La lettre juridique n°159 du 17 mars 2005 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Destinataires de l'invitation à négocier le protocole d'accord préélectoral : nouvelles précisions de la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 2 mars 2005, n° 04-60.019, Société Sodico expansion c/ M. Alain Carpentier, FS-P+B (N° Lexbase : A1099DH8)

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le 07 Octobre 2010

En affirmant simplement que l'employeur est tenu de convoquer les "organisations syndicales intéressées" à la négociation du protocole d'accord préélectoral, le législateur n'a pas fait preuve d'une grande précision, suscitant par là-même nombre d'interrogations, spécialement quant aux destinataires de cette invitation. Si la Cour de cassation s'est efforcée de résoudre ces difficultés, certaines incertitudes subsistaient, que l'arrêt rendu le 2 mars 2005 vient, en grande partie, lever. La solution retenue s'avère d'une grande richesse car, si elle a d'abord trait aux destinataires de l'invitation à négocier le protocole d'accord préélectoral (1), elle permet aussi de préciser quels sont les acteurs de cette négociation (2). En résumant beaucoup on peut avancer, au vu de cet arrêt et de la jurisprudence antérieure, que si le délégué syndical bénéficie dans cette matière d'une situation privilégiée, il ne jouit d'aucun monopole.
Décision

Cass. soc., 2 mars 2005, n° 04-60.019, Société Sodico expansion c/ M. Alain Carpentier, FS-P+B (N° Lexbase : A1099DH8)

Cassation (Tribunal d'instance de Poissy, 16 janvier 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 423-18 (N° Lexbase : L6380ACB) ; C. trav., art. L. 433-13 (N° Lexbase : L6431AC8)

Mots clefs : protocole préélectoral ; négociation ; convocation ; destinataire ; délégué syndical ; organisation syndicale.

Lien bases :

Faits

1. Pour annuler les élections à la délégation unique du personnel d'une société, le tribunal d'instance saisi, après avoir relevé que l'Union locale CGT avait été régulièrement convoquée à la négociation du protocole préélectoral, a énoncé que l'employeur s'est tenu à une interprétation volontairement restrictive de l'article L. 433-13 du Code du travail (N° Lexbase : L6431AC8) alors que l'Union locale en cause avait attiré son attention sur son souhait de voir M. Carpentier agir en son nom du fait de sa bonne connaissance des réalités de l'entreprise. Les juges du fond ont encore souligné que le délégué syndical a été volontairement écarté de la négociation du protocole préélectoral, ce qui ne peut qu'avoir une incidence sur la répartition des sièges et des élections.

2. En écartant volontairement de la négociation le délégué syndical dont le rôle est précisément d'être au coeur de l'entreprise, du fait de sa connaissance des réalités de celle-ci, la société Sodico expansion a dénaturé les dispositions de l'article L. 433-13 du Code du travail (N° Lexbase : L6431AC8).

Problème juridique

La convocation à la négociation du protocole préélectoral doit-elle nécessairement être adressée au délégué syndical présent dans l'entreprise ?

Solution

1. Cassation pour violation des articles L. 423-18 et L. 433-13 du Code du travail

2. "Si la convocation à négocier le protocole préélectoral est valablement adressée au syndicat pris en la personne du délégué syndical désigné, aucune irrégularité n'entache la négociation dès lors qu'il est établi que l'organisation syndicale représentative a été directement destinataire d'une convocation".

Commentaire

1. Les destinataires de la convocation à négocier le protocole d'accord préélectoral

  • Syndicats intéressés

Le Code du travail fait obligation au chef d'entreprise d'inviter les "organisations syndicales intéressées" à négocier le protocole préélectoral (C. trav., art. L. 423-18 N° Lexbase : L6380ACB ; C. trav., art. L. 433-13 N° Lexbase : L6431AC8) (1). Quoi que cela ne soit pas expressément précisé par les textes, il va de soi que le législateur entend ainsi désigner les seuls syndicats représentatifs. Il n'est guère besoin de s'appesantir sur le fait que cette qualité peut s'acquérir de deux façons : soit par l'affiliation à l'une des cinq confédérations reconnues représentatives au plan national, soit en rapportant la preuve de cette représentativité dans l'unité où se tiennent les élections.

Si la mise en oeuvre de l'obligation pesant sur le chef d'entreprise soulève quelques difficultés quand l'invitation s'adresse à des syndicats ne bénéficiant pas de la présomption de représentativité (2), le contentieux s'est surtout concentré sur les conséquences de la présomption de représentativité. La question s'est, en effet, posée de savoir si un syndicat présumé représentatif doit être invité à la négociation du protocole préélectoral alors qu'il n'a désigné aucun délégué syndical dans l'entreprise ou l'établissement, ou qu'il ne dispose d'aucun adhérent dans l'unité considérée.

La Cour de cassation a répondu par l'affirmative, considérant qu'un syndicat affilié à une organisation syndicale représentative sur le plan national est, peu important qu'il n'ait aucun adhérent dans l'entreprise, un syndicat intéressé au sens de la loi (v. par ex., Cass. soc., 4 juillet 1990, n° 89-60.035, Syndicat SNEP-FO c/ Directeur de l'Institut supérieur d'agriculture et autres, publié N° Lexbase : A4713ACK).

