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N9549BU9
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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole
le 22 Octobre 2015
Sur des faits relativement banals, l'arrêt apporte d'intéressantes précisions sur la responsabilité du commissionnaire de transport. En l'espèce, un laboratoire pharmaceutique confie à un commissionnaire le transport de colis de médicaments, devant rester congelés à une température précise. Le commissionnaire remet l'envoi à un transporteur et désigne un destinataire pour réceptionner la marchandise à l'aéroport et effectuer le trajet final. Lors de la réception auprès de l'agent de handling du transporteur par le destinataire indiqué par le commissionnaire, le lendemain de l'arrivée du vol, il apparaît que les produits sont décongelés et entièrement perdus.
La question principale était celle d'une faute personnelle du commissionnaire, permettant à l'expéditeur d'éviter le régime de responsabilité du commissionnaire du fait de ses substitués, moins favorable. La cour d'appel (CA Versailles, 29 octobre 2013, n°12/03790 N° Lexbase : A5435KNM), que la Cour de cassation ne contredit pas, retient cette faute en raison de ce que le commissionnaire n'avait pris aucune mesure préservant les marchandises entre le moment où celles-ci étaient arrivées à l'aéroport et avaient été prises en charge par le destinataire désigné par le commissionnaire. Pourtant, le commissionnaire pouvait se croire dispensé d'intervenir. Jusqu'à la livraison, même tardive, le contrat de transport demeure en cours et la responsabilité est celle du transporteur. Ce devait donc être le mécanisme de la responsabilité du transporteur du fait du substitué qui aurait dû s'appliquer et non celui de la responsabilité pour faute personnelle. Retenir une telle faute est également sévère : le transporteur, qui n'a pas effectué la livraison, demeure responsable de la marchandise et doit prendre de sa propre initiative les mesures destinées à la préserver, voire solliciter des instructions. L'arrêt oblige alors le commissionnaire à surveiller constamment le transport.
La détermination des obligations pouvant être incluses dans un contrat de transport de marchandises présente un intérêt pratique considérable, en raison de la spécificité du régime de ce contrat. Il s'agit, d'abord, d'une question de qualification. Est qualifié de contrat de transport celui ayant pour obligation principale le déplacement de personnes ou de marchandises. Dans quelle mesure cette définition permet-elle d'inclure d'autres obligations tout en préservant la qualification de contrat de transport ? On se souvient notamment de la position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, refusant de qualifier le contrat de déménagement de contrat de transport au motif qu'il ne portait pas exclusivement sur le déplacement (Cass. com., 6 juillet 2010, n° 09-14.661, F-D N° Lexbase : A2272E4W). Parallèlement à la question de la qualification, se pose celle de la situation des autres obligations que le déplacement. Doivent-elles être considérées comme incluses dans le contrat de transport ou comme constituant l'objet d'un contrat distinct ?
La jurisprudence a surtout adopté des solutions empiriques, évitant, sauf en ce qui concerne le déménagement, les positions de principe.
Par exemple, dans la situation fréquente où sont cumulés des prestations de transport et d'entreposage, la jurisprudence retient la qualification unitaire de contrat de transport lorsque l'entreposage précède le transport (Cass. com., 14 décembre 2010, n° 09-68.860, F-D N° Lexbase : A2618GNB), sauf lorsque la marchandise est destinée à être retournée au déposant (Cass. com., 9 février 2010, n° 08-10.574, F-D N° Lexbase : A7685ER3). D'autres arrêts vont plutôt opter pour une analyse quantitative (par ex., CA Paris, 8 octobre 1986 : "en raison de la brièveté du trajet par rapport à la durée et à l'importance du dépôt dans les entrepôts de [M.], ce dernier contrat ne peut être regardé comme accessoire du contrat de transport").
L'arrêt rendu le 30 juin 2015 présente alors un intérêt particulier, reflété par sa publication au Bulletin, non seulement pour la solution d'espèce qu'il apporte, mais également pour la généralisation qu'il est possible de lui donner (cf., sur cet arrêt les obs. de G. Piette, Nature juridique de la mise à disposition de conteneurs par le transporteur maritime, Lexbase Hebdo n° 435 du 10 septembre 2015 - édition affaires N° Lexbase : N8824BUD). En l'espèce, un conteneur avait été mis à la disposition du chargeur par le transporteur, dans le cadre d'une opération de transport maritime. La question était de savoir si le paiement de frais d'immobilisation du conteneur était soumis au régime du contrat de transport ou si la fourniture du conteneur constituait une convention distincte, de location.
La cour d'appel avait opté pour une solution dualiste, estimant que la période de mise à disposition du conteneur dépassant celle du transport proprement dit, chaque opération était l'objet d'une convention distincte (CA Saint-Denis de la Réunion, 29 juillet 2013, n° 12/00612 N° Lexbase : A2694KKY).
