La lettre juridique n°209 du 6 avril 2006 : Sociétés

[Jurisprudence] La fusion face aux clauses d'agrément

Réf. : CA Paris, 3ème ch., sect. B, 9 février 2006, n° 05/03072, Société anonyme Eurofog c/ SAS Ixsea (N° Lexbase : A2997DNC)

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le 07 Octobre 2010

C'est un arrêt fort intéressant que vient de rendre la cour d'appel de Paris le 9 février 2006, relatif à l'application d'une clause statutaire d'agrément à l'hypothèse d'une fusion par absorption. Les termes de ce débat sont connus (1). Antérieurement à la fusion, la société absorbée détenait une participation au sein d'une société tierce, dont les statuts renfermaient une clause d'agrément. Lesdites actions sont entrées dans le patrimoine de l'absorbante en vertu du transfert universel du patrimoine affirmé par l'article L. 236-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6353AI7). Celle-ci doit-elle obtenir l'agrément des associés de la société tierce, en vertu de la clause ? Les faits à l'origine de la décision commentée sont en tout point similaires à cette hypothèse.

En 1995, trois sociétés, SFIM Industries, SFIM Gmbh et Photonetics, avaient décidé de créer une troisième société, Eurofog.

Le 10 mai 2000, SFIM Industries fut absorbée par la société Sagem (devenue ultérieurement Safran), tandis que, le 5 octobre 2000, Photonetics céda la totalité de sa participation au sein d'Eurofog à sa filiale, la société Ixsea.

Celle-ci demanda, l'année suivante, la nullité du transfert d'actions à la société Sagem, faute pour cette dernière d'avoir sollicité, et a fortiori recueilli, l'agrément en qualité d'actionnaire de la société Eurofog. Elle sollicita, en outre, du juge l'application de la procédure de rachat, prévue à l'article L. 228-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L8379GQE), des titres détenus par Safran.

La cour d'appel de Paris, à la suite du tribunal de commerce d'Evry, a fait droit à ses demandes. Les juges du fond appliquent, ainsi, une clause d'agrément à une fusion (I), et ordonnent le rachat des actions rentrées dans le patrimoine de la sociétés Safran par l'effet de la fusion (II).

I - L'application de la clause d'agrément

La liberté contractuelle permet aux associés de déterminer librement le contenu du contrat de société et devrait donc, logiquement, valider la clause d'agrément visant la fusion en tant que fait générateur. Mais, ce principe de liberté se heurte à deux règles. En premier lieu, la règle de transfert universel du patrimoine, posée à l'article L. 236-3 du Code de commerce, implique que les actions détenues au sein de la société tierce par l'absorbée passent directement dans le patrimoine de l'absorbante, par le seul effet de la fusion. Ce principe ayant un caractère d'ordre public, une stipulation statutaire ne saurait l'écarter et prévoir que la substitution d'actionnaires, opérée par la fusion, doive donner lieu à agrément (2). Cette objection n'emporte pas l'adhésion. En effet, le caractère d'ordre public interdit uniquement d'écarter le transfert universel du patrimoine dans le traité de fusion et nullement de soumettre la transmission d'un droit à l'accord d'un tiers (3).

En second lieu, le principe de libre négociabilité de l'action (ou libre cessibilité), affirmé à l'article L. 228-24 du Code de commerce, interdit d'étendre les clauses d'agrément aux fusions. En effet, cette règle serait de l'essence des sociétés anonymes. Par conséquent, les exceptions ne peuvent être que d'origine législative. Or, la loi n'a pas visé les fusions, mais uniquement les cessions. Dès lors, la volonté des parties est impuissante à étendre l'application d'une clause d'agrément à une fusion. Cet argument ne convainc pas. En effet, la jurisprudence considère que seul "le principe de négociabilité de l'action est de l'essence de la société anonyme" (4), et non sa libre négociabilité. Par conséquent, rien n'interdit de soumettre un transfert d'actions, par voie de cession ou de fusion, à un agrément préalable, à condition que lui soit adjoint un mécanisme destiné à empêcher que l'actionnaire ne soit prisonnier de son titre (5).

