La lettre juridique n°311 du 3 juillet 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Le caractère réciproque de l'obligation de préavis

Réf. : Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-42.161, Société Highlands hôtesses c/ Mme Andrée Cuadro, FS-P+B (N° Lexbase : A2312D9I)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



A trop insister sur le droit au préavis du salarié licencié, on en oublierait presque qu'il constitue, également, pour lui, une obligation. De manière plus générale, et ainsi que le souligne la Cour de cassation dans un arrêt du 18 juin 2008, qui sonne comme un rappel, l'obligation de respecter le délai-congé s'impose aux parties au contrat. Partant, et sauf à en être dispensé par son employeur, le salarié, qui n'a pas exécuté son préavis, lui doit une indemnité compensatrice.


Résumé

L'obligation de respecter le délai-congé s'impose aux parties au contrat. Il s'en déduit que, lorsqu'il n'en a pas été dispensé, le salarié qui n'a pas exécuté son préavis doit à l'employeur une indemnité compensatrice.

Commentaire

I - L'obligation de respecter le délai-congé

  • Une obligation générale

Que le salarié vienne à démissionner ou qu'il soit licencié par son employeur, un délai-congé doit, dans les deux cas, être respecté. Plus précisément, lorsque la rupture du contrat de travail a lieu à l'initiative du salarié, l'existence et la durée du délai-congé résultent soit de la loi, soit de la convention ou de l'accord collectif de travail. En l'absence de dispositions légales ou conventionnelles, l'existence et la durée d'un délai-congé résultent des usages pratiqués dans la localité et dans la profession .

En matière de licenciement, qui seul nous intéressera ici, la durée du préavis varie selon l'ancienneté. En dessous de six mois d'ancienneté, le salarié a droit au délai de préavis éventuellement prévu par les normes conventionnelles applicables dans l'entreprise ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession . Entre six mois et deux ans d'ancienneté le minimum légal est d'un mois (C. trav., art. L. 1234-1, 2°, art. L. 122-6, anc.). Au-delà de deux ans, le délai est de deux mois (C. trav., art. L. 1234-1, 3°, art. L. 122-6, anc.) (1).

L'obligation de préavis tend, aujourd'hui, à se généraliser. Il faut, ainsi, noter que la loi portant modernisation du marché du travail, dont on sait qu'elle est venue réglementer la période d'essai, impose le respect d'un délai-congé lorsque la rupture intervient durant cette période (2). Pour l'heure, seule la rupture conventionnelle échappe à une telle exigence, au moins en application de la loi (3).

  • Une obligation réciproque

Le préavis est une obligation réciproque dont la finalité est d'assurer un délai de prévenance entre l'employeur et le salarié avant qu'il ne soit mis fin au contrat de travail (4). En l'espèce, les juges du fond avaient quelque peu laissé de côté ce caractère réciproque de l'obligation ou, plus exactement, en avait retenue une bien curieuse interprétation que l'on qualifiera, au mieux, de téléologique.

Engagée le 2 mars 2005, une salariée avait été licenciée le 14 décembre suivant par son employeur avec préavis d'un mois (5). La salariée n'ayant pas exécuté son préavis, la société employeur avait saisi le conseil de prud'hommes en paiement d'une somme à titre d'indemnité de préavis. Pour la débouter, le jugement attaqué avait énoncé que la rupture étant à l'initiative de l'employeur, c'est ce dernier qui devait un préavis d'un mois à la salariée. Ce préavis n'ayant pas été effectué et la salariée n'ayant pas été payée pendant celui-ci, elle ne devait aucun préavis. Et les juges prud'homaux d'ajouter que la salariée n'avait pas pris l'initiative de la rupture et que la notion de réciprocité s'entend en fonction de l'initiative de la rupture.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui, au visa de l'article L.122-8, alinéa 1er (N° Lexbase : L5558ACT), devenu l'article L. 1234-5 du Code du travail , rappelle que l'obligation de respecter le délai-congé s'impose aux parties au contrat et qu'il s'en déduit que, lorsqu'il n'en a pas été dispensé, le salarié qui n'a pas exécuté son préavis doit à l'employeur une indemnité compensatrice.

