La lettre juridique n°127 du 1 juillet 2004 : Fiscalité immobilière

[Textes] L'assiette de la TVA immobilière : le droit communautaire au secours des parties

Réf. : Instruction du 7 juin 2004, BOI n° 8 A-3-04 (N° Lexbase : X2274AC9)

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010


Le droit communautaire protège-t'il le vendeur d'immeuble(s) ? L'administration fiscale semble l'admettre. En effet, par une instruction fiscale en date du 7 juin 2004 précisant les "conditions d'application de la notion de valeur vénale pour les opérations entrant dans le champ des 6° et 7° de l'article 257 du Code général des impôts (CGI) ", elle affirme que, "lorsqu'elle est supérieure au prix exprimé majoré des charges, la valeur vénale constitue un élément d'assiette de la TVA pour la détermination de la base d'imposition des opérations entrant dans le champ des 6° et 7° de l'article 257 du CGI. Néanmoins, conformément aux dispositions de l'article 27 de la 6ème directive TVA (N° Lexbase : L9279AU9) et aux termes de la demande française notifiée à la Commission européenne le 23 décembre 1977, il ne peut y être recouru qu'en cas de livraisons d'immeubles et dans le but de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale". Manifestement, le contexte de l'instruction (1) explique son contenu (2).

1. Le contexte de l'instruction fiscale du 7 juin 2004

L'article 266-2 du CGI dispose qu'"en ce qui concerne les opérations entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257, la taxe sur la valeur ajoutée est assise, [...] pour les mutations à titre onéreux ou les apports en société sur [...] la valeur vénale réelle des biens, établie dans les conditions prévues à l'article L. 17 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8380AE4), si cette valeur vénale est supérieure au prix". Ce texte soulève un problème de compatibilité avec l'article 11-A-1-a de la 6ème directive TVA, lequel définit l'assiette de la TVA, comme "la contrepartie obtenue ou à obtenir". Selon la CJCE, la contrepartie s'entend de "la valeur subjective dans chaque cas concret et non pas une valeur estimée selon des critères objectifs" (CJCE, 15 mai 2001, aff. C-34/99, Commissioners of Customs & Excise c/ Primback Ltd, § 24 N° Lexbase : A3959ATS). Cependant, la France ayant obtenu l'autorisation de maintenir sa disposition dérogatoire, en application de l'article 27 (dit "clause de gel") de la 6ème directive, la question se pose de savoir si elle peut taxer un contribuable comme un fraudeur, qu'il ait ou non rapporté la preuve contraire.

Ce dernier article prévoit que "le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout Etat membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasion fiscales". S'agissant d'un texte permettant, notamment, de déroger à la définition de l'assiette de la TVA comme la contrepartie voulue par les parties, il convient tout d'abord de rappeler la position de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Elle sanctionne les mesures dérogatoires fixant une base minimale d'imposition, surtout lorsqu'elles dérogent, d'une manière globale et systématique à l'article 11 de la 6ème directive (CJCE, 10 avril 1984, aff. C-324/82, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A8682AU4). Ne constitue pas une mesure dérogatoire autorisée, la règle interne absolue et générale selon laquelle, "c'est le prix convenu entre les parties lui-même qui n'est pas pris en compte et est remplacé par la base minimale d'imposition" (CJCE, 9 juillet 1992, aff. C-131/91, Line Air Service Europe BV c/ Eulaerts NV et État belge N° Lexbase : A9706AUZ). Les mesures adoptées dans le cadre de l'article 27 précité afin de combattre la fraude ou l'évasion fiscale ne peuvent déroger à l'article 11 fixant une assiette égale à la valeur subjective que dans les limites strictement nécessaires pour atteindre cet objectif. S'il est démontré que le contribuable a agi correctement, les mesures dérogatoires ne sont pas couvertes par l'article 27 de la 6ème directive (CJCE, 29 mai 1997, aff. C-63/96, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ Werner Skripalle N° Lexbase : A0356AW4).