De fait, la jurisprudence valide les clauses d'agrément visant expressément les hypothèses de fusions (6), voire uniquement de cessions, si le terme "cession", défini par ailleurs, englobe les fusions (7). Les juges du fond sont donc souverains pour interpréter la clause d'agrément et rechercher si les parties au contrat de société ont entendu viser les fusions dans cette stipulation.

L'arrêt commenté vient rappeler cette solution. En l'espèce, la clause statutaire d'agrément prévoyait que "tout projet de cession à des tiers, à l'exclusion de filiales contrôlées majoritairement par l'un ou l'autre des actionnaires, de personnes physiques ou morales nommées administrateurs, à quelque titre et sous quelque forme que ce soit, alors même qu'elle ne porterait que sur la nue-propriété ou l'usufruit, devra être notifié par le cédant au conseil d'administration par lettre recommandée avec accusé de réception mentionnant le nombre d'actions à céder, leur catégorie, le nom ou dénomination sociale de l'acquéreur éventuel, le prix demandé et les conditions de son règlement. Le conseil disposera, à compter de cette notification, d'un délai de trois mois pour indiquer au cédant s'il agrée ou non le cessionnaire. Les dispositions du présent article sont applicables dans tous les cas de cession entre vifs, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux, alors même que la cession aurait lieu par voie d'adjudication publique en vertu d'une décision de justice. Ces dispositions sont également applicables en cas d'apport en société, d'apport partiel d'actif de fusion ou de scission".

C'est, donc, fort logiquement que les magistrats parisiens ont considéré que la clause d'agrément devait s'appliquer dans l'hypothèse d'une fusion, les associés de la société Eurofog, y compris l'absorbée, ayant clairement manifesté une volonté en ce sens.

Néanmoins, en l'absence de référence expresse à la fusion, la clause serait-elle applicable si elle se bornait à viser "les cessions", ce terme n'étant pas défini par ailleurs ? Le doute est permis dans la mesure où une fusion, du fait du transfert universel du patrimoine qu'elle opère, est irréductible à une cession isolée. Cependant, à la réflexion, il nous semble que plusieurs arguments autorisent l'application de la clause qui ne viserait que les cessions. En premier lieu, l'article L. 228-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L8378GQD) fait référence à la cession, "à quelque titre que ce soit", et non, uniquement, aux cessions isolées (8). En second lieu, la jurisprudence adopte une conception large de la notion de cession et y assimile d'autres institutions ayant le même effet (9).

Certains arrêts (10) refusent d'étendre la clause d'agrément prévue pour les seules cessions aux fusions et scissions. Néanmoins, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt en date du 19 mars 1982 (11) a étendu une clause d'agrément visant les "cessions de droits sociaux" à une autre opération, non expressément visée par la stipulation statutaire.

Cependant, pour éviter toute ambiguïté, le praticien prendra soin d'englober la fusion parmi les opérations susceptible de donner lieu à l'application d'une clause d'agrément (12).

L'arrêt commenté s'inscrit, ainsi, dans le droit fil de la jurisprudence traditionnelle. Son apport principal est ailleurs, et réside dans la sanction attachée à la violation d'une clause d'agrément.

II - La sanction de la clause d'agrément

L'article L. 228-23 du Code de commerce prévoit in fine une sanction particulièrement radicale. Aux termes de ce texte, en effet, "toute cession en violation d'une clause d'agrément figurant dans les statuts est nulle".

Cependant, cette mesure est particulièrement inadaptée aux hypothèses de fusions. Le retour au statu quo ante, qui découle de la nullité, est impossible puisque, par hypothèse, l'actionnaire initial, la société absorbée, a disparu.