Cette décision doit être entièrement approuvée. Le caractère réciproque de l'obligation de préavis signifie que le délai-congé est obligatoire pour les deux parties, quel que soit l'auteur de la rupture. En d'autres termes, lorsque le salarié est licencié, le délai-congé n'est pas seulement un droit pour lui, il constitue, également, une obligation. De même, en cas de démission, l'employeur est, à la fois, créancier et débiteur du préavis vis-à-vis du salarié (6).

II - L'inexécution du délai-congé

  • La dispense par l'employeur

En principe, l'employeur et le salarié continuent à exécuter les obligations nées du contrat de travail pendant toute la durée du délai-congé. L'employeur dispose, cependant, du droit de dispenser unilatéralement le salarié de son préavis. C'est ce que reconnaît implicitement l'article L. 1234-5 du Code du travail, en affirmant que "la dispense par l'employeur n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise" (7).

La faculté, ainsi reconnue à l'employeur de dispenser le salarié de l'exécution de son préavis, peut être exercée, non seulement, en cas de licenciement, mais, aussi, lorsque le contrat est rompu à l'initiative du salarié. Le caractère unilatéral du droit interdit au salarié de s'opposer à cette dispense et d'exiger, par suite, de continuer de travailler (8). Cela relativise quelque peu la règle précédemment vue, selon laquelle le délai-congé est un droit pour le salarié ou plus exactement que le droit au préavis ne se confond pas avec le droit de travailler...

Il convient, enfin, de souligner que, lorsque le salarié demande à l'employeur d'être dispensé de travailler pendant le délai-congé et que l'employeur y consent, la dispense de travail ne s'accompagne plus du paiement d'une indemnité compensatrice de préavis (9). Ainsi que le relèvent MM. Pélissier, Supiot et Jeammaud, "il s'agit plus, dans ce cas, d'une dispense de préavis que d'une dispense de travail pendant le préavis ; le salarié et l'employeur sont l'un et l'autre déliés des obligations auxquelles le contrat de travail avait donné naissance" (10).

  • L'inexécution fautive du préavis par le salarié

L'inexécution du préavis par le salarié qui a démissionné constitue, à l'évidence, une faute exigeant réparation. A l'instar des juges du fond dans la présente espèce, on pourrait considérer qu'il n'en va pas de même lorsque le salarié perd son emploi en raison du licenciement décidé par l'employeur qui "doit" le préavis. Un tel raisonnement apparaît, cependant, en contradiction avec le fait que le délai-congé constitue, à la fois, un droit et une obligation pour le salarié (11). Partant, alors même qu'il a été licencié, le salarié se doit de respecter le préavis. A défaut, il se rend, là encore, coupable d'une faute.

Dans tous les cas d'inexécution fautive du préavis par le salarié, l'employeur pourra prétendre à une indemnité égale aux salaires que le salarié aurait perçus jusqu'à l'expiration du préavis (12). Cette indemnité, qui présente un caractère forfaitaire (13), est indépendante de la réparation du préjudice supplémentaire qui peut être causé à l'employeur en cas de rupture abusive.

En conséquence, et pour en revenir à l'arrêt rapporté, la juridiction de renvoi n'aura d'autre choix que d'accorder à l'employeur une indemnité d'un mois de salaire, correspondant au préavis de licenciement que la salariée était tenue de respecter, faute d'en avoir été dispensée par l'employeur.

Pour conclure, et en s'écartant de la décision commentée, nous souhaiterions évoquer une situation qui n'a, pour l'heure, pas été envisagée par la Cour de cassation. Il s'agit de l'hypothèse dans laquelle le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail.

Il est, aujourd'hui, acquis que, lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission (14).

Il ne fait guère de doute que, lorsque la prise d'acte produit les effets d'un licenciement, le salarié sera en droit de prétendre à une indemnité compensatrice de préavis puisqu'il n'a pu en bénéficier par la faute de l'employeur. Cela étant, on est légitimement en droit de se demander si l'employeur n'est pas à même d'exiger le versement d'une indemnité lorsque la prise d'acte produit les effets d'une démission (15). Dans ce cas, en effet, le salarié se rend bien coupable d'une inexécution fautive de l'obligation en cause. Il est, toutefois, possible de rétorquer que cette solution est à écarter, dans la mesure où la prise d'acte entraîne la rupture immédiate de la relation de travail (16). Cela étant, la date de la rupture ne saurait être confondue avec le terme de la relation de travail, qui intervient au terme du préavis. Partant, l'hypothèse envisagée apparaît parfaitement plausible (17).


