La lettre juridique n°218 du 8 juin 2006 : Rapport de la Cour de cassation pour 2005

[Focus] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2005 à la lumière du rapport de la Cour de cassation : social général (2ème partie)

Réf. : Rapport de la Cour de cassation pour 2005

Lecture: 10 min

N9327AKN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Focus] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2005 à la lumière du rapport de la Cour de cassation : social général (2ème partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208372-focus-la-jurisprudence-de-la-cour-de-cassation-rendue-en-2005-a-la-lumiere-du-rapport-de-la-cour-de-
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

En raison de la récente diffusion, sur le site Internet de la Cour de cassation, de son rapport annuel 2005, Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose, cette semaine, de retrouver, dans ses colonnes, les commentaires des éclairages apportés par la Cour sur les arrêts ayant marqué l'année 2005. Une série de six articles vous est donc proposée, balayant la jurisprudence sociale rendue en matière de relations individuelles de travail, de relations collectives de travail et, enfin, de Sécurité sociale.
  • Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-40.251, Société Carcoop France c/ M. Michel Buisson, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2739DHW), lire nos obs., Le représentant du personnel peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 160 du 24 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2298AIX)

Revenant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a affirmé dans cet arrêt que "si la procédure de licenciement du salarié représentant du personnel est d'ordre public, ce salarié ne peut être privé de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement, par ce dernier, à ses obligations".

La solution se justifiait, à la fois, par le souci de ne pas exclure les salariés protégés des avantages de la procédure de demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, ainsi que par le fait que le salarié protégé qui demande lui-même la résiliation de son contrat ne se trouve pas, par hypothèse, confronté à une tentative de contournement de son statut protecteur par l'employeur.

Nous avions toutefois signalé que le juge prud'homal allait éprouver des difficultés pour octroyer au salarié des indemnités. Lorsqu'il prononce la résiliation judiciaire du contrat, aux torts de l'employeur, il fait produire à la rupture les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Or, le licenciement d'un salarié protégé, sans autorisation administrative, n'est pas seulement injustifié, il est également nul, ce qui modifie considérablement l'étendue du droit à indemnisation du salarié.

Le rapport annuel ne répond pas à cette question, et se contente de justifier la solution par la volonté de donner au salarié protégé le même droit qu'au salarié ordinaire, en lui offrant une porte de sortie humainement acceptable de l'entreprise en cas de problèmes relationnels graves avec son employeur.

On ne pourra, ici, que regretter que la Cour de cassation n'ait pas été plus explicite sur les conséquences indemnitaires de la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l'employeur. Espérons qu'elle aura prochainement l'occasion de se prononcer sur cette question.

  • Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.751, Mme Laurence Orth c/ APEI, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1388DLY) ; Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.585, Mme Chantal Antoine c/ Association médicale du travail du Jura, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1387DLX), lire nos obs., La rupture du contrat de travail du salarié protégé pendant la période d'essai soumise à l'autorisation préalable de l'inspection du travail, Lexbase Hebdo n° 188 du 3 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0314AKT)

Poursuivant sa jurisprudence visant à restreindre le caractère dérogatoire du régime juridique de la période d'essai, la Cour de cassation affirme, dans cet arrêt, que les dispositions légales qui assurent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun à certains salariés, en raison du mandat ou des fonctions qu'ils exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs, s'appliquent à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur pendant la période d'essai, faisant application de ce principe au conseiller du salarié et au médecin du travail.

Nous avions relevé que cette jurisprudence semble faire fi des dispositions pourtant claires du Code du travail qui excluent, pendant la durée de la période d'essai, l'ensemble des dispositions de la sous-section relative au licenciement (C. trav., art. L. 122-4, alinéa 2 N° Lexbase : L5554ACP) et, notamment, les règles statutaires propres aux salariés protégés.

A cet argument de texte, la Chambre sociale oppose un conflit de logique et considère que la protection des salariés protégés relève de la volonté de lutter contre les discriminations, et que les dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) doivent prévaloir, de par leur importance, sur les règles qui gouvernent la sanction des licenciements abusifs : "l'article L. 122-45 du Code du travail, texte inspiré par un principe fondamental du droit européen et national, inséré dans une section spéciale du Code du travail et ayant une portée générale, a pour finalité de lutter contre les diverses formes de discriminations dans le droit du travail [...]. Son champ d'application est donc large, et sa sanction énergique puisqu'il dispose in fine que toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul de plein droit. Et un courant doctrinal considère que les motifs discriminatoires de rupture n'ayant pas de rapport avec la finalité de la période d'essai, on ne se trouve plus alors sur le terrain de l'abus mais sur celui du comportement illicite visé à l'article L. 122-45".