L'arrêt est cassé sous le visa de textes maritimes mais pour un motif de portée générale : "à moins qu'elle ne fasse l'objet d'une convention distincte du contrat de transport, la mise à disposition de conteneurs par le transporteur maritime, qui concourt à l'acheminement de la marchandise, constitue une obligation accessoire de ce contrat".
La Cour de cassation confirme ainsi que le contrat de transport ne se limite pas à une obligation exclusive de déplacement, mais peut comprendre d'autres obligations, accessoires. Ce caractère permet d'éviter la disqualification et d'intégrer les diverses obligations dans une convention unique, sauf volontaire contraire des parties, clairement exprimée.
Le plus notable est sans doute le critère de l'accessoire : est qualifié de tel ce qui concourt à l'exécution du principal, en l'occurrence l'acheminement de la marchandise. La Chambre commerciale adopte une conception parfaitement académique, qui mettra peut-être un terme aux analyses quantitatives. Quelle que soit l'importance matérielle des diverses obligations, un contrat doit être qualifié en fonction de son objet, lui-même déterminé par sa cause, par le besoin du contractant utilisateur du contrat.
Lorsque le transport de voyageur est organisé par un tiers, contractant du transporteur, le passager et le transporteur sont-ils eux-mêmes parties à un contrat de transport ? Une réponse négative serait largement justifiée : si le contrat de transport existe, il unit le voyageur et son propre contractant, l'organisateur. La nécessité d'un accord de volonté, le principe de l'effet relatif des conventions se conjuguent pour que le passager ne soit pas contractuellement en rapport avec le transporteur. Du reste, celui-ci n'a pas nécessairement conclu de contrat de transport : entre le prestataire et l'organisateur, il peut parfaitement exister un contrat d'affrètement, portant sur la mise à disposition du véhicule et de l'équipage en vue d'un transport. En matière aérienne, où la situation est fréquente, les conventions internationales étendent la responsabilité du transporteur de fait à l'égard des passagers, extension qui ne se réalise pas par le droit commun.
Ce n'est pas semble-t-il la position qui vient d'être adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet 2015 dans le présent arrêt. En l'espèce, une association organisatrice d'un voyage scolaire confie le transport des passagers par bus à une entreprise. A la suite de la destruction des bagages dans un incendie au cours du transport, l'assureur de l'association indemnise les passagers et se retourne contre le transporteur en invoquant la subrogation dans les droits de ceux-ci. La question était alors posée de la nature de la responsabilité du transporteur envers les passagers. La première chambre civile approuve la cour d'appel (CA Bordeaux, 13 septembre 2012, n° 11/01444 N° Lexbase : A6603ISD) d'avoir retenu la responsabilité contractuelle du transporteur, uni par un contrat de transport avec les passagers et, à ce titre débiteur d'une obligation de sécurité. On soulignera, en attendant confirmation par une prochaine jurisprudence, que l'obligation de sécurité concerne désormais davantage le transport de bagages que celui de personnes (sur cette question, cf. nos obs. in Chronique de droit des transports - Juin 2015, Lexbase Hebdo n° 427 du 11 juin 2015 N° Lexbase : N7828BUH sous Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 14-13.440, FS-P+B N° Lexbase : A9221NGM) et que le passager pourrait être partie à un contrat de transport avec le transporteur du seul fait de son déplacement.
Née dans le contrat de transport, l'obligation de sécurité a, on le sait, innervé tout le droit des contrats. Le mouvement inverse qui impliquerait que des principes généraux des conventions s'appliquent alors tout au contrat de transport serait logique. Une obligation particulière permet d'expérimenter cette application, l'obligation d'information. La jurisprudence a largement dégagé, au-delà des textes, une telle obligation à la charge du professionnel et au bénéfice du profane. Fondée sur l'inégalité de compétences des parties, sur la nécessité d'assurer la bonne exécution du contrat, l'obligation d'information présente un caractère général et pourrait concerner le contrat de transport, notamment de voyageurs.
Le passager est très souvent un consommateur, conformément à la définition qui en est désormais donnée par le Code de la consommation. Dès lors, il est certainement créancier des obligations d'informations établies par ce code. Mais qu'en est-il de l'obligation générale d'information ?
Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation permet de mesurer la spécificité du contrat de transport qui demeure exempté des obligations de droit commun.
En l'espèce, une famille obtient des titres de transport auprès d'un transporteur aérien, mais se voit refuser l'embarquement, faute de satisfaire aux conditions d'entrée dans le pays de destination. Ils demandent réparation devant le juge de proximité, lequel fait droit à leur demande. Le jugement retient que le transporteur, en sa qualité de "vendeur de billets d'avion, était tenu, comme tout vendeur professionnel, d'une obligation d'information et de conseil à l'égard de ses clients et qu'il lui revenait, à ce titre, d'informer les époux [X] des formalités multiples d'entrée et de séjour de la ville de destination".