De même, la Chambre sociale a affirmé qu'un tel syndicat doit être invité à négocier le protocole d'accord préélectoral, alors même qu'il n'a pas désigné de délégué syndical dans l'entreprise (Cass. soc., 24 septembre 2003, n° 02-60.521, Union locale CGT de Coutances et des environs c/ Société Alcatel Coutances, inédit N° Lexbase : A6366C9N, adde notre chronique Qui inviter à la négociation du protocole d'accord préélectoral, Lexbase Hebdo n° 89 du 9 octobre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8976AAP).

  • Destinataires de l'invitation à négocier

La volonté de la Cour de cassation d'élargir le cercle des syndicats devant être conviés à négocier le protocole préélectoral allait, cependant, faire naître une nouvelle interrogation quant à l'identité exacte des destinataires de l'invitation.

On doit à l'Assemblée plénière d'y avoir répondu dans un important arrêt en date du 5 juillet 2002, aux termes duquel "en l'absence de délégué syndical dans l'entreprise désigné par une organisation syndicale représentative au plan national, l'invitation de celle-ci à la négociation du protocole préélectoral est valablement adressée par le chef d'entreprise au syndicat constitué dans la branche ou à l'union à laquelle il a adhéré" (Ass. plén., 5 juillet 2002, n° 00-60.275, Société Cogetom c/ Syndicat des employés du commerce et interprofessionnel SECI-CFTC, publié N° Lexbase : A0621AZZ, RJS 10/02, n ° 1149, avec la chron. du conseiller C. Barberot) (3).

Cette solution étant acquise, restait encore à savoir à qui l'invitation doit être adressée lorsqu'un délégué syndical a été désigné dans l'entreprise. La Cour de cassation allait fournir un premier élément de réponse dans un arrêt du 13 février 2003, en décidant que la convocation à la négociation du protocole préalable à la consultation du personnel prévue à l'article 19-V de la loi du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3) est valablement adressée au syndicat pris en la personne du délégué syndical (Cass. soc., 13 février 2003, n° 01-60.813, F-P+B N° Lexbase : A0010A7I, lire Les pouvoirs des délégués syndicaux en matière de négociation collective : précisions et revirement, Lexbase Hebdo n° 60 du 26 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N6185AAC ; Dr. soc. 2003, p. 535, note J. Savatier) (4).

La mention, dans le visa de cette décision, des articles L. 423-18 et L. 433-13 du Code du travail laissait supposer que cette solution devait également valoir pour la négociation du protocole d'accord préélectoral. C'est précisément ce que vient confirmer de manière expresse la Chambre sociale dans l'arrêt commenté.

Mais, la Cour de cassation va ici plus loin en affirmant, en outre, qu'aucune irrégularité n'entache la négociation dès lors qu'il est établi que l'organisation syndicale représentative a été directement destinataire d'une convocation. En d'autres termes, le fait qu'un délégué syndical ait été désigné dans l'entreprise n'a pas pour effet d'obliger l'employeur à lui transmettre l'invitation à négocier le protocole d'accord préélectoral. Celui-ci dispose d'une option : la convocation peut être adressée soit directement à l'organisation syndicale représentative, soit au délégué syndical.

Bien plus, à lire la solution retenue dans cet arrêt du 2 mars 2005, il apparaît que, dans tous les cas, c'est le syndicat personne morale qui reste le destinataire de l'invitation à négocier le protocole d'accord préélectoral. La Chambre sociale précise, en effet, que "la convocation à négocier le protocole préélectoral est valablement adressée au syndicat pris en la personne du délégué syndical désigné" (souligné par nous).

Une telle solution doit être approuvée dans la mesure où le délégué syndical n'est jamais que le mandataire du syndicat personne morale. Au-delà, et quoique la prudence doive ici être de mise, on peut encore y voir quelques éclaircissements sur le problème des personnes habilitées à négocier le protocole d'accord préélectoral.

2. Les personnes habilitées à négocier le protocole d'accord préélectoral

  • Le rôle privilégié du délégué syndical

Dans un arrêt du 12 février 2003, la Cour de cassation a décidé que "le délégué syndical désigné dans l'entreprise n'a pas à justifier d'un mandat de son organisation pour conclure le protocole préélectoral" (Cass. soc., 12 février 2003, n° 01-60.904, FE-CGC, publié N° Lexbase : A0012A7L, lire Les pouvoirs des délégués syndicaux en matière de négociation collective : précisions et revirement, Lexbase Hebdo n° 60 du 26 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N6185AAC).

Ainsi qu'il l'a été souligné, la Haute juridiction a ainsi érigé le délégué syndical en agent privilégié de la négociation du protocole préélectoral (G. Borenfreund, art. préc., p. 126). Une telle solution, qui doit être approuvée, doit cependant être strictement entendue. Elle ne remet, en effet, nullement en cause la possibilité pour les organisations syndicales intéressées d'être représentées à la négociation préélectorale par des membres extérieurs à l'entreprise, dès lors qu'elles n'y ont désigné aucun délégué syndical. Il en va ainsi dans les entreprises ne remplissant pas les conditions pour avoir des délégués syndicaux, comme dans celles où, ces conditions étant remplies, un syndicat représentatif n'a pu désigner un délégué syndical faute, le plus souvent, d'adhérent (5).