C'est donc essentiellement par un argument d'opportunité que se justifie cette décision qui, selon les propres termes du rapport, élargit "le champ d'application du régime des nullités pour discrimination" et ainsi "contribue à en accroître l'effectivité".

Nous nous étions également interrogés sur la portée de cette décision pour les salariés dont le licenciement est soumis à des conditions restrictives, mais sans qu'aucune autorisation ne soit nécessaire, comme les grévistes ou les femmes enceintes. Sur cette question, le rapport est malheureusement muet, et il faudra donc attendre les prochaines décisions pour être fixée, même si l'argument tiré de la volonté de donner à l'article L. 122-45 du Code du travail la portée la plus grande nous incite à penser que tous les salariés visés par ce texte devraient voir leur protection particulière affirmée pendant la période d'essai.

  • Cass. soc., 15 juin 2005, n° 03-48.094, Philippe Regnaut c/ Société Wolber, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6829DIR), lire nos obs., Affaire "Wolber" : à l'impossible nul n'est tenu !, Lexbase Hebdo n° 173 du 23 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N5701AIY)

Mettant un terme à la très médiatique affaire "Wolber", qui avait vu une juridiction prud'homale annuler un plan de sauvegarde de l'emploi et ordonner la réindustrialisation d'un site entre temps démantelé par une filiale à 100 % de Michelin, la Cour de cassation a affirmé dans cet arrêt "que la réintégration, demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant leurs licenciements, était devenue matériellement impossible".

Nous avions remarqué que la formule employée, qui semblait limiter la réintégration des salariés dans les seuls emplois disponibles dans l'entreprise, semblait, en réalité, liée à l'objet de la demande des salariés qui n'avaient pas demandé à être réintégré sur d'autres sites, ou au sein du groupe.

Malheureusement, le rapport n'en dit pas plus et se contente de justifier la solution par des éléments de fait tenant à l'impossibilité effective de réintégrer les salariés dans des emplois depuis effectivement supprimés. Par ailleurs, le rapport souligne que les nouvelles dispositions introduites par la loi du 18 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49) n'étaient pas applicables aux faits de l'espèce, sans prendre partie sur l'interprétation que la Cour de cassation pourrait donner des nouvelles dispositions de l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74) dans l'avenir.

On peut, toutefois, ajouter à cet arrêt une décision postérieure qui est venue affirmer que la réintégration ne pouvait pas s'opérer au sein du groupe, distinguant là l'obligation de réintégration de l'obligation de reclassement (Cass. soc., 15 février 2006, n° 04-43.282, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8880DMT, lire les obs. de Ch. Willmann, Annulation du plan de sauvegarde de l'emploi : le périmètre de l'obligation de réintégration, Lexbase Hebdo n° 204 du 2 mars 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5166AKK).

  • Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-46.201, M. Joël Ains c/ Société Les Pages Jaunes, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3500DML) ; Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 05-40.977, Société Pages Jaunes c/ M. Philippe Delporte, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3522DME), lire nos obs., Un nouveau pas en avant pour le licenciement économique fondé sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 198 du 19 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3341AKX)

Assouplissant la jurisprudence dégagée en 1995 et autorisant le licenciement économique pour assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet, dans ces arrêts "Pages Jaunes", le recours à des licenciements préventifs liés à "des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement".

Ces arrêts ont fait couler beaucoup d'encre, et on attendait avec impatience les éléments du rapport sur cet arrêt.

Comme on pouvait s'y attendre, la Cour de cassation minimise la portée de ces décisions qu'elle rattache très directement à la jurisprudence "Vidéocolor" dégagée en 1995 (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3) et à un mouvement législatif plus vaste visant à privilégier la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Il est, d'ailleurs, intéressant de constater, ici, le lien opéré formellement entre la promotion des accords de GPEC, dans la loi du 18 janvier 2005, et l'analyse des licenciements économiques qui pourraient être prononcés ultérieurement.

Selon le rapport, "on peut d'ailleurs se demander si dans les entreprises où l'article L. 320-2 du Code du travail s'applique, la nouvelle obligation de négocier sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences et les mesures d'accompagnement susceptibles d'y être associées ainsi que sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi et les salaires, ne devrait pas conduire à une approche plus rigoureuse des mesures de licenciement économique qui interviendraient par la suite, notamment lorsque la gestion prévisionnelle aura été défaillante".

