Lexbase Affaires n°454 du 11 février 2016 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Précision du périmètre de l'arrêt des voies d'exécution à propos de la saisie-vente de parts sociales

Réf. : Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 15-13.222, FS-P+B (N° Lexbase : A3397N7X)

Lecture: 7 min

N1333BWB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Précision du périmètre de l'arrêt des voies d'exécution à propos de la saisie-vente de parts sociales. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/29242393-jurisprudenceprecisionduperimetredelarretdesvoiesdexecutionaproposdelasaisieventedepa
Copier

par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté)

le 11 Février 2016

L'arrêt rendu le 28 janvier 2016 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (1) est au carrefour du droit de la saisie individuelle accordé par la loi à un seul créancier et droit de la discipline collective imposée aux créanciers d'un débiteur ayant des difficultés financières. Plus précisément encore, il s'agit d'un conflit entre une saisie-vente sur des parts sociales faisant partie du patrimoine du débiteur et le redressement judiciaire ouvert à l'égard de ce dernier.
En l'espèce, à la suite de l'appropriation de façon déloyale d'un savoir-faire, le préjudice concurrentiel de la société victime de comportements fautifs a été reconnu en justice. Son montant a été fixé par une première décision définitive rendue par la cour d'appel de Douai le 17 janvier 2013 (2) à la charge des sociétés fautives au nombre desquelles fait partie le débiteur. A l'appui de cette décision, la société créancière a fait pratiquer une saisie des parts sociales détenues par le débiteur dans une SCI, le 31 janvier 2013 pour une somme d'environ 2 118 000 euros. Le 14 février suivant, le créancier a fait délivrer un commandement aux fins de saisie vente aux sociétés débitrices, pour le recouvrement de la somme litigieuse. Le lendemain, les saisies ont été pratiquées et dénoncées le 21 février 2013. Le 26 février 2013, le débiteur a assigné le créancier devant le juge de l'exécution aux fins de cantonner la saisie au montant de la créance due, ordonner la mainlevée pour le surplus, et subsidiairement déclarer nul le commandement aux fins de saisie vente. Par jugement du 17 juillet 2013, le tribunal de commerce a prononcé l'ouverture du redressement judiciaire du débiteur, désigné un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire, qui sont volontairement intervenus à l'instance en cours devant le juge de l'exécution. Par un premier jugement du 17 février 2014, la demande d'annulation des saisies-attributions pratiquées à l'encontre du débiteur est rejetée. Ce dernier et les organes de la procédure interjettent appel. Ils invoquent les dispositions de l'article L. 622-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L3452ICT). Par un arrêt du 20 novembre 2014, la cour d'appel de Douai (3) confirme le jugement critiqué au motif que les appelants fondaient leur prétention sur de la jurisprudence rendue en matière de saisie conservatoire et non pas à propos de saisie exécutoire, comme en l'espèce. Pour cette raison, la procédure de saisie ayant été valablement mise en oeuvre avant l'ouverture du redressement judiciaire du débiteur, elle était suspendue et une reprise ultérieure au cours de la procédure au cours du redressement judiciaire est possible. Le débiteur et le commissaire à l'exécution du plan rédigent un pourvoi. Sur le visa des articles L. 622-21, II, du Code de commerce et des articles R. 232-1 (N° Lexbase : L2358ITI) et R. 232-9 (N° Lexbase : L2374IT4) du Code des procédures civiles d'exécution, la Cour de cassation censure le juges du fond car "le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête toute procédure d'exécution, tant sur les meubles que sur les immeubles, de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L8102IZ4) et [...] l'arrêt des procédures d'exécution entraîne la mainlevée d'une procédure de saisie des droits d'associés lorsque, à la date du jugement d'ouverture, cette procédure d'exécution n'a pas, par la vente des droits d'associés, produit ses effets".

Ainsi, l'arrêt permet de préciser le périmètre de l'arrêt des procédures civiles d'exécution en raison de l'ouverture de la procédure collective du débiteur, les juges du fond ayant notamment confondus les différentes sortes de saisies existant en droit des procédures civiles d'exécution (I). En outre, il convint de rappeler les conséquences de la mise en oeuvre de la discipline collective imposée aux créanciers du débiteur en redressement judiciaire (II).

I - Périmètre de l'arrêt des procédures d'exécution : être ou ne pas être arrêtée !

La règle de l'arrêt des poursuites individuelles énoncée à l'article L. 622-21 du Code de commerce est le prolongement du principe de l'interdit des paiements de l'article L. 622-7 du même code (N° Lexbase : L7285IZT), destiné à provoquer "le gel du passif" du débiteur sous procédure et caractérisant la discipline collective commandée par le principe d'égalité entre créanciers chirographaires (4). Ainsi, le principe de l'arrêt et de l'interdiction des poursuites individuelles vise toutes les procédures civiles d'exécution réalisées sur le patrimoine du débiteur sous procédure collective.