Dès lors, certains auteurs ont proposé une autre solution (13). Selon eux, du fait du défaut d'agrément, l'absorbante ne recueille en aucun cas la qualité d'associée, avec toutes les prérogatives attachées à cette qualité, mais seulement la valeur des droits sociaux. En d'autres termes, elle reçoit uniquement la finance du titre mais non le titre lui-même. Cette situation ne saurait, bien entendu, s'inscrire dans la durée, faute pour la société absorbante de se débarrasser de la participation acquise ni de pouvoir exercer pleinement les droits d'associés. La seule solution pour sortir de cette impasse réside dans le rachat des titres par la société émettrice, suivi d'une réduction de capital, ou par les associés de celle-ci, conformément aux dispositions de l'article L. 228-24 du Code de commerce. Il convient donc d'étendre ce texte à l'hypothèse de défaut d'agrément, même s'il ne vise expressément que celle du refus d'agrément.

De fait, la Cour de cassation, dans son arrêt précité du 6 mai 2003, avait paru avaliser ce raisonnement (14). En l'espèce, la Haute juridiction applique l'article L. 228-24 et fait référence au délai de trois mois dont dispose le conseil d'administration pour faire procéder à l'acquisition des titres. C'est donc que, dans l'esprit de la Chambre commerciale, en cas de défaut d'agrément, il y a lieu d'appliquer la procédure de rachat prévue par ce texte.

L'arrêt commenté va encore plus loin puisqu'il considère expressément que, dans l'hypothèse où l'agrément n'a pas été sollicité, les titres de l'absorbante doivent être rachetés, sur le fondement de l'article L. 228-24 in fine.

Selon la cour d'appel, "si, selon l'article L. 228-23 du Code de commerce, toute cession effectuée en violation d'une clause d'agrément figurant dans les statuts est nulle, il est exact que le retour à l'état antérieur, n'est pas possible en l'espèce en raison de la disparition de la société SFIM INDUSTRIES, absorbée par la société SAGEM. L'allocation de dommages et intérêts, qui constituerait dans un tel cas la seule sanction appropriée, selon les appelantes, ne répond pas à l'objectif de la clause d'agrément insérée aux statuts. Il y a lieu, par suite, d'appliquer le dispositif de rachat prévu à l'article L. 228-24 en cas de refus d'agrément, étant observé que ce dispositif vise à tirer les conséquences d'un défaut d'agrément, ce qui correspond à la situation de la société SAGEM, qui n'a pas reçu l'agrément du conseil d'administration. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a annulé le transfert des actions et désigné un expert pour évaluer ces actions avant le 10 mai 2000, date du transfert".

Cette solution mérite d'être pleinement approuvée. En effet, les sociétés parties à la fusion ont commis une faute, en ne sollicitant pas l'agrément des associés de la société émettrice. Ceux-ci subissent un préjudice, en ce qu'ils sont privés de la possibilité, offerte par les statuts, de choisir leur coassocié. Ce préjudice doit être réparé. Comme le souligne la cour d'appel, les dommages et intérêts ne sont pas adaptés dans la mesure où leur allocation laisserait perdurer la situation. Par conséquent, par application du principe de la réparation adéquate, qui gouverne le droit de la responsabilité civile (15), il y a lieu de choisir le rachat forcé des titres de l'absorbante comme mode de réparation du préjudice subi.

En définitive, deux enseignements peuvent être tirés de cette très intéressante décision. D'une part, et cela confirme une jurisprudence bien établie, une clause statutaire d'agrément peut valablement viser une fusion. D'autre part, si ladite clause venait à être méconnue, et l'agrément non sollicité, la société émettrice pourrait racheter les titres détenus par l'absorbante indésirable.

Renee Kaddouch
Docteur en droit
Centre de droit financier de l'Université Paris I, Panthéon Sorbonne
Avocat à la Cour, JeantetAssociés