Le message adressé aux entreprises est alors clair : négociez la GPEC, et les juges seront plus conciliant sur le critère de la sauvegarde de la compétitivité des entreprises, ou alors attendez-vous à voir cette porte se refermer, l'entreprise devant désormais privilégier la négociation sur le licenciement et pouvant se voir ainsi sanctionnée si elle n'a pas cherché loyalement à négocier les changements à intervenir dans l'entreprise. A bon entendeur !

  • Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02-43.560, M. Patrick Monange, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2741DHY), lire nos obs., L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale se prescrit par trente ans, Lexbase Hebdo n° 161 du 31 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2499AIE)

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a considéré que "l'action en réparation du préjudice résultant d'une [...] discrimination (syndicale) se prescrit par trente ans".

Si nous avions souligné que l'application de la prescription trentenaire participait de l'effectivité de la lutte contre les discriminations dont sont victimes les syndicalistes, notamment dans le déroulement de leur carrière, nous avons contesté la solution à la fois pour des raisons juridiques, la prescription décennale applicable en matière extracontractuelle nous semblant plus adéquate, et pratiques, les entreprise étant souvent dans l'impossibilité de fournir au juge les éléments objectifs justifiant le traitement réservé aux salariés sur une période aussi longue.

On attendait donc, là encore, les observations de la Cour de cassation dans le cadre du rapport annuel.

La lecture du rapport sur ce point n'est guère surprenante car ce sont bien des questions d'opportunité qui justifient la solution. Selon la Cour, il n'est, tout d'abord, pas possible de séparer, dans les prétentions du salarié, ce qui relève de la demande en paiement de salaires de la réparation du préjudice causé par la discrimination elle-même, justifiant ainsi l'application d'une prescription unique ("Le législateur a donc entendu faire en quelque sorte masse de tous les types de préjudices liés à une telle discrimination, et cela sans distinguer entre les conséquences en résultant, de sorte qu'il aurait été hasardeux, et difficile d'application, d'en extraire le préjudice lié à un manque à gagner salarial pour le soumettre à la prescription quinquennale").

Le choix de la prescription trentenaire s'explique également par de pures raisons d'opportunité : "une prescription courte est mal adaptée à ce type de contentieux, dans la mesure où la discrimination syndicale est difficile à prouver et que c'est au fil du temps que le salarié se rend compte par comparaison avec les traitements reçus par ses collègues qu'il est victime d'une discrimination ; sans doute, cet inconvénient pourrait être résolu en faisant varier le point de départ de la prescription mais cette question ne se posera réellement que lorsque la durée de la prescription contractuelle de droit commun, actuellement de trente ans, sera ramenée à dix ans comme cela est envisagé".

Nous regrettons personnellement qu'à aucun moment la Cour n'ait envisagé l'application de la prescription de dix ans applicable en matière de responsabilité extracontractuelle, car la discrimination constitue bien un comportement qui nous semble détachable de l'exécution normale du contrat de travail.

  • Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017, M. Philippe Klajer c/ Société Cathnet-Science, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2997DIT), lire nos obs., L'employeur et les fichiers personnels du salarié : la Cour de cassation révise la jurisprudence "Nikon", Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4601AIA)

Revenant sur les solutions dégagées dans la fameuse affaire "Nikon", la Cour de cassation a considérablement assoupli sa position en donnant à l'employeur qui cherche à se constituer des preuves de fautes commises par son salarié des moyens beaucoup plus efficaces. Désormais, "sauf risque ou événement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé".

La lecture de l'arrêt laissait toutefois une incertitude sur la portée de la formule, même s'il semblait bien que celle-ci devait se lire comme autorisant l'employeur à ouvrir les fichiers du salarié, contre sa volonté, dès lors que ce dernier est présent, ou à tout le moins a été dûment appelé, à moins que l'urgence ou un événement particulier ne justifie que cette consultation ne se fasse sans sa présence, ni même qu'il en ait été au préalable informé.

Sur ce premier point, le rapport est parfaitement clair et cette lecture totalement exacte : l'ouverture des fichiers ne peut se faire "qu'en présence du salarié ou celui-ci dûment appelé ; à défaut, la preuve est illicite", et ce n'est "qu'en cas de risque ou événement particulier [...] que l'ouverture de fichiers personnels peut se faire en l'absence du salarié".

Une seconde incertitude, plus factuelle, concernait les hypothèses visées par l'"urgence" ou ces "circonstances exceptionnelles" autorisant l'employeur à ne pas informer le salarié de ses intentions. La Cour de cassation cite, ici, comme exemple à "l'urgence de récupérer des dossiers indispensables au fonctionnement de l'entreprise ou à sa sécurité ou au risque imminent de perdre des éléments de preuve".

Il restera donc aux juges du fond de compléter la liste des ces cas.

newsid:89327

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.