(1) Le dernier alinéa de l'article L. 1234-1 du Code du travail dispose, classiquement, que "les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorables pour le salarié".
(2) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) (JO du 26 juin 2008, p. 10224) ; C. trav., art. L. 1221-19 et s.. Ce délai de prévenance, qui est de vingt-quatre ou quarante-huit heures en cas de rupture à l'initiative du salarié, est compris entre vingt-quatre heures et un mois lorsque la rupture émane de l'employeur. On peut trouver étrange d'imposer un délai de prévenance d'un mois à un employeur qui, par hypothèse, n'est pas satisfait des compétences du salarié...
(3) Sur la prise d'acte de la rupture, v. infra. Un préavis doit, également, être respecté en cas de départ ou de mise à la retraite.
(4) Le préavis permet, en pratique, au salarié licencié de rechercher un autre emploi et à l'employeur de pourvoir au remplacement du salarié qui a démissionné.
(5) Il est précisé, dans l'arrêt, que le contrat de travail de la salariée prévoyait, en son article 3, qu'il pouvait être résilié de part et d'autre avec un préavis réciproque d'un mois.
(6) V., aussi, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 497.
(7) Sur l'obligation de rémunérer le salarié, v. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, ibid., § 507.
(8) Situation pour le moins hypothétique dès lors que le salarié est rémunéré normalement.
(9) V., par exemple, Cass. soc., 28 janvier 2005, n° 03-47.403, M. Jean-Pierre Herrada c/ M. Nicolas Poirier, F-P+B (N° Lexbase : A3084DGC).
(10) Ouvrage préc., § 509.
(11) Si le préavis était uniquement un droit, le salarié pourrait y renoncer de manière unilatérale.
(12) V., par exemple, Cass. soc., 9 mai 1990, n° 88-40.044, Mme Vignihoue c/ Mlle Le Pêcheur (N° Lexbase : A4159AG7).
(13) Cette solution, qui ne repose sur aucun texte, est critiquée de longue date, au regard des principes du droit de la responsabilité qui commandent la réparation du préjudice subi.
(14) Cass. soc., 25 juin 2003, 5 arrêts, n° 01-42.679, Société Technoram c/ M. Thierry Levaudel, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y), n° 01-42.335, M. Patrice Célestin c/ EURL Perl Apprets, F-P+P+B+R+I (N° Lexbase : A8976C8X), n° 01-43.578, Mme Nicole Chiche c/ Société Ecoles de danse Gérard Louas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8978C8Z), n° 01-41.150, Société Roto France'Ilienne c/ M. Michel Monroyal, FPP+B+R+I (N° Lexbase : A8975C8W), n° 01-40.235, M. Didier Faucher c/ Société anonyme Vico, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8974C8U), lire Ch. Radé., "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9951AAS).
(15) V., aussi, pour des affirmations et des interrogations similaires, Ch. Radé, Précisions sur le régime procédural de la prise d'acte, Lexbase Hebdo n° 292 du 13 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N0668BEH).
(16) Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-14.218, M. Michel Imbaud, FS-P+B (N° Lexbase : A5990D4M), avec les obs. préc. de Ch. Radé.
(17) Ecarter le versement de toute indemnité lorsque la prise d'acte produit les effets d'une démission constituerait un moyen commode pour le salarié de s'affranchir de tout respect du préavis, lorsqu'il souhaite quitter l'entreprise. Mais il est vrai que l'avènement de la rupture conventionnelle pourrait changer la donne, le salarié n'étant plus enclin à démissionner pour convenance personnelle étant entendu qu'il ne bénéficie pas, dans ce cas, des allocations chômage.

Décision

Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-42.161, Société Highlands hôtesses c/ Mme Andrée Cuadro, FS-P+B (N° Lexbase : A2312D9I)

Cassation de CPH Paris (section activités diverses, ch. 1), 24 octobre 2006

Texte visé : C. trav., art. L. 1234-5

Mots-clefs : licenciement ; démission ; préavis ; inexécution ; dispense ; indemnités.

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