La lettre juridique n°187 du 27 octobre 2005 : Sociétés

[Le point sur...] Le contrôle des rémunérations, entre le dédale et l'impasse...

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par Jean-Philippe Dom, Maître de conférences à l'Université de Caen

le 07 Octobre 2010

La transparence des rémunérations est sortie à la fois renforcée et délimitée de la loi "Breton" . La fin de l'année 2005 approchant, à l'occasion de l'établissement des rapports annuels, les interrogations se font nombreuses sur ce sujet. Il est vrai que la matière est nouvelle et que la réforme a été, en bien des points, pour le moins hâtive et hasardeuse pour ce qui est du contrôle du commissaire aux comptes et la procédure des conventions réglementées.

I - Le contrôle par le commissaire aux comptes

Il est, tout d'abord, une bien singulière disparition. L'article 9-II de la loi n° 2005-842, du 26 juillet 2005 avait inséré une phrase au troisième alinéa de l'article L. 225-235 du Code de commerce (N° Lexbase : L3895HBU). Suivant celle-ci, mission était donnée au commissaire aux comptes de la société d'attester "spécialement" l'exactitude et la sincérité des informations visées aux trois premiers alinéas de l'article L. 225-102-1 du même code (N° Lexbase : L3957HB8). Instaurée au mois de juillet, cette obligation s'est éteinte dès septembre. En effet, l'article 20 III de l'ordonnance du 8 septembre 2005, n° 2005-1126, relative au commissariat aux comptes (N° Lexbase : L9911HBP) a, notamment, abrogé les alinéas 1 à 4 de l'article L. 225-235 du Code de commerce.

L'ordonnance en question n'était pourtant pas à même de réaliser une telle coupe sombre dans le Code de commerce. Prise en application de l'article 28, 2° de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU), elle devait "opérer la refonte des livres II et VIII du code de commerce en ce qu'ils concernent les commissaires aux comptes et intégrer dans le livre VIII du même code les règles applicables aux commissaires aux comptes, en améliorant la formation et le contrôle des commissaires aux comptes ainsi que le fonctionnement du Haut Conseil du commissariat aux comptes et en permettant à celui-ci de négocier et conclure des accords de coopération avec les autorités des autres Etats exerçant des compétences analogues ou similaires".

L'abrogation est probablement accidentelle. Elle semble être le résultat d'une erreur matérielle. Or, suivant une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation, du 22 mai 1975, "le décret n° 73-1046 du 15 novembre 1973, qui n'était qu'une oeuvre de codification des textes antérieurs, n'avait pas eu pour objet de modifier les dispositions contenues dans ceux-ci" (Cass. soc., 22 mai 1975, n° 75-60.027, Margutti c/ Negrerie, Simon, publié, Bull. III, n° 268 N° Lexbase : A5613CIQ). En conséquence, cet arrêt rejette le pourvoi qui se prévalait de la substitution, dans l'article L. 435-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6446ACQ), d'une conjonction "ou" à une conjonction "et". Cette conjonction "et" figurait initialement dans l'article 3 de la loi du 29 décembre 1972 remplacé par le nouveau texte (v. la présentation faite de cet arrêt, à propos de l'article 631 du Code de commerce N° Lexbase : L6009CZL, par Fabrice Fages et Claire Vexliard, "De l'abrogation par mégarde de certains articles du Code de commerce [Chronique d'une renaissance annoncée]" : Dr. 21., 2001, E 002).

Au secours de sa mission, en attendant une prochaine loi de ratification, le commissaire aux comptes peut, soit s'appuyer sur cette jurisprudence -une réponse ministérielle serait néanmoins bien utile à cet effet !!!- soit se référer à l'article L. 823-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L3059HCB). Cependant, la généralité des termes de ce dernier texte ne permet pas de justifier une mission spécifique concernant l'attestation d'exactitude et de sincérité des informations visées aux trois premiers alinéas de l'article L. 225-102-1 du Code de commerce.

