l'est, d'autant plus, pour celle de la profession d'avocat.

Dans sa lettre de mission du 30 juin dernier, adressée à Maître Jean-Michel Darrois -associé fondateur d'un des plus célèbres cabinets d'avocats d'affaires français-, le Président de la République souligne qu'"à l'heure où s'engage un vaste mouvement de modernisation de notre système judiciaire, ni les avocats, ni les autres professions judiciaires, ne peuvent faire l'économie d'une réflexion sur leur évolution". Maître Darrois est chargé de présider "une commission de réflexion tendant à réformer la profession d'avocat, avec comme objectif, la création d'une grande profession du droit", qui regrouperait les professions d'avocats, notaires, avoués, avocats aux Conseils, au sein même de la profession d'avocat. La "Commission Darrois", outre résoudre les dissensions sur cette question -qui divise même les avocats-, aura, également, à réformer les structures d'exercice et solutionner le problème du financement de l'aide juridictionnelle. Le représentant de l'Etat et le représentant du 5ème Barreau de France, et plus généralement, tous les avocats, semblent, donc, se rejoindre sur la nécessité d'associer ces derniers à l'une de plus grandes réformes qu'ils s'apprêtent à connaître. Question de bon sens, d'autant que les nombreuses tentatives passées n'ont pas résolu les problématiques rencontrées par la profession et sont plus ou moins bien vécues par celle-ci. On pense, notamment, à la controversée réforme de la carte judiciaire, pour laquelle les avocats regrettent de ne pas avoir été, justement, plus entendus.

Pourtant, tout le monde s'accorde à dire que certaines réformes, longtemps négligées, sont indispensables et, aujourd'hui, urgentes, face aux profondes mutations du droit dans un contexte de mondialisation, et, concernant la profession, face à l'implantation massive en France et dans le monde des cabinets anglo-saxons, qui bouleverse les règles du marché. Le contexte, comme le souligne le Bâtonnier de Bordeaux, est d'autant plus difficile que les avocats, outre la concurrence internationale, ont à faire face aux restrictions budgétaires, à la concurrence d'autres professions qui investissent leurs champs d'intervention... Ils ont à se familiariser avec de nouvelles matières ou compétences, à de nouveaux modes alternatifs de résolution des litiges. Ils s'interrogent, à juste titre, sur leur avenir, ainsi qu'en a témoigné le discours d'Anne Thibaud, deuxième Secrétaire de la Conférence, L'avocat, une espèce en voie de disparition ?. Nicolas Sarkozy en convient tout autant, dans sa lettre de mission : "les mutations qui ont bouleversé la profession d'avocat menacent son unité et doivent, à ce titre, être analysées avec attention : le fossé s'est agrandi entre les différents modes d'exercice de la profession, avec, à chaque extrême les cabinets anglo-saxons, spécialisés en matière économique et financière, et des avocats menacés de paupérisation, qui assistent dans des conditions difficiles les plus modestes de nos concitoyens". L'urgence d'adapter le droit et sa pratique en France ne se justifie heureusement pas uniquement par des raisons concurrentielles. Le droit et la justice se doivent d'être efficients, soit, accessibles et efficaces, en ce qu'ils constituent une condition essentielle de la démocratie devant bénéficier de la protection la plus solide. Or, en France, personne ne nie qu'en l'état, ils sont inadaptés.

Le discours du Bâtonnier Philippe Duprat nous a donné envie d'approfondir ces sujets "brûlants" avec lui. Et parce que, "pour connaître les hommes, il faut les voir agir" (1), nous l'avons rencontré dans son Ordre, pour faire le bilan de ces six premiers mois en tant que Bâtonnier d'un des plus grand Barreau de France et évoquer ses projets. Il nous a, à cette occasion, éclairés sur les moyens dont disposent les avocats pour s'adapter aux mutations de leur profession, qui peuvent se résumer ainsi : être au plus proche du justiciable et le faire savoir.

