La lettre juridique n°264 du 14 juin 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] La Cour de cassation confirme son interprétation de l'article 1145 du Code civil en dispensant le créancier d'une obligation de ne pas faire de prouver un préjudice

Réf. : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 05-19.978, M. Pierre Decoopman, FS-P+B (N° Lexbase : A5102DWU)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Une doctrine importante conteste, depuis quelques années, la notion même de responsabilité contractuelle en faisant valoir que le créancier, déçu par la prestation, a fortiori par l'absence totale de prestation, de son cocontractant n'entend pas tant rechercher la responsabilité du débiteur que l'obliger à exécuter son obligation, de préférence en nature, sinon par équivalent (1). L'occasion a déjà été donnée de dire, ici même, que nous persistions tout de même à penser, après d'autres (2), que le débiteur qui ne respecte pas ses engagements encourt bien de ce chef une responsabilité, contractuelle. Même si finalement, en effet, il est condamné à l'exécution en nature, il obtiendra de surcroît des dommages et intérêts qui sont bien l'indice d'une responsabilité. Et s'il doit se résigner à une exécution par équivalent, il est permis de penser qu'il est alors encore plus net que sa condamnation à des dommages et intérêts est la traduction de sa responsabilité, et non pas une simple exécution du contrat. Alors que la jurisprudence la plus récente concernant directement cette question paraît, il est vrai, avoir tranché en faveur de l'existence d'une responsabilité contractuelle du débiteur qui n'exécute pas, totalement ou partiellement, son obligation, quelques arrêts, sur le terrain de la sanction des obligations de ne pas faire, s'accordent tout de même assez mal avec cette orientation et méritent que l'on y insiste. Ainsi en est-il d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 31 mai 2007, à paraître au Bulletin.

En l'espèce, deux médecins, qui avaient constitué une société civile immobilière pour acquérir et gérer un immeuble, avaient conclu un contrat d'exercice en commun dans les locaux sociaux. L'acte stipulait, en cas de retrait d'un associé, sa non réinstallation dans un rayon de vingt kilomètres pendant trois ans. Or, à la suite d'une mésentente entre les contractants, l'un d'eux, cessant toute collaboration avec l'autre, a décidé d'ouvrir un cabinet personnel situé à 400 mètres de l'ancien. Son confrère l'a évidemment assigné en dommages et intérêts au titre du préjudice subi, mais fut débouté par les juges du fond, ceux-ci relevant que, si la violation de la clause de non-concurrence avait constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité contractuelle du débiteur, aucun préjudice consécutif n'était établi, étant entendu "que la simple contravention à la clause ne saurait le constituer". Leur décision est, de façon pour le moins lapidaire, cassée, pour violation de l'article 1145 du Code civil (N° Lexbase : L1245ABQ), aux termes duquel "si l'obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention".

L'arrêt confirme ainsi une orientation qui nous paraît, tout de même, assez discutable. Il faut, en effet, rappeler que, après avoir pourtant décidé, par un arrêt de sa première chambre civile du 26 février 2002, que "l'article 1145 du Code civil, qui dispense de la formalité de mise en demeure lorsque le débiteur a contrevenu à une obligation de ne pas faire, ne dispense pas celui qui réclame réparation de la contravention à cette obligation d'établir le principe et le montant de son préjudice" (3), la même première chambre civile avait choisi de prendre l'exact contre-pied de cette solution en jugeant que l'absence de préjudice souffert par le créancier du fait de la violation par le débiteur d'une obligation de ne pas faire, en particulier de non-concurrence, ne constituait pas un obstacle à la condamnation de celui-ci à réparation puisque, selon l'article 1145, "celui qui y contrevient doit des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention" (4). C'est cette interprétation littérale de l'article 1145 que consacre l'arrêt du 31 mai 2007.

En prenant ainsi le texte au pied de la lettre, la Cour réjouira les tenants de "l'exécution par équivalent" des obligations contractuelles puisqu'elle conduit à conférer au créancier un droit automatique à des dommages et intérêts sur le seul constat de l'inexécution contractuelle. Au reste, certains arrêts avaient déjà pu jeter le trouble sur la pérennité de la condition relative à l'existence d'un préjudice en matière de responsabilité contractuelle (5). Mais nul n'ignore sans doute que d'autres, d'ailleurs plus nombreux, rappelaient dans le même temps cette exigence essentielle de toute responsabilité (6). Et la troisième chambre civile, en dernier lieu, n'avait pas manqué d'énoncer, de façon tout à fait claire, que "des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle" (7). Cette solution avait été approuvée en doctrine comme étant la seule possible car, comme toute condamnation à réparation, celle qui tend à l'allocation de dommages et intérêts implique bien l'existence d'un préjudice (8). On comprendra ainsi que, sauf à vouloir réserver un sort particulier aux obligations de ne pas faire, que rien d'ailleurs ne saurait clairement justifier, la solution de l'arrêt du 31 mai dernier est contestable, non seulement d'un point de vue théorique, mais aussi d'un point de vue pratique dans la mesure où on voit mal, en effet, en l'absence de clause pénale, quel montant de dommages et intérêts un juge pourra concrètement fixer alors que le préjudice n'est pas établi devant lui...


(1) Voir not. Ph. Rémy, La "responsabilité contractuelle", histoire d'un faux concept, RTDCiv. 1997, p. 323 et s..
(2) Et, notamment, P. Jourdain, Réflexions sur la notion de responsabilité contractuelle, in Les métamorphoses de la responsabilité, PUF, 1998, p. 65 et s. ; Y. Larroumet, Pour la responsabilité contractuelle, in Le droit privé français à la fin du XXè siècle, Etudes offertes à P. Catala, Litec, 2001, p. 543 ; G. Viney, La responsabilité contractuelle en question, Mél. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 920.
(3) Cass. civ. 1, 26 février 2002, n° 99-19.053, M. Patrick Simonneau c/ M. Patrick Roumagnac, F-P sur le premier moyen (N° Lexbase : A0768AY4), Bull. civ. I, n° 68, RTDCiv. 2002, p. 809, obs. J. Mestre et B. Fages.
(4) Cass. civ. 1, 10 mai 2005, n° 02-15.910, M. François Biard c/ M. Christian Breut, FS-P+B (N° Lexbase : A2213DIS), Bull. civ. I, n° 201, Rép. Defrénois 2005, p. 1247, obs. J.-L. Aubert.
(5) Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-15.202, Société civile immobilière (SCI) du Centre commercial Croix Dampierre c/ Société Centre automobile Croix Dampierre (CACD), FS-P+B (N° Lexbase : A8981AXW), Bull. civ. III, n° 17, RTDCiv. 2002, p. 321, obs. P.-Y. Gautier.
(6) Cass. civ. 1, 18 novembre 1997, n° 95-19.516, Société Self Tissus c/ Société Acor Atlantique (N° Lexbase : A0705AC4), Bull. civ. I, n° 317; Cass. civ. 1, 26 février 2002, préc..
(7) Cass. civ. 3, 3 décembre 2003, n° 02-18.033, Société civile immobilière (SCI) Place Saint-Jean c/ société Precom, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3757DAE), JCP éd. G, 2003, I, 163, n° 2, obs. G. Viney, RTDCiv. 2004, p. 295, obs. P. Jourdain.
(8) Voir not. P. Jourdain, obs. RTDCiv. 2002, p. 816 et RTDCiv. 2003, p. 711.

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