La lettre juridique n°297 du 20 mars 2008 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Délégué syndical et dénonciation par l'employeur d'un engagement unilatéral

Réf. : Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-60.305, Compagnie Corsair, FS-P+B (N° Lexbase : A3383D7G)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Dénonciation, suppression, articulation, amélioration, tels sont les termes souvent rencontrés en présence de normes venant améliorer le dispositif législatif. L'employeur peut-il remettre en cause un avantage pris en application d'une disposition légale d'ordre public social ? Si la dénonciation d'un avantage concédé par l'employeur est toujours possible, il faut, néanmoins, que cet avantage soit à la disposition de l'employeur. Tel est le cas d'un engagement unilatéral par lequel un employeur offre aux syndicats la possibilité de désigner plus de délégués syndicaux que ce que prévoit la loi. C'est ce que prévoit la Haute juridiction, dans un arrêt en date du 5 mars 2008. Elle considère, ainsi, que l'employeur pouvait, sous réserve du respect du principe d'égalité entre syndicats, revenir sur l'engagement unilatéral venant augmenter le dispositif législatif et, partant, imposer au syndicat le respect de la loi. Cette décision ne peut qu'être approuvée.
Résumé

Si le nombre de délégués syndicaux fixé par la loi peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peut modifier les dispositions légales correspondantes. L'employeur, qui décide seul d'une telle augmentation, peut unilatéralement décider de revenir à l'application des textes légaux qui n'ont pas cessé d'être applicables, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés.

Commentaire

1. Légitimité de la mise en cause d'un engagement unilatéral par l'employeur

  • Caractère d'ordre public social des dispositions relatives à l'exercice de l'activité syndicale

Dans les entreprises de cinquante salariés et plus (C. trav. art., L. 412-11 N° Lexbase : L6331ACH), tout syndicat représentatif peut désigner un délégué syndical. Le nombre de délégué que peut désigner chaque syndicat varie en fonction de la taille de l'entreprise (C. trav., art. L. 412-13 N° Lexbase : L9600GQM et L. 412-1 N° Lexbase : L6326ACB).

L'article L. 412-21 du Code du travail (N° Lexbase : L6341ACT), qui vient clore le chapitre sur l'exercice du droit syndical dans les entreprises, soutient que "les dispositions du présent chapitre ne font pas obstacle aux conventions ou accords comportant des clauses plus favorables, notamment celles relatives à l'institution de délégués syndicaux ou de délégués syndicaux centraux dans tous les cas ou les dispositions législatives n'ont pas rendu obligatoire cette institution".

Dans un second alinéa, l'article L. 412-21 du Code du travail prévoit qu'"aucune limitation ne peut être apportée aux dispositions relatives à l'exercice du droit syndical tel qu'il est défini par le présent chapitre, par note de service ou décision unilatérale de l'employeur".

Ce texte pose le caractère d'ordre public social des dispositions applicables aux syndicats.

Partant, les partenaires sociaux, comme l'employeur, peuvent améliorer les règles applicables à l'activité syndicale dans les entreprises. Cette amélioration peut prendre la forme d'une convention, d'un accord collectif de travail ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, voire d'une note de service ou d'un usage. Cette source peut augmenter les droits concédés par le législateur ou permettre la désignation d'un délégué syndical là où elle n'est pas obligatoire et, singulièrement, dans les entreprises dont le seuil d'effectif ne dépasse pas cinquante salariés.

Si l'employeur peut, toujours, améliorer les droits des salariés, il ne peut venir les réduire. Toute diminution n'est, toutefois, pas forcément contraire à l'ordre public social.

Le caractère d'ordre public social des dispositions légales applicables à l'exercice du droit syndical lui interdit de diminuer les droits que les salariés tiennent de la loi mais, également, de la convention ou de l'accord collectif de travail.

  • Validité de la remise en cause d'un avantage trouvant sa source dans un engagement unilatéral de l'employeur

Singulièrement, rien n'empêche l'employeur de revenir sur un avantage qu'il avait accordé à ses salariés.

Il peut, sous réserve du respect des conditions prévues par la jurisprudence, supprimer ou, pour reprendre les termes de la jurisprudence, "remettre en cause" un droit, qui trouvait sa source dans un engagement unilatéral ou toute autre source de même niveau hiérarchique (usage, note de service...).

Il appartient, dans ce cas, à l'employeur, qui souhaite revenir sur un engagement unilatéral ou un usage, de procéder préalablement, en plus de l'information donnée aux salariés de l'entreprise, à une information des institutions représentatives du personnel, dans un délai permettant d'éventuelles négociations (Cass. soc., 3 novembre 2004, n° 02-45.945, F-D N° Lexbase : A7631DDY).

Cette procédure respectée, l'engagement unilatéral est supprimé et la ou les norme(s) qu'il venait améliorer retrouvent à s'appliquer.

Telle était la situation dans la décision commentée. Le problème ne portait pas sur les conditions de dénonciation de l'engagement unilatéral de l'employeur, mais sur le principe même de la faculté pour l'employeur de revenir sur l'avantage qu'il avait accordé.

  • Espèce

Dans cette espèce, après avoir permis, par voie d'engagement unilatéral, aux syndicats représentatifs, autres que les syndicats catégoriels constitués dans le secteur de l'aviation, de désigner quatre délégués syndicaux, au lieu des deux prévus par le Code du travail, la société avait décidé de remettre en cause cette mesure et avait informé les syndicats intéressés qu'ils ne pourraient, dorénavant, procéder au remplacement des délégués antérieurement désignés qu'après que leur nombre soit redescendu à deux.

