La lettre juridique n°618 du 25 juin 2015 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Recevabilité d'un recours contre une ordonnance de taxe rendue hors délais

Réf. : Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-10.518, F-P+B (N° Lexbase : A5416NIG)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

le 25 Juin 2015

Par un arrêt du 21 mai 2015, la Cour de cassation a retenu que, saisi d'une contestation portant sur les honoraires de l'avocat, le Bâtonnier de l'Ordre doit rendre sa décision sous un délai de quatre mois, éventuellement prorogeable une fois, sous peine d'être définitivement dessaisi de la contestation. Or, si celui-ci rend tout de même une ordonnance de taxe tardivement, les parties restent recevables à exercer leur recours devant le premier président de la cour d'appel. L'avocat n'a pas de plus coriace adversaire que... son propre client ! C'est l'amer constat que font les confrères qui ont, un jour ou l'autre, été contraints de faire taxer leurs honoraires ou d'en justifier le montant devant leur Bâtonnier. Car on sait que les articles 175 et 176 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) ont prévu une procédure originale en matière de contestation des honoraires et des débours de l'avocat dont connaît le Bâtonnier de l'Ordre des avocats qui doit statuer sous un délai de rigueur de quatre mois, éventuellement prorogeable une fois.

A défaut, les parties doivent effectuer une saisine du premier président de la cour d'appel. Or, l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 mai 2015 apporte une importante précision relative à la sanction du dépassement de ce délai.

Selon la Cour de cassation, les parties restent recevables à saisir le premier président de la cour d'appel même si le Bâtonnier rend son ordonnance de taxe au-delà des délais imposés par les articles 175 et 176 du décret du 27 novembre 1991. Et pour bien cerner le raisonnement mené par la Cour de cassation, il convient de revenir précisément sur la chronologie de ce différend entre l'avocat et son client.

En l'occurrence, un confrère avait été saisi par un justiciable dans le cadre d'un litige locatif et avait encaissé, à titre de provision, la somme approximative de 3 500 euros hors taxes. Sans doute insatisfait de la prestation de son conseil, le justiciable a, en date du 22 septembre 2011, saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Avignon afin de contester ces honoraires. Ce n'est que bien plus tard que le Bâtonnier a rendu son ordonnance de taxe. En date du 12 novembre 2012, cette ordonnance de taxe a réduit les honoraires du confrère à la somme de 2 000 euros hors taxes, de sorte que le confrère était tenu de rembourser la somme de 1 490 euros hors taxes à son client.

Il a alors saisi le premier président de la cour d'appel d'Avignon, es qualité de juridiction de taxe du second degré, lequel a, par une ordonnance en date du 15 novembre 2013, déclaré ce recours irrecevable. Pour cela, le premier président de la cour d'appel de Nîmes s'était fondé sur l'article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 qui prévoit que le Bâtonnier, saisi d'une contestation d'honoraires, doit statuer dans les quatre mois de la demande et que ce délai peut être prorogé pour une nouvelle durée de quatre mois par une décision motivée, soit huit mois au total. Or, en l'espèce, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Nîmes avait incontestablement dépassé ce délai puisque son ordonnance de taxe était intervenue plus de quatorze mois après saisine et alors qu'aucune décision de prorogation n'était intervenue. Le premier président de la cour d'appel de Nîmes avait alors estimé que le Bâtonnier de l'Ordre des avocats avait été implicitement dessaisi le 22 janvier 2012. A partir de cette date de dessaisissement implicite, les parties disposaient d'un mois pour le saisir, ce qui faisait défaut. Le premier président de la cour d'appel de Nîmes estimait donc ne plus pouvoir être saisi à partir du 22 février 2012. Il en avait déduit que le recours effectué par le confrère était nécessairement tardif puisque frappant une ordonnance de taxe, elle-même tardive... En d'autres termes, la tardiveté de l'ordonnance de taxe emportait nécessairement celle du recours.

