La lettre juridique n°156 du 24 février 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Retenue à la source et traitement différencié entre résident et non résident à l'épreuve de la sanction communautaire

Réf. : CE, 9° et 10° s-s., 15 décembre 2004, n° 235069, Société Denkavit c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A4486DEU)

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N4756ABR

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

Une nouvelle fois, le Conseil d'Etat soulève, auprès de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), la question de la compatibilité entre une disposition de notre droit interne, l'ancien article 119 bis, alinéa 2, du CGI afférent à la retenue à la source sur les produits nets des participations bénéficiant à des personnes n'ayant pas leur siège en France et les principes fondamentaux du droit communautaire , notamment la liberté d'établissement . Aux termes du 2 de l'article 119 bis ancien du CGI, les produits visés aux articles 108 à 117 bis du même code donnent lieu à l'application d'une retenue à la source, dont le taux est fixé par le 1 de l'article 187 du CGI , soit 25 % pour les dividendes lorsque ces derniers bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur siège en France, alors que celles qui ont leur siège en France et 216 N° Lexbase : L4321AAB) ou à défaut disposent, en France, d'un établissement stable au titre duquel elles sont soumises à l'impôt sur les sociétés, se trouvent quasiment exonérées de toute imposition sur ces dividendes.

Dans cette affaire, deux filiales détenues respectivement, à l'époque des faits, à hauteur de 99,9 % et 50 % par une société néerlandaise ont, ensemble, à la suite du versement de dividendes à cette dernière, contesté l'application à ces produits de la retenue à la source au taux de 25 %, ramené à 5 % par les stipulations du § 2 de l'article 10 de la convention fiscale franco-néerlandaise du 16 mars 1973 (N° Lexbase : L6735BHW).

Les sociétés contestataires invoquaient, à cet effet, l'article 43 du Traité CE, aux termes duquel sont interdites les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre ; cette interdiction s'étendant aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d'un Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre.

Il est rappelé que la loi de finances rectificative pour 1991, en transposant la directive n° 90/435/CE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents (N° Lexbase : L7669AUL), a supprimé, sous certaines conditions visées à l'article 119 ter du CGI (N° Lexbase : L9482G7C), la retenue à la source sur les dividendes distribués par une société résidente d'un Etat membre à une société établie dans un autre Etat membre.

Mais la présente affaire conserve tout son intérêt suivant la réponse que donnera la CJCE saisie de la question à titre préjudiciel par la Haute cour, notamment, au regard de la compatibilité avec les principes fondamentaux du droit communautaire des conditions d'exonération de retenue à la source visées à l'article 119 ter du CGI ou, encore, des retenues à la source sur les intérêts ou redevances.

En effet, cette affaire se situe dans le prolongement de deux autres, la plus ancienne "Lankhorst-Hohorst Gmbh" (CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-324/00, Lankhorst-Hohorst GmbH c/ Finanzamt Steinfurt N° Lexbase : A0411A7D) et la plus récente "SARL Coréal gestion" (CE contentieux, 30 décembre 2003, n° 249047, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'industrie c/ SARL Coréal Gestion N° Lexbase : A6490DAM), portant toutes deux sur des différences de traitement fiscal de deux filiales résidentes opérées selon la résidence de leur mère, alors qu'au cas d'espèce commenté l'appréciation de la compatibilité du dispositif de la retenue à la source conduit à comparer le traitement fiscal d'une société mère résidente à celui d'une société mère non-résidente.

L'examen de l'éventuelle atteinte à la liberté d'établissement et de l'existence d'une différence de traitement nécessite de porter l'analyse à deux niveaux de réflexion susceptibles de se combiner entre eux.

Le premier porte sur le dispositif, lui-même de droit interne, des dispositions sur la retenue à la source, et le second sur la combinaison de ces dispositions avec celles de la convention franco-néerlandaise.

Cette complexité a conduit le Conseil d'Etat, suivant en cela les conclusions de son commissaire du Gouvernement Francis Donnat, a posé à la CJCE, à titre préjudiciel, les trois questions suivantes :

1. La première question a trait au point de savoir si "un dispositif qui fait supporter le poids d'une imposition à une société mère, bénéficiaire du versement de dividendes, qui ne réside pas en France, en en dispensant les sociétés mères qui résident en France" est ou non susceptible d'être critiqué au regard du principe de la liberté d'établissement ?

La Haute cour, en soulevant ainsi le problème de la différence de traitement entre une société mère résidant en France et une société mère résidant dans un autre Etat membre, pose la question de savoir, pour l'application des principes communautaires, si elles sont ou non dans une situation objectivement comparable au regard d'un mécanisme de retenue à la source sur les dividendes.