Le syndicat CGT, indépendamment de cette dénonciation, avait désigné un salarié en qualité de délégué syndical à la suite du départ de l'un des quatre délégués qui le représentait. La société, qui entendait voir cette désignation annulée, avait saisi le tribunal d'instance.

Pour casser la décision des juges du premier degré, qui avaient débouté la société de sa demande tendant à l'annulation de la désignation du nouveau délégué syndical, la Haute juridiction rappelle que, "si le nombre de délégués syndicaux fixé par la loi peut être augmenté par accord collectif, ni un usage de l'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peut modifier les dispositions légales correspondantes" et que "l'employeur, qui décide unilatéralement d'une telle augmentation, peut unilatéralement décider de revenir à l'application des textes légaux qui n'ont pas cessés d'être applicables, sous réserve de ne pas méconnaître le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés".

Constatant la régularité de la décision de l'employeur de revenir à l'application des dispositions légales et l'absence de discrimination, elle procède directement à l'annulation de sa désignation.

Comme nous l'avons déjà affirmé, cette solution ne peut qu'être approuvée.

2. Légitimité de la faculté pour l'employeur de revenir sur un engagement unilatéral

  • Une solution de principe

Sur le principe, la solution est irréprochable. L'ordre public social permet, tout à la fois, la réglementation et impose un contenu de l'engagement unilatéral. Le principe de faveur vient, ensuite, régler le conflit créé par la présence de plusieurs normes portant sur la même cause et le même objet, en faisant primer la plus favorable au salarié et, corrélativement, en préservant celles qui ont été écartées en raison de leur caractère moins favorable au salarié (Ass. plén., 18 mars 1988, n° 84-40.083, Mme Chevallier N° Lexbase : A8500AA3, D., 1989, 221, note Chauchard).

La norme ou les normes substituées ne sont pas supprimées, elles sont en attente et pourront éventuellement trouver à s'appliquer si la norme la plus favorable vient à disparaître. Elles restent " applicables " mais ne sont pas appliquées.

L'employeur peut, ainsi, revenir sur un engagement unilatéral, sans que cette remise en cause n'entraîne un vide juridique. La simple "mise en attente" des règles écartées emporte l'application de la disposition immédiatement la plus favorable au salarié. Cette disposition peut être la loi ou, si elle existe et qu'elle est plus favorable au salarié, la convention collective.

Il n'existe donc, eu égard aux principes généraux du droit du travail, aucun obstacle à la remise en cause d'un avantage par l'employeur, pourvu que cet avantage trouve sa source dans une norme dont il peut disposer. La solution aurait, en effet, été différente, si l'avantage avait été issu d'une convention ou d'un accord collectif de travail. Ne pouvant pas en disposer, l'employeur n'aurait pas pu unilatéralement le supprimer.

Bien que justifiée, cette décision peut, cependant, être critiquée.

  • Une rédaction malaisée

Si la seconde partie de l'attendu de principe est d'une certaine clarté, il n'en va pas de même de la première partie.

La seconde partie ne pose aucune difficulté. Il est, en effet, énoncé, comme nous l'avons déjà souligné, que l'employeur peut unilatéralement décider d'adopter une norme plus favorable que ce à quoi il est tenu en application de la loi et qu'il peut, corrélativement, unilatéralement revenir dessus, à condition qu'il respecte le principe d'égalité entre tous les syndicats concernés.

Il ne faut pas voir dans cette rédaction la volonté de la Haute juridiction d'abandonner les conditions de dénonciation de l'engagement unilatéral de l'employeur. L'obligation pour l'employeur, qui revient sur un engagement unilatéral, de ne pas rompre l'égalité entre les syndicats est une condition supplémentaire à la dénonciation, elle ne se substitue aucunement aux autres conditions.

Cette condition n'est, en outre, pas nouvelle. L'employeur ne peut, en effet, accorder des droits différents selon les syndicats. Tout syndicat représentatif doit disposer des mêmes droits dans l'entreprise. Le fait que, comme dans l'espèce commentée, la CFDT soit le premier et que, par voie de conséquence, il dispose temporairement de moins de représentants que les autres syndicats de l'entreprise n'est pas de nature à entraîner une discrimination. Il s'agit d'une étape vers la réduction générale de la représentation syndicale dans l'entreprise. L'égalité ne peut pas, à ce stade, être préservée, les mandats étant intuitu personae et leur perte attachée à la personne désignée.

La première partie de l'attendu de principe est plus difficile à appréhender. La Haute juridiction vient, en effet, affirmer que, si l'accord collectif peut augmenter le nombre de délégués prévu par la loi, ni un usage ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes. Que faut-il entendre par là ?

Ainsi, selon la Haute juridiction, l'employeur ne peut pas, par voie d'engagement unilatéral, modifier le nombre de délégués fixé par la loi et qu'il ne peut pas, non plus, revenir par voie d'engagement unilatéral sur le nombre plus élevé de délégués fixé par l'accord collectif de travail. Une telle modification serait contraire au caractère d'ordre public social des règles applicables aux syndicats et au principe de la hiérarchie des normes.

La seule modification qui lui est offerte par voie d'engagement unilatéral est l'amélioration sur laquelle il peut revenir à tout moment s'il respecte les conditions inhérentes à la dénonciation.

Décision

Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-60.305, Compagnie Corsair, FS-P+B (N° Lexbase : A3383D7G)

Cassation sans renvoi de tribunal d'instance de Villejuif, 10 mai 2007

Texte concerné : C. trav., art. L. 412-21 (N° Lexbase : L6341ACT)

Mots clefs : désignation d'un délégué syndical ; engagement unilatéral de l'employeur ; augmentation du nombre de délégués désignés ; dénonciation de l'engagement unilatéral ; application des dispositions légales ; légitimité de la dénonciation ; respect du principe d'égalité entre syndicats.

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