II - Les conventions réglementées

Un autre objet d'étonnement provient de la rédaction des articles L. 225-22-1 (N° Lexbase : L3775HBG), L. 225-42-1 (N° Lexbase : L4054HBR), L. 225-79-1 (N° Lexbase : L3811HBR), et L. 225-90-1 (N° Lexbase : L3739HB4) du Code de commerce. Ces textes organisent la mise oeuvre de la procédure des conventions réglementées (C. com., art. L. 225-38 et s. N° Lexbase : L5909AIP) afin d'assurer le contrôle et la transparence des rémunérations versées aux dirigeants sociaux.

Deux catégories de textes peuvent être établies et concernent les membres du directoire, le président, le directeur général et les directeurs généraux délégués des sociétés anonymes cotées en bourse.

En premier lieu, les articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 requièrent la mise en oeuvre de la procédure des conventions réglementées pour les engagements :

- pris aux bénéfices de ces dirigeants par la société cotée, celles qu'elle contrôle ou qui la contrôlent ;
- "correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions ou postérieurement à celles-ci".

En second lieu, les articles L. 225-22-1 et L. 225-79-1 du Code de commerce peuvent, également, être rapprochés. Ils se rapportent à l'hypothèse de nomination aux fonctions de dirigeant d'une personne liée par un contrat de travail à la société cotée ou aux sociétés qui contrôlent ou sont contrôlées par celle-ci. Dans ce cas, "les dispositions du contrat de travail correspondant, le cas échéant, à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions ou postérieurement à celles-ci", sont soumises aux dispositions relatives aux conventions réglementées.

Le premier groupe de textes concerne, ainsi, les rémunérations liées au mandat social, alors que le second suppose (les termes "le cas échéant" rappellent -était-ce utile ?- que tout contrat de travail ne contient pas nécessairement des dispositions relatives à un mandat social exercé par le salarié) une indivisibilité des fonctions de salarié et de mandataire social. Les situations juridiques visées ne sont donc pas identiques. Néanmoins, les questions en suspens englobent toutes les situations. Elles visent, d'une part, les rapports qu'entretiennent l'application de la loi dans le temps et, au cas particulier, la procédure des conventions réglementées dans les sociétés anonymes et, d'autre part, le respect de l'effet relatif des conventions et de la personnalité des sociétés d'un même groupe.

A - La procédure des conventions réglementées confrontée à l'application de la loi dans le temps

Le législateur a précisé que ces dispositions sont applicables aux conventions conclues à compter du 1er mai 2005 (loi n° 2005-842, du 26 juillet 2005, dite de modernisation de l'économie, art. 8, II). En pratique, si la convention ne porte pas sur une opération courante et n'est pas conclue à des conditions normales (C. com., art. L. 225-39 N° Lexbase : L5910AIQ) -cela devrait être rarement le cas d'un "parachute doré"- il apparaît impossible de se conformer à la procédure d'autorisation préalable du conseil d'administration. L'intéressé devra bien informer le conseil (C. com., art. L. 225-40 N° Lexbase : L5911AIR) ; à défaut, la convention serait considérée comme dissimulée et le point de départ du délai de prescription devrait être reporté au jour où elle a été révélée (C. com., art. L. 225-42, al. 2, in fine N° Lexbase : L5913AIT). En dépit de cela, l'autorisation ne pourra plus être préalable, la convention ou l'engagement étant, par hypothèse, déjà signée.

En principe, l'action en nullité qui pourrait éventuellement résulter des conséquences dommageables pour la société peut être couverte par un vote de l'assemblée générale intervenant sur rapport spécial des commissaires aux comptes exposant les circonstances en raison desquelles la procédure d'autorisation n'a pas été suivie (C. com., art. L. 225-42).

En outre, il faudra également se poser des questions de frontière : par exemple, que se passe-t-il lorsque la suspension du contrat de travail conclu avant la loi est prévue en cas de nomination à un poste de direction et que sont organisées des conditions avantageuses permettant, notamment, la reprise de l'activité salariée et un rattrapage de rémunération en cas de révocation ? Tout dépend du contenu des actes et de leur date de conclusion ou de celle de leurs amendements. Comme élément de solution, la lecture des articles L. 225-22-1 et L. 225-79-1 du Code de commerce laisse penser que seul le contrat de travail doit être soumis à la procédure des conventions réglementées.

B - L'effet relatif des conventions et la personnalité morale des sociétés d'un même groupe à l'épreuve de la procédure des conventions réglementées

Lorsque les rémunérations sont dues par une société que contrôle ou qui contrôle la société cotée, les difficultés d'interprétation du texte s'intensifient.

Tout d'abord, rien n'est véritablement précisé concernant une éventuelle antériorité du contrat de travail par rapport au mandat. Certes, il paraîtrait tentant de cantonner l'application des articles L. 225-22-1 et L. 225-79-1 au contrat de travail antérieur au mandat. En ce sens, les termes "en cas de nomination aux fonctions de membre du directoire d'une personne liée par un contrat de travail" peuvent laisser penser que la personne est déjà liée par un tel contrat. Il faudrait donc lire "déjà liée". Néanmoins, on pourrait tout aussi bien lire "venant à être liée".

Il faut, alors, se référer à la ratio legis. Celle-ci n'est pas précisée dans l'exposé des motifs de la loi. En revanche, l'amendement n° 260 (2ème rect.) présenté le 20 juin 2005 par le Gouvernement à l'Assemblée Nationale propose un exposé sommaire du texte. D'après celui-ci, "l'amendement vise à améliorer les règles de gouvernance des sociétés anonymes à l'égard de certains éléments de rémunération des dirigeants et des administrateurs des sociétés cotées (indemnités ou compléments de retraite notamment) susceptibles d'être payés par la société à ses dirigeants. La disposition proposée vise à soumettre ces engagements de la société au régime dit 'des conventions réglementées', et donc à l'autorisation préalable du conseil d'administration (ou du conseil de surveillance) et à l'approbation de l'assemblée générale de la société ; les commissaires aux comptes seront tenus de présenter sur ces conventions un rapport spécial à l'assemblée générale.
En outre, ce dispositif d'approbation est complété et étendu aux engagements du même type qui seraient stipulés dans un contrat de travail liant un administrateur ou un dirigeant à la société ou à une société contrôlant ou contrôlée par cette dernière. Il s'agit d'assurer vis-à-vis des actionnaires la stricte égalité des dirigeants de la société, quel que soit par ailleurs leur statut contractuel
".

"Quel que soit leur statut contractuel", les dirigeants, qu'ils aient donc ou non été préalablement salariés, sont assujettis à cette procédure.

D'autre part, dans quelle société et avec quelles conséquences la procédure doit-elle être mise en oeuvre lorsque la personne reçoit, au titre de son mandat, une rémunération de la part d'une société contrôlante ou contrôlée ? La question prolonge celle de l'antériorité ou non du contrat de travail par rapport au mandat.

Un contrat de travail peut, par exemple, stipuler que "M. X., salarié de la société mère pourra être amené à exercer des fonctions de direction dans une ou plusieurs filiales dans le cadre de l'exercice de son contrat de travail". La personne n'est investie d'aucun mandat social et, pourtant, le contrat de travail peut aussi prévoir des conditions spécifiques de rémunération ou d'indemnité en cas de révocation ou de changement dans les fonctions à venir.

Si, dans notre exemple, une des sociétés contrôlées est cotée, comment mettre en oeuvre le nouveau texte ? Le contrat de travail existe, les fonctions mandatées prendront effet ultérieurement. A la lettre des nouveaux textes, seule la société cotée serait tenue de mettre en oeuvre la procédure des conventions réglementées. Cependant, elle ne peut ni autoriser un contrat de travail qui existe déjà, ni couvrir par un vote en assemblée une éventuelle nullité qui concerne une société et un rapport contractuel à l'égard duquel elle a la seule qualité de tiers.

Tout au plus peut-elle s'interroger sur le bien-fondé de la nomination du mandataire social. Mais ceci ne relève pas de la procédure des conventions réglementées. Au cas particulier, la solution n'apparaît pas.

De très nombreux autres cas de figure peuvent se présenter en pratique. Il conviendra de les analyser un à un en faisant preuve d'esprit critique : la transparence n'est pas synonyme de lumière !

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