Tout d'abord, le patrimoine du débiteur en procédure collective, que ce soit en sauvegarde, en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, est visé dans sa totalité par cette règle de l'interdiction des procédures civiles d'exécution. Cette solution est justifiée par ce que l'on appelle, désormais, l'effet réel de la procédure collective, peu importe que les voies d'exécution portent sur les meubles (5) ou les immeubles (6). En l'espèce, le débiteur étant une personne morale, la délimitation du périmètre de l'arrêt des procédures d'exécution ne soulevait pas de difficulté particulière. Il en va différemment lorsque le débiteur est une personne physique. En effet, il peut avoir institué un patrimoine affecté (EIRL). Dans ce cas, l'arrêt des mesures d'exécution forcée sera limité au seul patrimoine sous procédure. Lorsque le débiteur est marié sous le régime de la communauté, les biens communs bénéficient également de cet arrêt en application de l'article 1413 du Code civil (N° Lexbase : L1544ABS). Cette solution a été confirmée récemment par la Cour de cassation (7).

En outre, pour que ces procédures soient arrêtées, il faut qu'elles n'aient pas produit d'effet définitif au jour de l'ouverture de la procédure collective du débiteur. Pour cette raison, il convient de distinguer entre les différents types de saisies. En effet, la saisie-attribution est une mesure d'exécution forcée qui a pour objet la saisie de créances monétaires détenues par le débiteur à l'encontre de tiers (8). Ainsi, à défaut de créances portant sur une somme d'argent (9), il n'est pas possible de mettre en oeuvre cette voie d'exécution. En l'espèce, les juges du fond avaient évoqué cette procédure d'exécution pour justifier le rejet de la demande de nullité de la saisie opérée sur les droits sociaux appartenant au débiteur poursuivi. Or, leur argumentation n'est pas valable car les droits sociaux sont des biens meubles incorporels pour la saisie desquels le Code de procédure énonce des règles spéciales (10) dont le régime s'inspire directement de la saisie-vente des biens meubles corporels (11). Dans ces conditions, la procédure n'a pas produit d'effet attributif tant que le bien n'a pas été transféré dans le patrimoine de l'acquéreur, que le bien ait été réalisé à l'amiable, ou bien dans le cadre d'une vente judiciaire, contrairement à la saisie-attribution qui emporte immédiatement un effet attributif. En l'occurrence les droits sociaux saisis n'avaient pas encore été vendus ; par conséquent, la procédure d'exécution critiquée n'avait pas produit d'effet attributif (12). Elle entre dans le périmètre de l'arrêt des procédures d'exécution. En effet, tant que les droits sociaux ne sont pas vendus, leur saisie produit une indisponibilité partielle qui porte sur leur propriété, l'associé débiteur ne pouvant les vendre, mais elle est surtout limitée aux droits patrimoniaux attachés aux droits sociaux saisis. Ainsi, l'associé ne peut percevoir les dividendes versés. A l'opposé, les droits extrapatrimoniaux ou politiques ne sont pas affectés. L'associé conserve son droit à l'information à propos de la gestion de la société et son droit de participer aux assemblées générales, et surtout la possibilité de voter les résolutions dans ces assemblées. Cette indisponibilité prend fin avec la vente et le transfert de propriété des droits sociaux saisis dans le patrimoine de l'acquéreur, qui acquiert à compter de cette date, la qualité d'associé. Une solution identique a été décidée par la Cour de cassation en matière de saisie immobilière (13) dans le cadre de laquelle une surenchère avait été exercée : considérant que le transfert de propriété n'avait pas été réalisé définitivement au jour de la déclaration de surenchère réalisée après l'ouverture de la procédure collective du débiteur saisi, la procédure est arrêtée !

II - La mainlevée, conséquence de l'arrêt de la procédure de saisie

Ainsi, dès lors que l'effet attributif, dont la réalisation intervient différemment selon les procédures d'exécution mises en oeuvre, ne s'est pas produit, la procédure d'exécution entre dans le périmètre de l'interdiction et de l'arrêt de l'article L. 622-21, II, du Code de commerce.

Lorsque la procédure d'exécution n'a pas encore été initiée, elle ne peut plus l'être à compter de l'ouverture de la procédure collective du débiteur poursuivi. La solution est simple et facile à comprendre.

