Réf. : TPICE, 21 septembre 2005, aff. T-87/05, EDP - Energias de Portugal, SA c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A4900DKP)
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N9484AI4
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le 07 Octobre 2010
La requérante estime, par ailleurs, qu'en évaluant les effets d'une concentration sur un marché du gaz non ouvert à la concurrence, la Commission aurait violé le droit du gouvernement portugais de restructurer le secteur du gaz durant la période de dérogation. De plus, elle affirme que la Commission a méconnu le critère de fond fixé par l'article 2 du règlement n° 4064/89 (2) en prétendant évaluer les effets d'un projet de concentration à la fin de la période de dérogation, c'est-à-dire plusieurs années plus tard.
Une autre violation de cet article ainsi que de l'obligation de motiver sa décision résulteraient, toujours selon la requérante, du fait que la Commission n'a pas examiné si le renforcement de la position dominante de EDP et de GDP sur les marchés de l'électricité et du gaz aurait entravé la concurrence de manière significative.
Enfin, la requérante fait valoir que la Commission a enfreint les dispositions de l'article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064/89 en décidant que le projet de transaction devait être déclaré incompatible avec le marché commun malgré les engagements proposés par les parties.
Compte tenu des circonstances de l'espèce, le Tribunal [point 112], après avoir analysé l'état de la libéralisation sur le marché du gaz, conclut, sans surprise, que "cette dérogation exonère l'Etat membre concerné de l'obligation d'appliquer les principales dispositions de la seconde directive gaz assurant l'ouverture des différents marchés à la concurrence et garantissant une concurrence effective. Il doit donc être conclu que, en vertu de cette dérogation, les marchés du gaz concernés ne sont pas ouverts à la concurrence tant que l'Etat membre concerné n'a pas ouvert ces marchés".
Revenant sur la méconnaissance de la dérogation accordée à la République portugaise [point 113], EDP soutient, par ailleurs, que la Commission, en appréciant les effets de la concentration sur des marchés qui n'avaient pas à être ouverts à la concurrence, a violé le droit de la République portugaise de restructurer le secteur du gaz durant le temps accordé par la dérogation octroyée par l'article 28 de la seconde directive gaz.
Bien évidement, pour sa part, la Commission estime que cette dernière résulte de décisions émanant d'entreprises et qu'en conséquence, elle doit être appréciée au regard des dispositions du règlement n° 4064/89.
Le raisonnement du Tribunal peut se résumer de la manière suivante :
"en fondant l'interdiction de la Concentration sur le renforcement de positions dominantes ayant comme conséquence une entrave significative à la concurrence sur des marchés du gaz non ouverts à la concurrence en vertu de la dérogation octroyée par l'article 28, paragraphe 2, de la seconde directive gaz, la Commission a méconnu les effets et donc la portée de cette dérogation".
"l'erreur commise par la Commission réside uniquement dans le fait qu'elle a considéré comme satisfaites les conditions d'application de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 à l'égard de marchés non ouverts à la concurrence. En revanche, ses appréciations concurrentielles fondées sur le règlement n° 4064/89 relatives à la situation des marchés du gaz antérieurement à la Concentration, celles relatives à la situation des marchés du gaz à la date prévisible de l'ouverture de ces marchés et celles relatives à la situation des marchés de l'électricité avant et après la Concentration ne sont pas affectées par cette erreur".
"l'application de l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 aux marchés de l'électricité n'est pas affectée par l'erreur commise en ce qui concerne les marchés du gaz".
Pour le Tribunal, la décision litigieuse est donc entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle conclut au renforcement [point 133] "des positions dominantes préexistantes de GDP sur les marchés de fourniture de gaz aux producteurs d'électricité, aux gros et aux petits clients ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative". En effet, s'agissant du critère de fond fixé par les dispositions de l'article 2 du Règlement n° 4064/89 relatif à l'évaluation des effets du projet de concentration (ici à la fin de la période de dérogation c'est-à-dire cinq années plus tard), après avoir rappelé que la décision attaquée était entachée d'une erreur de droit s'agissant de l'application dudit règlement aux marchés du gaz, le tribunal estime qu'il n'y a plus lieu de statuer sur un renforcement éventuel des positions dominantes de GDP sur lesdits marchés. Cependant, le juge remarque que la Commission s'est appuyée, dans son analyse des marchés de l'électricité, sur son analyse concurrentielle des marchés du gaz, sans que, bien évidemment, cette démarche soit affectée par l'erreur de droit constatée. En conséquence, c'est donc à juste droit, estime le Tribunal, que la commission a appliqué l'article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 aux marchés de l'électricité et qu'il convenait de repousser l'argument mis en avant par EDP.