(1) V. not., sur cette question, M. Jeantin, Clauses d'agrément et fusions de sociétés commerciales, Dr. Sociétés, mai 1988, p. 2 ; I. Urbain-Parléani, La fusion absorption à l'épreuve des clauses d'agrément. Le cas particulier de la transmission des droits sociaux détenus dans le capital d'une société tierce, Mélanges Yves Guyon, 2003, p. 1061 ; A. Constantin, L'application des clauses d'agrément en cas de fusion ou scission : le poids des mots, le choc des principes, Bull. Joly, 2003, p. 742 ; J.-P. Bertrel, Fusions-acquisitions et clause d'agrément : du nouveau en jurisprudence, Dr. et patrimoine, octobre 2003, p. 36.
(2) En ce sens, V. not. M. Jeantin, La transmission universelle du patrimoine, in Mélanges Jean Derruppé, 1991, p. 287 et s.
(3) Rappr., pour les contrats conclus intuitu personae, Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-16.878, Société Garage Loustaunau c/ Société Etablissements Lavillauroy, F-P+B (N° Lexbase : A9814DL3) - sur cet arrêt, lire R. Kaddouch, La fusion face aux contrats intuitu personae, Lexbase Hebdo n° 201, du 8 février 2006 - éditions affaires (N° Lexbase : N4162AKD)
(4) Cass. com., 22 octobre 1969, n° 67-10.189, Société Calciphos et autre c/ Compagnie d'assurance L'Europe (N° Lexbase : A9314DNB), Bull. civ. IV n° 307.
(5) Dans le cas contraire, il y aurait atteinte à la négociabilité de l'action.
(6) Cass. com., 6 mai 2003, n° 01-03.172, Société Financière des laboratoires de cosmétologie Yves Rocher c/ Société Sanofi Synthelabo, FS-D (N° Lexbase : A7903BSI) : "après avoir exactement énoncé que la fusion absorption ne figure pas expressément au nombre des actes pour lesquels la clause d'agrément est interdite par l'article 274 de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article L. 228-23 du Code de commerce, c'est par une appréciation souveraine du sens et de la portée de l'article 13 des statuts de la société Laboratoires Yves Rocher que la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, retenu qu'en décidant que 'la transmission de toute action ou certificat d'investissement à un tiers non actionnaire est soumise au droit d'agrément du conseil d'administration', les associés de la société Laboratoires Yves Rocher ont entendu soumettre à l'agrément toute forme de transfert des titres et non pas seulement la cession entre vifs".
(7) Cass. com., 3 juin 1986, n° 85-12.657, Le Groupement Aptésien de la Cerise industrielle Aptunion c/ Société Clerici et compagnie (N° Lexbase : A5077AAB).
(8) En ce sens, I. Urbain-Parléani, La fusion absorption à l'épreuve des clauses d'agrément. Le cas particulier de la transmission des droits sociaux détenus dans le capital d'une société tierce, précité.
(9) V. pour un partage, Cass. com., 12 novembre 1996, n° 94-11.370, Mme Nazélie Manasselian et autres c/ Société d'installations de force et de télécommunications (SIFT) et autres (N° Lexbase : A2053CST), Bull. Joly, 1997, p. 219, note J.-P. Garçon ; pour un apport en société, Cass. com., 21 janv. 1970, n° 68-11.085, Société Cassegrain c/ Garnier (N° Lexbase : A6545AGI), Rev. Sociétés, 1970, p. 292.
(10) CA Chambéry, 26 novembre 2002, n° 00/01443, SA Pernat Industrie c/ SA Banque de Vizilled, D. 2003, p. 1216, note B. Espesson-Vergeat ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 18 févr. 2000, n° 1999/16771, SA Finatral c/ SA Banque de Vizille (N° Lexbase : A0599DC8), Bull. Joly, 2000, p. 727, note P. Le Cannu.
(11) RTD com. 1982, p. 258, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.
(12) Pour éviter les lourdeurs de la procédure, alors même que le principe de l'agrément est acquis, les fusions entre sociétés d'un même groupe pourront alors être expressément exclues.
(13) P. Le Cannu, Droit des sociétés, Montchrestien, 2° éd., 2003, n° 1570 ; I. Urbain-Parléani, La fusion absorption à l'épreuve des clauses d'agrément. Le cas particulier de la transmission des droits sociaux détenus dans le capital d'une société tierce, précité ; A. Constantin, L'application des clauses d'agrément en cas de fusion ou scission : le poids des mots, le choc des principes, précité, spéc., n° 22.
(14) Cass. com., 6 mai 2003, précité.
(15) Sur cette règle, V. not., F. Leduc, Juris-Classeur Civil, Art. 1382 à 1386, fasc. 201, 1996, spéc., n° 39 et s.

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