La lettre juridique n°647 du 17 mars 2016 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Maintien des avantages individuels acquis vs engagement unilatéral de l'employeur

Réf. : Cass. soc., 2 mars 2016, n° 14-16.414, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9222QDW)

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 17 Mars 2016

Si la notion d'avantage individuel acquis reste difficile à saisir, ce qui devrait entraîner à terme sa disparition du Code du travail, il n'y a aucune hésitation à avoir quant au sort des avantages ainsi qualifiés : ils sont intégrés au contrat de travail. Il en résulte que l'employeur est alors impuissant à les supprimer ou à les modifier de manière unilatérale. Destinée à protéger les salariés, cette règle peut, le cas échéant, se retourner en quelque sorte contre eux, puisqu'une telle modification unilatérale ne peut plus être admise alors même qu'elle pourrait se révéler plus favorable pour les salariés. C'est là l'enseignement d'un arrêt rendu le 2 mars 2016 par la Cour de cassation, dans lequel les salariés entendaient se prévaloir d'un engagement unilatéral de l'employeur qui, en substance, avait un effet favorable sur leur rémunération. Mais, ce n'était là, si l'on peut dire, qu'un effet collatéral de cet engagement qui, au premier chef, emportait modification unilatérale de leur rémunération contractuelle.
Résumé

La structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue, à l'expiration des délais prévus à l'article L. 2261-13 du Code du travail (N° Lexbase : L2440H9A), un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation, l'employeur ne pouvant la modifier sans l'accord de chacun de ces salariés, quand bien même estimerait-il les nouvelles modalités de rémunération plus favorables aux intéressés. Un engagement unilatéral de l'employeur contraire à ce principe ne peut avoir force obligatoire.

Observations

I - Le maintien des avantages individuels acquis

Exigences légales. Lorsqu'une norme conventionnelle fait l'objet d'une dénonciation par la totalité des signataires employeurs ou salariés, elle continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis, sauf clause prévoyant une durée déterminée supérieure (1).

A s'en tenir là, on pourrait penser que l'employeur ou le groupement patronal n'a guère d'intérêt à signer un accord de substitution dès lors qu'au terme du délai de survie, la norme conventionnelle dénoncée cesse purement et simplement de s'appliquer. Les choses ne sont, évidemment, pas aussi simples. Outre, qu'il convient de ne pas oublier qu'une convention ou un accord collectif de travail peut être source de flexibilité pour l'employeur, il importe surtout de rappeler que l'absence d'accord de substitution conduit, en application de l'article, L. 2261-13 du Code du travail, au maintien des avantages individuels acquis en application de la convention ou de l'accord dénoncé.

Il faut encore ajouter à cela que la Cour de cassation considère, dans le silence des textes, que ces avantages individuels acquis s'incorporent au contrat de travail des salariés concernés, avec pour conséquence notable qu'ils ne peuvent être remis ensuite en cause par décision unilatérale de l'employeur (2).

Difficultés de mise en oeuvre. Pour être simples en leur principe, les règles qui viennent d'être rappelées sont sources de récurrentes difficultés de mise en oeuvre. La principale d'entre elles réside, sans aucun doute, dans le fait de savoir ce que recouvre, très concrètement, la notion "d'avantages individuels acquis". On ne saurait dire que la Cour de cassation n'a pas tenté, au fil de sa jurisprudence, de cerner celle-ci. Mais le fait est que, nonobstant les nombreux arrêts rendus sur la question, la notion reste insaisissable. A tel point d'ailleurs, que l'avant-projet de loi "El Khomri" abandonne purement et simplement toute référence au maintien des avantages individuels acquis. A s'en tenir à l'état de ce texte à l'heure où ces lignes sont écrites, les salariés conserveraient "une rémunération" en application de la convention ou de l'accord dénoncé dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne pourrait être inférieur à la rémunération versée lors des douze derniers mois (3).

Une fois n'est pas coutume, ce n'était toutefois pas la notion "d'avantage individuel acquis" qui était en cause dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen, mais les conséquences de leur incorporation au contrat de travail des salariés concernés.

II - L'incorporation des avantages individuels acquis au contrat de travail

L'affaire. Etaient, en l'espèce, en cause, plusieurs salariés engagés par la caisse d'épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes (la caisse). Le 20 juillet 2001, la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance avait dénoncé divers accords collectifs nationaux et locaux applicables au sein des entreprises du réseau des caisses d'épargne, dont l'un, du 19 décembre 1985, qui prévoyait le versement, outre d'un salaire de base, notamment de primes de vacances, familiale et d'expérience.

Aucun accord de substitution n'ayant été conclu à l'expiration de la période de survie des accords qui avaient été dénoncés, la caisse a informé ses salariés que ces primes, devenues des avantages individuels acquis, ne figureraient plus de manière distincte sur les bulletins de salaire comme auparavant mais seraient intégrées au salaire de base.