La première chambre civile de la Cour de cassation casse alors l'arrêt, notamment sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) et en précisant que "les billets d'avion litigieux avaient été délivrés aux époux [X] par un transporteur aérien, de sorte que n'était applicable à la société ni l'obligation d'information incombant au vendeur ni celle, incombant aux opérateurs de la vente de voyages et de séjours, au sens des articles L. 211-1 (N° Lexbase : L8771IZU) et suivants du Code du tourisme, relative aux conditions de franchissement des frontières".
L'exclusion de l'obligation précontractuelle d'information des opérateurs de voyage est bien justifiée : elle est spécifique à ces professionnels et l'article L. 211-7 du Code du tourisme (N° Lexbase : L5617IER) exclut expressément les transporteurs aériens de son champ d'application, dès lors qu'ils se limitent à la prestation de transport.
Ceci ne signifie pas que le transporteur n'est pas tenu d'une obligation de droit commun d'information, à l'instar de celle incombant au vendeur et sur laquelle le juge de proximité s'était manifestement fondé. Sans doute, le contrat de transport n'est pas un contrat de vente et la première chambre civile a beau jeu de rappeler cette évidence. Elle n'en exclut pas moins une obligation générale d'information, qui se justifiait pourtant d'autant mieux qu'elle permettait la réalisation de l'obligation principale de déplacement, dont le transporteur est débiteur.
Le contrat de transport est certes soumis à une réglementation spécifique, mais ceci n'exclut nullement que, dans les matières non régies par celle-ci, le droit commun trouve à s'appliquer. La même juridiction avait expressément reconnu auparavant l'obligation d'information du transporteur aérien à l'égard des passagers (Cass. civ. 1, 12 juin 2012, n° 10-26.328, F-P+B+I N° Lexbase : A8843INT ; Cass. civ. 1, 19 mars 2009, n° 08-11.617, F-D N° Lexbase : A0874EE4), qu'elle rejette désormais.
L'arrêt concerne la question récurrente de l'appréciation de la rupture brutale des relations commerciales dans la sous-traitance de transport.
En l'espèce, une société a confié, depuis 1986, des prestations de transport de marchandises à une autre société selon des contrats de sous-traitance successifs. Les sociétés ont conclu, le 22 avril 2008, un contrat-cadre. Par lettre recommandée du 6 mars 2009, l'entrepreneur principal a mis fin au contrat-cadre avec un préavis de trois mois. Estimant ce délai de préavis insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie entre les parties, le transporteur l'a assigné en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce. La cour d'appel de Grenoble ayant débouté le transporteur de sa demande (CA Grenoble, 26 septembre 2013, n° 11/00278 N° Lexbase : A1564KSQ), il a formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
En premier lieu, elle rappelle qu'un contrat type, institué sur le fondement de l'article 8 II de la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 (N° Lexbase : L6771AGU), dite "LOTI"), règle pour l'avenir, dès l'entrée en vigueur du décret qui l'établit, les rapports que les parties n'ont pas définis au contrat de transport qui les lie ;
En second lieu, elle énonce que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ne s'applique pas à la rupture des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants lorsque le contrat-cadre liant les parties se réfère expressément au contrat type institué par la LOTI, qui prévoit en son article 12.2 la durée des préavis de rupture
La Chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une solution constante à cette question de la rupture brutale des relations commerciales dans la sous-traitance de transport depuis 2011 (Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-20.240, FS-P+B N° Lexbase : A5964HYK) : il est inutile d'invoquer la rupture brutale des relations commerciales prohibée par l'article L. 442-6 du Code de commerce, lorsque le contractant du transporteur a respecté le délai de préavis institué par le contrat-type relatif à la sous-traitance dans le transport routier de marchandises.
Cette position est destinée à s'étendre, alors que d'autres contrats-types adoptent, désormais, la même règle : contrat-type commission de transport, contrat-type location de véhicule avec conducteur.
Elle n'en est pas moins régulièrement contestée, chaque fois sans succès. Sans doute, la Chambre commerciale trouve-t-elle, à chaque fois, une nouvelle justification : tantôt l'article du Code de commerce n'est pas applicable aux relations de sous-traitance dans le transport, tantôt le contrat-type constitue un usage fixant la durée du préavis... L'interprète finit par se perdre à analyser autant de justifications distinctes d'un même résultat.
Sans doute peut-on chercher à analyser pareillement le présent arrêt. Après tout, la Chambre commerciale ne précise-t-elle pas que l'article du Code de commerce ne s'applique pas "lorsque le contrat-cadre se réfère expressément au contrat-type". Ne peut-on en déduire que la Chambre commerciale, cette fois dans sa formation plénière, infléchit sa rigueur ? Qu'elle considèrera à l'avenir que si les parties ne se réfèrent pas expressément au contrat-type, l'appréciation de la prohibition de la rupture brutale reviendra au juge, qui pourra ne pas tenir compte du délai institué par le texte ?
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