Concernant les réformes à venir, il se dit partisan d'une grande profession du droit. Le mode d'exercice de la profession en France a du mal à s'imposer face à des systèmes étrangers qui, ne connaissant pas cet éparpillement des compétences et monopoles, se révèlent plus rapides et plus efficaces pour le justiciable. Il s'agit, ici, d'aller plus loin dans la démarche d'unification qui s'était, déjà, amorcée avec les passerelles existantes entre les professions de juriste et d'avocat et qui s'accélère avec les réflexion sur l'intégration des avocats aux entreprises et l'annonce par Rachida Dati, Garde des Sceaux, le 10 juin 2008, de l'intégration des avoués à la Cour au sein de la profession d'avocat, qui devrait être effective le 1er janvier 2010. Le Bâtonnier attire, également, notre attention sur l'importance de la représentation de la profession, l'avenir de celle-ci résidant, selon lui, dans la défense de l'avocat au niveau national par un "Ordre national fort". Il considère que la modernisation et l'efficacité des institutions de représentation passent nécessairement par une postulation de cour. Créer des Barreaux de cour permettrait de simplifier le fonctionnement du Conseil national du Barreau (CNB), qui serait, alors, ce qu'il a vocation à être, un Ordre national, fort de relais à taille régionale plus efficaces, lui assurant une meilleure défense. Cette position est partagée par beaucoup d'avocats (2). Philippe Duprat estime, en outre, qu'un Ordre, tout comme un cabinet d'avocats, doit se gérer en véritable entreprise, avec une réelle maîtrise en terme de chiffres, management, structures...

Pour ce qui est des structures d'exercice de la profession, Philippe Duprat, conscient que la modernisation ne sera possible qu'en ayant recours aux nouvelles technologies, prône avec vigueur l'utilisation et le développement du RPVA (Réseau Privé Virtuel Avocats ou e-barreau), intranet de la profession, qui offre, via une communication électronique sécurisée de ses membres (dont l'adhésion est facultative), trois services : un accès internet, une messagerie internet sécurisée et un outil de signature cryptée propre à la profession. Faisant écho au RPVJ (Réseau Privé Virtuel Justice), cet instrument a pour principale finalité un traitement électronique de la procédure civile, par le biais d'un système de communication informatique entre le Palais et les avocats, rendu possible par la signature cette année de la convention nationale entre la Chancellerie et le CNB. Cet intranet offrira progressivement, en fonction de l'importance des adhésions, un accès à un portail de services (service du cadastre, fichiers des hypothèques, bases documentaires, transmission d'éléments confidentiels aux organismes techniques). Le regroupement des ressources ne sera, toutefois, possible que par l'adhésion du plus grand nombre. Plus l'intranet comportera d'adhérents, plus il sera efficace. A Bordeaux, Monsieur le Bâtonnier nous indique que le RPVA est déjà mis en place pour, environ, 15 % des avocats. Il se dit déterminé à surmonter "les obstacles, les réticences, les inerties" encore existants. Il aspire à une dématérialisation totale de la procédure, qui n'est pas envisageable en l'état de la législation.

En attendant ces réformes, le Bâtonnier de Bordeaux explore, "sur le terrain", plusieurs pistes pour se rapprocher des justiciables et leur proposer des services performants. En matière de recherches et de formation, il incite, tout d'abord, fortement les avocats à s'approprier les nouvelles matières juridiques (telles le droit des nouvelles technologies) et les nouveaux modes alternatifs de résolution des litiges, pour lesquels il estime que l'avocat a toute sa place. Il souhaite la création de deux nouveaux diplômes à la faculté de droit de Bordeaux, qui répondent à des besoins contemporains : un DJCE qui permettra de préparer les candidats à la profession d'avocat dans le domaine du droit des affaires et un Master II au titre de la formation continue dédié, plus spécifiquement, à la profession d'avocat -à ce titre, unique en son genre-, dont le thème général est celui de l'engineering juridique et financier de l'entreprise structurée sous la forme de société. Ce diplôme devrait être mis en place dès la rentrée universitaire 2009. L'Ordre a, également, créé récemment, l'Institut du droit des affaires, qui assure la promotion de la pratique du droit des affaires par les avocats, cette mission d'information étant à destination des milieux économiques.

Philippe Duprat affirme que la communication au public du panel d'interventions de l'avocat est essentielle, tout comme l'élargissement de ce champ de compétences. Pour ce faire, il a mis en ligne, sur le site internet du Barreau de Bordeaux, une Présentation de l'avocat, qui souligne d'entrée de jeu que "le rôle de l'avocat a évolué et ne se limite pas à la défense pénale", l'opinion publique ayant tendance à n'envisager cette profession que sous l'angle des Assises. Le public peut, également, consulter un dossier de presse sur ce sujet, Avocat : une profession présentant une typologie variée, où le conseil est privilégié... une réalité aujourd'hui loin des idées reçues, et visionner, à partir de septembre 2008 et jusqu'à juin 2009, sur TV7 (la télévision locale bordelaise), des chroniques intitulées De quel droit ?, qui présenteront les différents domaines d'activité des avocats, leur champ d'intervention et répondront à des problématiques concrètes.

Afin d'améliorer, si besoin est, les relations entre le client et son avocat, le Bâtonnier a opté avec fermeté pour un système permettant une plus grande réactivité dans le traitement des dossiers par les avocats, ainsi que dans les instructions des réclamations des clients. Il a, en effet, mis en place une procédure qui impose à ses confrères de répondre plus rapidement et les résultats sont au rendez-vous : de huit à neuf relances de la part des clients, le délai moyen de traitement des dossiers est, désormais, passé à quinze jours.

Très attaché à la fonction sociale de l'avocat, il a introduit le système des consultations gratuites, pour les particuliers, en cabinet, ainsi qu'au sein du CRIC -Centre de recherche d'information et de consultation sur les droits de l'enfant-, et au sein de l'IRE -Institut de défense des étrangers-, et, pour les entreprises, au sein de la Chambre de commerce et d'industrie et au sein de la Chambre des métiers. En outre, le Barreau de Bordeaux est, désormais, associé à la médiation familiale, par l'intermédiaire de son centre de médiation, ce qui n'était pas le cas auparavant. L'Ordre a, également, pour projet d'élaborer un "Guide des victimes ", pour informer les justiciables de leurs droits en cas d'atteinte à l'une de leurs libertés fondamentales, et de mettre en place une consultation en milieu hospitalier pour les personnes seules, démunies de tout contact, qui se trouveraient dans une situation d'urgence.

En conclusion, Philippe Duprat souligne que l'action du Barreau ne se conçoit pas sans une communication globale et permanente de son activité au public, qu'il a organisée, notamment, via différentes publications, dont la Chronique du barreau de Bordeaux, qui paraît dans le plus important journal d'annonces légales de la Gironde, et le Journal du Barreau de Bordeaux, qui sera diffusé, dès le début du mois de septembre, à destination des milieux sociaux, économiques et commerciaux du département. 

Nous l'avons compris : les avocats ont réagi efficacement et rapidement face aux nombreuses réformes et mutations qui bouleversent directement ou non leur profession et son mode d'exercice. Ils sont, à coup sûr, une force certaine de propositions. La question se pose, alors, de savoir pourquoi la "Commission Darrois", à l'exception de son Président-, n'en comporte aucun (3). L'association souhaitée par Nicolas Sarkozy, lui-même ancien avocat, des avocats à la réforme de leur profession reste, semble-t-il, limitée.


(1) Emile ou de l'éducation, J.-J. Rousseau, 1762.
(2) Cf. Commission Darrois Contribution de la FUJNA n°1, Fédération nationale des unions de jeunes avocats - FNUJA du 25 juillet 2008 : "S'agissant notamment de la profession d'avocats, l'existence des Ordres au niveau local se justifie pleinement, puisqu'ils constituent le rempart indispensable de l'indépendance de l'Avocat en le soustrayant en partie à la justice rendue par le juge qu'il côtoie quotidiennement. Au niveau national, ce rôle est totalement inopérant et l'institution professionnelle doit, dès lors, remplir une fonction de représentativité et de représentation. En cela, elle doit représenter toutes les composantes de la profession concernée".
(3) Composition de la "Commission Darrois" : Laurent Aynes et Christophe Jamin (Professeurs de droit), François Zochetto (sénateur UDF et avocat), Sébastien Huyghe (député UMP et notaire), Henri Nallet (ancien ministre socialiste), Olivier Fouquet (Conseiller d'Etat), Christophe Ingrain (magistrat et adjoint de Patrick Ouart, conseiller de justice de Nicolas Sarkozy), Henri Potocki (magistrat), Jean Kaspar (syndicaliste ), Hans Peter Frick (secrétaire général du groupe Nestlé pour les grandes entreprises ) et Françoise Holder (patronne de Ladurée pour les PME).

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