Par deux arrêts (4), la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation. En conséquence de ces décisions, la caisse a, à compter de 2010, établi des bulletins de paie mentionnant sur des lignes distinctes le salaire de base et les avantages individuels acquis pour des montants cristallisés à la date de leur incorporation aux contrats de travail. Les salariés ont néanmoins saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Pour condamner la caisse à établir, pour chacun des salariés, et pour la période allant d'octobre 2008 à novembre 2013, des bulletins de paie faisant apparaître distinctement le salaire de base et chacune des primes maintenues au titre des avantages individuels acquis, valorisées en fonction de l'évolution du salaire de base, l'arrêt attaqué a retenu que l'employeur a pris en octobre 2002 un engagement unilatéral qu'il n'a pas dénoncé régulièrement depuis, qui portait sur l'intégration des avantages individuels acquis dans l'assiette de calcul des augmentations de salaire, et que les primes intégrées ont donc suivi l'évolution du salaire de base.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 2261-13 du Code du travail et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). La Chambre sociale rappelle, tout d'abord, que la structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue, à l'expiration des délais prévus à l'article L. 2261-13 du Code du travail, un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation, l'employeur ne pouvant la modifier sans l'accord de chacun de ces salariés, quand bien même estimerait-il les nouvelles modalités de rémunération plus favorables aux intéressés. Elle affirme, ensuite, qu'un engagement unilatéral de l'employeur contraire à ce principe ne peut avoir force obligatoire.

La Cour de cassation considère, enfin, qu'en statuant comme elle l'a fait, "alors que l'intégration des primes constitutives des avantages individuels acquis dans l'assiette de calcul des augmentations du salaire de base n'était que la conséquence de la décision illicite prise par la caisse en octobre 2002 de modifier unilatéralement la structure de la rémunération en intégrant les dits avantages individuels acquis au salaire de base, ce dont elle aurait dû déduire qu'elle ne pouvait constituer un engagement unilatéral de l'employeur ayant force obligatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Une solution juridiquement fondée. L'argumentation développée par les salariés dans la présente affaire n'était pas dénuée d'un certain opportunisme. En effet, ces derniers entendaient se prévaloir de la décision unilatérale de l'employeur d'intégrer les primes au sein du salaire de base ; décision datant d'octobre 2002. Il s'agissait, par ce biais, d'obtenir que ces primes bénéficient des mêmes valorisations que le salaire de base.

Cette argumentation pouvait s'autoriser du fait que la décision unilatérale en cause, qualifiée d'engagement unilatéral de l'employeur, n'avait pas été dénoncée par ce dernier et était donc toujours en vigueur. Cette absence de dénonciation se comprend parfaitement puisque, en quelque sorte, la décision de l'employeur avait été désavouée par la Cour de cassation qui, par deux arrêts en date du 1er juillet 2008 avait considéré que la structure de la rémunération constitue un avantage individuel acquis.

Deux conséquences découlaient de cette solution. En premier lieu, elle exigeait de l'employeur qu'il n'intègre pas les primes dans le salaire de base, mais qu'il les fasse apparaître distinctement sur les bulletins de salaire. En second lieu, la structure de la rémunération, parce qu'elle avait reçu la qualification d'avantage individuel acquis, était devenu, ipso facto, partie intégrante du contrat de travail des salariés.

On sait les effets d'une telle intégration : seul un accord entre l'employeur et les salariés concernés peut permettre la remise en cause de cet élément contractuel. Le fait que l'employeur estime que les nouvelles modalités de la rémunération soient plus favorables aux salariés ne change rien à l'affaire. Tout cela est, à dire vrai, fort classique.

On remarquera, cependant, que c'est moins l'employeur qui considérait que les nouvelles modalités de la rémunération étaient plus favorables, que les salariés qui entendaient se prévaloir de l'engagement unilatéral non dénoncé. On comprend ainsi que cet engagement unilatéral n'avait pas pour objet d'accorder un avantage aux salariés, auquel cas il aurait dû recevoir application, mais de remettre en cause un élément de leur contrat de travail intéressant leur rémunération, ce qui exigeait l'accord exprès des salariés intéressés. Ce n'est là qu'une conséquence du régime juridique de la modification du contrat de travail et plus particulièrement de la règle selon laquelle la rémunération d'un salarié ne peut être unilatéralement modifiée, alors même que cette modification serait favorable pour le salarié.


(1) C. trav., art. L. 2261-10, al. 1er (N° Lexbase : L3731IBS).
(2) V., par ex., Cass. soc., 6 novembre 1991, n° 87-44.507 (N° Lexbase : A9146AAY), Bull. civ. V, n° 479.
(3) Cette rémunération s'entendrait, au sens des dispositions de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8661KUC), à l'exception de la première phrase de son deuxième alinéa.
(4) Cass. soc, 1er juillet 2008, n° 07-40.799, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4995D9U) et n° 06-44.437, FP-P+B (N° Lexbase : A4826D9M), Bull. civ.V, n° 147.

Décision

Cass. soc., 2 mars 2016, n° 14-16.414, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9222QDW).

Cassation partielle sans renvoi (CA Lyon, 25 février 2014).

Textes visés : C. trav., art. L. 2261-13 (N° Lexbase : L2440H9A) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC).

Mots-clefs : Convention collective ; dénonciation, maintien des avantages individuels acquis ; incorporation au contrat de travail ; modification ; engagement unilatéral de l'employeur.

Lien base : (N° Lexbase : E2385ETI).

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