En matière de renforcement de la position dominante supposée de EDP et de GDP sur les marchés de l'électricité et du gaz, le Tribunal conclut [point 236], qu 'il convient de noter, que, "dès lors que l'amélioration concurrentielle générale sur les marchés du gaz à la suite de la Concentration, telle que modifiée, ne produit pas d'effets suffisamment conséquents sur les marchés de l'électricité pour éliminer les problèmes concurrentiels préalablement identifiés sur ces derniers marchés, la Commission ne saurait accepter de déclarer la Concentration compatible avec le marché commun en raison des effets bénéfiques pour la concurrence sur l'un des secteurs en cause au mépris des effets négatifs sur l'autre secteur. À cet égard, il importe de prendre en considération le fait que la plupart des bénéfices concurrentiels attendus sur le secteur du gaz en raison de la Concentration, voire tous, constituent des bénéfices à court ou à moyen terme dans la mesure où tous ces avantages, ou la plupart d'entre eux, seront en toute hypothèse obtenus deux à trois ans après la date prévue avec la Concentration, par le simple respect du calendrier de libéralisation instauré par la dérogation de la seconde directive gaz dont bénéficie la République portugaise", et qu'en conséquence, EDP n'a démontré aucune erreur manifeste d'appréciation de la part de la Commission lorsque celle-ci a conclu que la concentration, avait pour effet de renforcer la position dominante d'EDP sur les marchés de l'électricité, ayant comme effet une entrave significative à une concurrence effective.
Enfin, rappelons que la Commission a décidé que le projet de transaction devait être déclaré incompatible avec le marché commun et ce, malgré les engagements proposés par les parties. Cette décision est également validée par le Tribunal qui, à titre d'exemple sur le marché de l'électricité considère [point 220] que "la requérante n'a pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d 'appréciation lorsqu'elle a considéré que la Concentration, telle que modifiée par tous les engagements directement relatifs au problème horizontal, pris ensemble, devait être déclarée incompatible avec le marché commun en raison de son effet horizontal sur les marchés de l'électricité. En particulier, si l'ensemble de ces engagements améliore sans conteste la possibilité d'entrer sur le marché de gros en électricité, la requérante n'a pas renversé la conclusion de la Commission fondée sur le test de marché, selon laquelle l'ensemble de ces engagements ne créaient pas un environnement concurrentiel suffisant pour rendre une telle entrée probable. En outre, à supposer même qu'une telle entrée soit prévisible sur l'un des marchés de l'électricité, rien n'indique que ce nouveau concurrent posséderait la force et les avantages détenus par GDP en vue de son entrée sur tous ou sur certains des marchés de l'électricité".
Reprenant une jurisprudence maintenant établie et considérant qu'une décision en matière de concentration déclarant incompatible une opération de concentration avec le marché commun ne saurait être annulée que s'il y a lieu de constater que les éventuels motifs qui ne sont pas entachés d'illégalité, en particulier ceux concernant l'un des marchés en cause, ne suffisent pas à justifier son dispositif (3), le Tribunal, in fine, confirme l'interdiction de l'acquisition de Gás de Portugal par EDP et Eni SpA.
Jean-Pierre Lehman
Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence
(1) Directive (CE) n° 2003/55 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (N° Lexbase : L0089BI7).
(2) Règlement (CE) n° 4064/89 du Conseil, 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (N° Lexbase : L6553AUA).
(3) TPICE, 22 octobre 2002, aff. T-310/01, Schneider Electric SA, établie à Rueil-Malmaison (France) c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A2801A37), Rec. p. II-4071, point 412.
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