La défense doit être proportionnée à l'attaque. Le droit communautaire n'autorise pas un Etat membre à poser une présomption générale et absolue de fraude à l'encontre des vendeurs ou apporteurs de biens immeubles au seul motif que le prix stipulé demeure en-deçà de la valeur vénale. Depuis longtemps, la CJCE contrôle la proportionnalité des mesures adoptées en application de l'article 27 de la 6ème directive (CJCE, 12 juillet 1988, aff. C-138/86, Direct Cosmetics Ltd et Laughtons Photographs Ltd c / Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A4534AWT). Ce même principe de proportionnalité interdit également les exclusions générales du droit à déduction prétendument destinées à combattre la fraude (CJCE, 19 septembre 2000, aff. C-177/99, Ampafrance SA c/ Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99) N° Lexbase : A7225AH3). Enfin, la CJCE exclut toute procédure nationale conférant à l'administration un pouvoir d'appréciation discrétionnaire (CJCE, 14 septembre 2000, aff. C-384/98, D. c/ W N° Lexbase : A2011AIC). Force est de constater que la France, en permettant formellement à l'administration fiscale, sans condition de fraude ou d'évasion fiscale, de substituer la valeur vénale d'un immeuble à son prix stipulé ne respecte pas la 6ème directive TVA.

Après une première décision des juges du fond en faveur de la conformité de l'article 266-2-b du CGI à l'article 27 de la 6e directive TVA (TA Paris, 30 octobre 1997), quatre décisions ont manifesté leur défiance (TA Lyon des 5 décembre 2000 et 3 juillet 2001 : Dr. fisc. 2002, n° 39, comm. 733, note M. Cozian ; TA Grenoble, 20 décembre 2001 et 2 mai 2002). Conformément au droit communautaire ci-dessus rappelé, les derniers jugements cités n'admettent la dérogation française qu'en cas de fraude ou d'évasion fiscale établie par l'administration fiscale. Ces décisions de juges du fond ont vraisemblablement incité le tribunal administratif de Pau à solliciter l'avis du Conseil d'Etat par jugement en date du 4 mars 2003. Le 30 juillet 2003, la Haute juridiction administrative a répondu que "l'administration fiscale ne conserve le droit d'écarter le prix résultant de la volonté des parties qui, en vertu des stipulations de l'article 11 de la 6ème directive, constitue en principe l'assiette de la taxe, et d'asseoir l'imposition d'office sur une base plus élevée qu'à la condition d'établir que celle-ci correspond à la valeur vénale réelle des biens en cause" (CE, 8° et 3° s-s., 30 juillet 2003, n° 254824, SCI Villa Amaya c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2619C9U, Dr. fisc. 2004, n° 6, comm. 223, concl. P. Collin).

Apparemment, le Conseil d'Etat ne conteste pas la substitution de la valeur vénale au prix de vente déclaré d'un immeuble, même si, comme en l'espèce, le redevable établi que la base retenue d'office dépasse le prix stipulé et réellement encaissé. Il s'abstient d'exiger la preuve d'une fraude ou d'une évasion fiscale, telle qu'évoquée par l'article 27 de la 6ème directive. Soulignons que le litige portait essentiellement sur la procédure utilisée par l'administration fiscale (cf. concl. P. Collin). En l'espèce, le prix étant celui effectivement perçu, il eut été difficile de caractériser une fraude, sauf à considérer que les parties n'ont pas le droit de fixer un prix inférieur à celui du marché. La liberté contractuelle étant un principe et une valeur consacrés par tous les pays de l'Union, une telle interdiction paraît difficilement envisageable. D'autant moins que la CJCE interdit de fixer l'assiette en fonction de critères objectifs, d'une valeur minimale ou de mesures dérogatoires globales et systématiques, particulièrement s'il est établi que le contribuable a agi correctement (supra). L'administration fiscale préfère respecter la 6ème directive TVA.

2. Le contenu de l'instruction fiscale du 7 juin 2004

L'instruction commentée traduit la primauté du droit communautaire. Elle précise en effet que "comme la jurisprudence l'a récemment souligné à plusieurs reprises, l'administration est tenue, lorsqu'elle met en oeuvre la notion de valeur vénale, d'établir que la différence entre cette évaluation et le prix stipulé dans l'acte résulte de la fraude ou de l'évasion fiscale" (§ 4). Elle précise aussi qu'"en matière de TVA, l'évasion fiscale n'est pas avérée lorsque la TVA collectée par le vendeur peut être déduite dans sa totalité par l'acquéreur assujetti à la taxe" (§ 5). Que la base d'imposition soit de 1 000 ou de 100, si la TVA de 1 000 x 19,6 % ou 100 x 19,6 % est entièrement récupérable par l'acquéreur ou le bénéficiaire de l'apport, Etat et contribuable ne perdent ni ne gagnent aucun avantage pécuniaire. La neutralité effective de la TVA rend inutile tout redressement. Le champ d'application de l'article 266-2.b du CGI autorisant la substitution de la valeur vénale au prix de cession se limite désormais aux ventes et apports de biens ou droits immobiliers en faveur de personnes dépourvues du droit de déduire la TVA. Il s'agit des particuliers et des assujettis non redevables dans la mesure où la déductibilité de la TVA ne dépend que de l'affectation des dépenses grevées de TVA à des opérations effectivement imposables . L'administration fiscale exclut du champ d'application de la substitution de la valeur vénale au prix de cession les fonds de commerce, actions et parts de sociétés immobilières sauf lorsque ces dernières visent l'attribution en propriété ou en jouissance d'un bien immeuble (§ 3). Cette faveur s'expliquerait par le contenu de la demande de dérogation, laquelle ne mentionnait que les immeubles. Certes, la substitution autorisée par le droit communautaire ne peut recevoir qu'une application littérale. Ajoutons toutefois que l'article 266-2 du CGI organisant la lutte contre la sous évaluation de l'assiette de la TVA ne vise que les opérations entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257 du CGI. Ce texte dispose à propos de la production et de la livraison d'immeubles ou opérations similaires et non des fonds de commerce ou titres de sociétés immobilières n'ouvrant pas accès à la propriété ou à la jouissance d'un immeuble.

En admettant que la dérogation à l'article 11-A de la 6ème directive TVA présuppose établie la fraude ou l'évasion fiscale, l'administration fiscale rend exceptionnelle la substitution de la valeur vénale au prix de cession, du moins en matière de TVA. Cette substitution demeure plus largement applicable en matière de droits d'enregistrement. Certes, la TVA chasse les droits d'enregistrement. Encore faut-il qu'elle s'applique. L'instruction commentée rappelle opportunément qu'"une opération est considérée comme réalisée à titre onéreux, en matière de TVA, lorsqu'il existe un lien direct entre le service rendu ou le bien livré et la contre-valeur reçue. Pour cela, le bénéficiaire de la prestation ou de la livraison doit en retirer un avantage individuel et le niveau de cet avantage doit être en relation avec le prix payé. Tel n'est pas le cas lorsque le prix payé est très inférieur au niveau de l'avantage procuré au bénéficiaire de la livraison. Dès lors, la cession d'un bien immobilier pour un prix symbolique constitue une opération située hors du champ d'application de la TVA. Elle est soumise aux droits d'enregistrement dans les conditions de droit commun. La TVA supportée en amont par le cédant, notamment au titre de l'acquisition du terrain ou de travaux immobiliers, n'est pas déductible (CGI, art. 271)" (§ 8 et 9).

Il est exact que le droit communautaire exclut du champ d'application de la TVA les livraisons réalisées pour un prix dérisoire (CJCE, 1er avril 1982, aff. C-89 /81, Staatssecretaris van Financiën c/ Hong-Kong Trade Development Council N° Lexbase : A6251AU3 ; CJCE, 21 septembre 1988, aff. C-50/87, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A7265AHK). Apparaît tout aussi incontestable l'exigence d'un rapport juridique à titre onéreux. Ce dernier doit comprendre une contrepartie, critère de taxation et mesure de l'assiette de la TVA, ayant pour cause la contre-prestation fournie (CJCE, 5 février 1981, aff. C-154/80, Staatssecretaris van Financiën c/ Association coopérative Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats N° Lexbase : A6101AUI ; CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86, Apple and Pear Development Council c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A7336AH8 ; CJCE, 3 mars 1994, aff. C-16/93, R. J. Tolsma c/ Inspecteur der Omzetbelasting Leeuwarden N° Lexbase : A7246AHT, Dr. fisc. 1995, n° 11, comm. 525, concl. Carl Otto Lenz - Petites Affiches, n° 119, 5 septembre 94, note M. Cozian - Adde, Y. Sérandour, L'année fiscale, 2003, p. 326, n° 6). Néanmoins, l'administration fiscale oublie de préciser que la TVA facturée à tort peut donner lieu à régularisation, dès lors qu'elle n'a pas été déduite (Y. Sérandour, L'exigibilité de toute TVA facturée, Lexbase Hebdo n° 112 du 18 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0923ABS et N° Lexbase : N0925ABU).

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