Au contraire, lorsque la procédure d'exécution a été déclenchée à une date antérieure à celle du jugement prononçant l'ouverture, celle-ci est arrêtée dès lors qu'elle n'a pas produit un effet attributif avant l'ouverture. En matière de saisie-attribution, cet effet se produit immédiatement dès la réalisation de la saisie (14) ; à l'opposé, en matière de saisie-vente, il faut que la vente soit intervenue avant l'ouverture de la procédure, la seule dénonciation réalisée antérieurement est insuffisante. Celle-ci entraîne une indisponibilité des biens saisis qui n'entraîne pas d'effet attributif, comme indiqué antérieurement. Telle est la règle rappelée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 28 janvier 2016.

En outre, il ne faut pas confondre la règle énoncée à l'article L. 622-21, I, du Code de commerce qui concerne les actions en justice de la part des créanciers titulaires de créances soumises à la discipline collective de la procédure (créances antérieures et créances postérieures non privilégiées) et qui tendent à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, avec la règle relative aux procédures d'exécution de l'article L. 622-21, II, du même code. En effet, il semble qu'une telle confusion ait été réalisée par les juges du fond, considérant que la saisie en cours, avait été effectivement arrêtée, mais pouvait valablement être poursuivie après le jugement d'ouverture avec l'intervention des mandataires. Or, la règle est l'arrêt des procédures civiles d'exécution et non la suspension de ces dernières ! Par conséquent, elles ne peuvent reprendre et leur mainlevée doit être ordonnée par le juge en raison de la caducité provoquée par leur entrée dans le périmètre de l'article L. 622-21, II, du Code de commerce.


(1) Impact de l'arrêt des procédures d'exécution sur une procédure de saisie des droits d'associés n'ayant pas produit ses effets à la date du jugement d'ouverture Lexbase Hebdo n° 453 du 4 février 2016 - édition affaires (N° Lexbase : N1232BWK).
(2) CA Douai, 17 janvier 2013, n° 11/01414 .
(3) CA Douai, 20 novembre 2014, n° 14/01228 (N° Lexbase : A9150M3B).
(4) F. Pérochon, Le périmètre de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, in Mesures d'exécution et procédures collectives, collec. Procédure(s), Larcier 2012, p. 9-28, spéc. n°1
(5) Y compris les mesures diligentées par l'administration, en ce sens Ph. Roussel Galle, Gaz. Pal., 10 mars 2009, p. 21.
(6) Cass. com., 4 mars 2014, n° 13-10.534, FS+P+B (N° Lexbase : A3966MGY), nos obs. Arrêt des voies d'exécution initiées antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, Lexbase Hebdo n° 376 du 3 avril 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N1680BUR) ; Act. proc. coll., 2014, comm. 133, note P. Cagnoli ; Bull. Joly Entreprises en diff., 2014, p. 155, note L. Le Mesle ; Gaz. Pal., 1er juillet 2014, p. 28, obs. I. Rohard-Messager ; Rev. dr. banc et fin., 2014, comm. 110, note S. Piedelièvre.
(7) Cass. com. 16 mars 2010, n° 08-13.147, FS-P+B (N° Lexbase : A8033ETP), Bull. civ. IV, n° 55 ; JCP éd. E, 2010, 1742, n° 6, obs. M. Cabrillac ; Act. proc. coll., 2010, comm. 122, obs. J. Vallansan ; Dr et proc., 2010-5, p. 5, obs. Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll., 2010, comm. 248, note G. Berthelot ; Gaz. Pal., 3 juillet 2010, p. 13, note L. Antonini-Cochin ; D., 2010, p. 825, note A. Lienhard et p. 1828, note P.-M. Le Corre
(8) Ph. Hoonackker, Procédures civiles d'exécution, coll. Paragdime, Larcier, 2014, n° 371 et s..
(9) C. proc. civ. exécution, art. L. 211-1 (N° Lexbase : L5837IRM).
(10) C. proc. civ. exécution, art. R. 232-1 (N° Lexbase : L2358ITI) à R. 233-9.
(11) Ph. Hoonackker, préc. n° 555 et s..
(12) Cass. com. 2 oct. 2013, n° 11-22.387, F-P+B (N° Lexbase : A9738ITT), JCP éd. E, 2013, 1001, nos obs. ; Bull. Joly Entreprises en diff., 2012, p. 377, note Ch. Hugon ; P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Octobre 2012 (2nd. comm.), Lexbase Hebdo n° 313 du 18 octobre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N3955BTN).
(13) Cass. com., 4 mars 2014, n° 13-10.534, préc. note 6.
(14) Cass. civ. 2, 8 décembre 2011, n° 10-24.420, FS-P+B (N° Lexbase : A1972H4S), Act. proc. coll., 2012, comm. 37, note P. Cagnoli ; P-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Décembre 2011 (2nd comm.), Lexbase Hebdo n° 277 du 15 décembre 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N9267BSZ).

newsid:451333

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus