La lettre juridique n°630 du 22 octobre 2015 : Éditorial

La grève... pour une économie de la qualité

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 22 Octobre 2015


Jadis, on allait place de Grève, sur les quais de Seine, chercher du travail auprès des bateliers. Aujourd'hui, l'on fait grève pour conserver son emploi ou, du moins, les conditions de ce dernier. Il est peu de cas, mais il en existe vertueusement, où l'on fait grève pour conserver une certaine qualité de la prestation ainsi délivrée à travers son travail.

Jadis, le droit était l'affaire des juristes, des docteurs ou du moins des licenciés en droit. Aujourd'hui, la matière juridique est embrassée tant par les tenants du chiffre que par les marchands algorithmiciens.

Jadis, l'avocat était promis aux plus hautes instances de son Etat : a minima nommé à la Chancellerie, voire élu à la Présidence, elle-même. Aujourd'hui, si un banquier tient bien les cordons de Bercy, la garde des Sceaux est confiée à un professeur de sciences économiques ; et c'est en passant d'abord par la case politicienne, que certains ont tenté de revêtir la robe sacerdotale de l'avocat.

On peut gloser sur le tournant numérique de certains métiers ; sur une hypothétique "uberisation" de certaines professions. D'aucuns, comme Luc-Marie Augagneur, dans le JCP éd. G, souhaiterait démystifier ce néoconcept, en démontrant que le coeur de cette algorithmisation ne concerne que des activités simples et répétitives abandonnées depuis longtemps par les avocats eux-mêmes. D'autres, comme Stéphanie Matt et Ludovic Blanc, même édition, acceptent le néologisme appliqué à la profession, pour mieux exhorter à l'innovation afin de rester compétitif.

La vérité juridique ne sera jamais dans le code ! Godel, Cantor et Turing contredisent cette ambition démontrant l'incomplétude, l'indécidabilité et l'inconsistance de tout système algorithmique. Et, il n'est pas certain que ce code évolue, avec le temps et face aux affres de son environnement, aussi bien que l'humain. Et puis derrière l'algorithme se cache en fait un homme ; le problème c'est que cet homme n'est pas nécessairement juriste et encore moins orfèvre juridique.

Il faut croire Arnaud Simon, Maître de conférences à Dauphine, quand il écrit, dans Le Monde daté du 13 octobre 2015, que la question n'est pas tant de savoir comment la vague numérique, du big data, remplace mais comment elle transforme... une profession.

A la vérité, les trois nostalgies décrites plus haut expliquent en grande partie le malaise actuel qu'éprouve une profession, les avocats, pour accomplir au quotidien leur mission d'auxiliaire de justice.

Il n'y a pas de fracture numérique au sein de la profession : le taux d'équipement, le succès du RPVA, la migration de la documentation papier vers les bases de données juridiques, montrent chaque jour combien les avocats ont su prendre le virage numérique sans dérapage ; la réforme du régime de la communication de l'avocat elle-même prend en compte la nécessité d'investir de nouveaux champs d'action tout en maintenant un équilibre certain avec la déontologie.

L'action, voilà le maître mot d'un Congrès des avocats qui s'est déroulé le 9 octobre, brossant au pas de charge les enjeux majeurs de l'avocature au sein de cette justice du XXIème siècle en préparation.

Car, les avocats agissent. Ils ne sont pas arc-boutés contre toute évolution des pratiques et même des mentalités, bien au contraire. La justice se paupérise ? Qu'à cela ne tienne ! Si l'Etat veut marquer son désengagement judiciaire en promouvant les modes alternatifs de règlement des conflits, les avocats sont prêts pour assurer leur mission aussi dans un cadre extrajudiciaire, car ils sont avant tout des tiers de confiance, des mandataires ad litem, des auxiliaires de justice et non juridictionnels.

L'enjeu de demain est d'assurer la haute couture juridique et de maintenir sa déclinaison prêt-à-porter sous contrôle et sans contrefaçon. L'avocat ne peut être à la fois artisan orfèvre et ouvrier à la chaîne : ce n'est pas dans son code génétique. La confrontation de la profession à la libéralisation de certaines activités juridiques voire judiciaires, aux plateformes distributives de formules (toutes faites) et de courriers (usuels) de procédure, n'est pas une menace en soi, pour autant que le véritable conseil soit exclu de cette marchandisation numérique du droit. L'ouverture du marché juridique est même inexorable car, même avec 4 000 nouvelles prestations de serment par an, la France... manque d'avocats ! Au regard des besoins réels des justiciables. La paupérisation de la profession n'est d'ailleurs pas le produit d'une concurrence entre les avocats eux-mêmes, mais le fait d'une difficulté structurelle des justiciables à accéder au droit et à la justice (30 % d'entre eux renoncent à recourir à un avocat pour régler leurs conflits). L'inégalité est au coeur de la machine judiciaire. Alain Lacabarats soulignait, lors de ce Congrès, que si le contentieux prud'homal diminuait, c'est parce que ne demeuraient entre les mains de la justice que les contentieux les plus conflictuels ; le taux de conciliation baisse, celui du départage augmente. Reste alors cette phase obscure, trop souvent sans assistance, que constitue la rupture conventionnelle, désormais véritable phase de conciliation prud'homale.

Du coup, on l'aura compris, la question de l'aide juridictionnelle n'est pas tant l'affaire d'une revalorisation de l'unité de valeur ou de l'instauration inique d'une contribution sur l'activité des délégataires de cette aide. C'est l'histoire d'une profession qui souhaite continuer à servir la justice dans une économie de la qualité, plutôt que dans une économie de la quantité. Antoine Lyon-Caen les a appelés, ces avocats congressistes, à critiquer toute tentative de quantification de la qualité, ce gouvernement des nombres. Cette critique pouvait résonner à l'oreille du ministère de tutelle, lorsque c'était encore la Chancellerie qui était en charge de la justice. Mais, les avocats, donc le droit, semblent passer sous la houlette du ministère de l'Economie dont les oreilles sont plus habituées à la mélodie des experts-comptables -plus à même de conseiller les entreprises selon les mots du Premier ministre (sic)- et des jeunes pousses du secteur numérique. Il est certain que le dernier acte de modernisme, le seul nécessaire réellement, dont doit faire preuve la profession est tout simplement de parler le langage "bercyen", démontrant que l'on doit et qu'il est possible de protéger la qualité au service du plus grand nombre -notons, pas de la quantité-, tout en respectant les contraintes budgétaires de l'Etat. Les pistes ont été lancées depuis longtemps, maintenant : c'est désormais affaire de trophallaxie linguistique... et de lobbying actif.

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