Ce mécanisme trouve son origine dans une série de textes applicables à la présente affaire, dont il convient de retracer l'articulation.

Il convient, préalablement, de rappeler que la retenue à la source prévue par les dispositions précitées du 2 de l'article 119 bis du CGI est supportée non par la société qui a sa résidence en France et qui procède au versement de dividendes à sa société mère qui, elle, a sa résidence dans un autre Etat, mais par cette dernière.

Or, aux termes de l'article 216-I et II du CGI , dans sa rédaction applicable à la présente affaire, les produits nets des participations ouvrent droit à l'application du régime des sociétés mère , lorsqu'ils sont versés au cours d'un exercice par une société mère.

Ils sont, aux termes de ces mêmes dispositions, retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges (fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris).

Mais, le régime fiscal des sociétés mères, aux termes du 1 de l'article 145 du CGI, qui se trouve applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations sous certaines conditions, vise les sociétés qui, soit ont leur siège en France, soit , leur siège étant situé dans un autre Etat, ont en France un établissement au titre duquel elles sont soumises à l'impôt sur les sociétés.

La société mère néerlandaise, dans la présente affaire, ne disposant pas en France d'un établissement au titre duquel elle serait soumise à l'impôt sur les sociétés, ne pouvait, donc, prétendre à l'application de ces dispositions.

Il s'ensuit, constate le Haut conseil, que "celle-ci supporte ainsi une retenue à la source alors qu'une société mère résidant en France peut, si elle remplit les conditions posées par l'article 145 du Code général des impôts, bénéficier d'une exonération presque totale des dividendes distribués par ses filiales".

2. La deuxième question a trait au point de savoir si "un tel dispositif de retenue à la source est[...]en lui-même critiquable au regard du principe de la liberté d'établissement, ou, dès lors qu'une convention fiscale entre la France et un autre Etat membre, autorisant cette retenue à la source, prévoit la possibilité d'imputer sur l'impôt dû dans cet autre Etat la charge supportée en application du dispositif critiqué, [...] il y a lieu de tenir compte de cette convention pour apprécier la compatibilité de ce dispositif avec le principe de la liberté d'établissement ?"

L'article 24 de la convention fiscale, en date du 16 mars 1973, conclue entre la France et les Pays-Bas prévoit qu'une société mère, qui réside aux Pays-Bas et qui bénéficie de versements de dividendes de la part d'une société qui réside en France, peut, en principe, procéder, dans les conditions que ces stipulations précisent, à une imputation de l'impôt supporté en application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du CGI sur le montant de l'impôt à acquitter aux Pays-Bas.

Il s'agit, donc, de déterminer "si le mécanisme de retenue à la source, autorisé par le paragraphe 2 de l'article 10 de cette convention moyennant la fixation d'un taux plafond et l'imputation de cette retenue sur l'imposition de l'actionnaire néerlandais recevant ces dividendes, peut être analysé comme un simple mode de répartition de l'imposition des dividendes entre la France et les Pays-Bas sans incidence sur la charge fiscale globale de la société mère néerlandaise et, par suite, sur la liberté d'établissement de cette société".

3. Enfin, la troisième question a trait au point de savoir, dans l'hypothèse où il y aurait lieu de tenir compte de la convention fiscale franco-néerlandaise pour apprécier la compatibilité de ce dispositif avec le principe de la liberté d'établissement , si "l'existence de la convention [...] suffit [...] à faire regarder le dispositif critiqué comme un simple mécanisme de répartition de la matière imposable entre les deux Etats concernés, sans incidence pour les entreprises, ou la circonstance qu'une société mère qui ne réside pas en France peut être dans l'impossibilité de procéder à l'imputation prévue par la convention doit [...] conduire à regarder ce dispositif comme méconnaissant le principe de la liberté d'établissement ?"

En effet, la Haute cour administrative fait observer que la société qui réside aux Pays-Bas ne peut bénéficier d'une telle imputation que si l'impôt dû par elle aux Pays-Bas est supérieur à la réduction d'impôt, dont elle peut se prévaloir en vertu de l'article 24 de la convention fiscale franco-néerlandaise.

Elle s'interroge, en conséquence, sur la nécessité de prendre en compte cette situation dans l'appréciation de la compatibilité de la retenue à la source avec la liberté d'établissement, notamment lorsque la société mère, résidente des Pays-Bas, ne peut effectuer l'imputation du crédit d'impôt attaché aux revenus qu'elle a perçus pour des raisons de droit ou des raisons de fait si elle se trouve dans une situation déficitaire.

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