  • La possibilité de négocier avec des représentants extérieurs en présence d'un délégué syndical

On admettra, avec M. Georges Borenfreund (art. préc., p. 126), qu'une incertitude demeurait quant au fait de savoir si un syndicat de salariés disposant d'un délégué syndical peut néanmoins faire appel à des représentants extérieurs afin de négocier le protocole d'accord préélectoral. Si l'arrêt du 12 février 2003 n'imposait nullement de répondre par la négative à cette question, la décision rendue le 13 février 2003 pouvait laisser à penser que la négociation n'est possible qu'avec le seul délégué syndical, en décidant que ce dernier constitue le destinataire de l'invitation à négocier.

Toutefois, en affirmant, dans l'arrêt commenté, que l'employeur peut valablement adresser la convocation à la négociation du protocole préélectoral directement à l'organisation syndicale représentative, la Cour de cassation paraît bien signifier que le pouvoir de négocier et conclure ce protocole revient à l'organisation, personne morale. Celle-ci peut donc décider de dépêcher dans l'entreprise l'un de ses membres pour négocier le protocole en lieu et place du délégué syndical.

En d'autres termes, si le ce dernier n'a pas à justifier d'un mandat spécial de son organisation pour négocier le protocole, c'est en sa qualité générale de représentant du syndicat auprès du chef d'entreprise, non en tant que membre obligé de la délégation qui négocie à ce niveau (v. en ce sens, G. Borenfreund, art. préc., p. 127).

On admettra, ainsi que le soutenait le pourvoi dans l'espèce commentée, que le délégué syndical, qui est au coeur de l'entreprise du fait de sa connaissance de ses réalités, doit être considéré comme l'acteur privilégié de la négociation du protocole préélectoral. Il ne saurait pour autant en être l'acteur exclusif, eu égard au fait qu'il n'est, il faut le répéter, que le mandataire d'une personne morale, le syndicat, véritable titulaire du pouvoir de négocier et conclure le protocole d'accord préélectoral.

On doit ainsi relever, pour finir, la cohérence mais aussi la souplesse de la jurisprudence de la Cour de cassation, au regard de l'obligation pour l'employeur de convoquer les syndicats intéressés à la négociation du protocole d'accord préélectoral. Celui-ci peut, en effet, aussi bien s'adresser au syndicat qu'à son représentant. Le reste relève alors d'une sorte de discipline syndicale, car si le délégué syndical ne transmet pas l'invitation à son organisation, il ne subira pas alors la concurrence éventuelle de représentants extérieurs. A l'inverse, en tant que destinataire de l'invitation, l'organisation syndicale aura; à son tour, une faculté d'option.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Notons, dès à présent, que la Cour de cassation a plusieurs fois affirmé que l'affichage d'une note d'information ne constitue pas une forme de l'invitation que l'employeur doit adresser aux syndicats représentatifs, sauf s'il est établi que ces derniers en avaient eu connaissance (Cass. soc., 12 décembre 1995, n° 95-60.116, Société LDC c/ Syndicat UD CGT de la Sarthe et autres, inédit N° Lexbase : A8786AGI ; Cass. soc., 26 mars 2003, n° 01-60.818, Union départementale CGT de la Vienne c/ Entreprise Cemep, inédit N° Lexbase : A5778A77). Normalement, c'est donc une invitation individuelle que l'employeur est tenu de transmettre à chaque organisation.

(2) Ainsi qu'il l'a été en effet souligné, "l'employeur semble inéluctablement conduit à se faire juge de la représentativité effective de telle ou telle organisation dans l'entreprise ou l'établissement, alors qu'il appartient normalement à un syndicat de se prévaloir de cette qualité" (G. Borenfreund, Négociation préélectorale et droit commun de la négociation collective, Mélanges Jean Pélissier, p. 93, spéc., p. 97). La Cour de cassation considère, cependant, logiquement, qu'un syndicat ne bénéficiant pas de la présomption de représentativité ne peut être écarté du processus électoral tant que le juge n'a pas statué sur sa représentativité (Cass. soc., 9 février 2000, n° 98-60.599, Syndicat Sud Eurest et ses filiales c/ Société Eurest France et autres, publié N° Lexbase : A6323AGB).

(3) V. aussi, pour une appréciation des conséquences de cette importante solution : G. Borenfreund, art. préc., p. 100.

(4) V. aussi notre chronique Les pouvoirs des délégués syndicaux en matière de négociation collective : précisions et revirement, Lexbase Hebdo - édition sociale du 26 février 2003 (N° Lexbase : N6185AAC).

(5) Il résulte de cela que, dans une telle entreprise, la négociation du protocole préélectoral pourra être menée à la fois avec des délégués syndicaux et, pour les syndicats présumés représentatifs n'ayant pu désigner un représentant dans l'unité en cause, avec des membres extérieurs appartenant à ces organisations.

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