Le pourvoi en cassation introduit par le confrère était pris d'un moyen unique, pris d'une seule branche, concluant à la violation des articles 175 et 176 du décret du 27 novembre 1991. Il faisait valoir que le confrère était défendeur à la procédure de taxe devant le Bâtonnier et qu'il n'avait donc aucun intérêt à la saisine directe du premier président de la cour d'appel en raison du dépassement du délai imposé au Bâtonnier de l'Ordre des avocats. Le moyen est accueilli par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui prend, il faut bien le reconnaître, quelques distances avec l'argumentation soulevée au moyen.

Si la cassation totale est bien prononcée au visa des articles 175 et 176 dont se prévalait le moyen, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation énonce dans l'attendu conclusif de l'arrêt que les motifs retenus par le premier président de la cour d'appel pour déclarer irrecevable le recours contre l'ordonnance de taxe tardive "reviennent à conférer force de chose jugée à une décision rendue hors délai par un Bâtonnier". En se prononçant de la sorte, la Cour de cassation rappelle que le Bâtonnier est tenu de se prononcer sous un délai de rigueur imposé par le décret du 27 novembre 1991 (I), de sorte qu'aucun effet juridique ne saurait être conféré à une ordonnance de taxe rendue tardivement (II).

I - Dessaisissement du Bâtonnier taxateur

Il ne fait aujourd'hui plus aucun doute que le Bâtonnier est tenu de trancher la contestation sur les honoraires de l'avocat dans un délai de rigueur, sous peine de dessaisissement. Le premier président de la cour d'appel de Nîmes avait bien considéré que les délais imposés par les articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 sur la profession d'avocat étaient des délais dits "couperets". Cette analyse est fondée, tant sur la lettre que sur l'esprit, des articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, sur la profession d'avocat qui emploie des formules particulièrement contraignantes.

Ainsi, le premier de ces textes indique, en son premier alinéa, que "le Bâtonnier, ou le rapporteur qu'il désigne, [...] prend sa décision dans les quatre mois". Le troisième alinéa de l'article 175 du décret assortit ce délai d'une exception, d'où il résulte que "le délai de quatre mois prévu au troisième alinéa peut être prorogé dans la limite de quatre mois par décision motivée du Bâtonnier". De plus, l'article 176 du décret prévoit que "lorsque le Bâtonnier n'a pas pris de décision dans les délais prévus à l'article 175, le premier président doit être saisi dans le mois qui suit".

En associant des délais de rigueur et un mécanisme de saisine directe, le pouvoir réglementaire a souhaité donner un certain dynamisme à la procédure de taxation des honoraires de l'avocat pour éviter que des contestations ne s'éternisent devant le Bâtonnier de l'Ordre des avocats. L'association du délai de rigueur et de la saisine directe est une figure désormais bien connue en droit processuel français. Le législateur français y fait de plus en plus souvent référence dans des matières où la célérité de la procédure est un objectif de premier ordre comme en procédure pénale (1) et en droit de l'application des peines (2).

Dans la même logique, la première chambre civile de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de considérer que "le Bâtonnier est dessaisi de la réclamation formée devant lui, et cela même si aucune des parties n'a porté cette réclamation devant le premier président dans le délai d'un mois ayant suivi l'expiration de ces délais" (3). Plusieurs arrêts ont d'ailleurs considéré que c'est l'achèvement du délai, et non la saisine directe du premier président de la cour d'appel, qui dessaisit le Bâtonnier (4). Ainsi, le premier président de la cour d'appel en Nîmes avait justement estimé que le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Nîmes ne pouvait plus trancher la contestation en raison de l'écoulement du délai impératif de l'article 175 du décret en date du 27 novembre 1991. En revanche, il avait totalement méconnu la portée de ce dessaisissement.

II - Nullité de l'ordonnance de taxation

Si le Bâtonnier est automatiquement dessaisi du litige à l'expiration des délais de rigueur prévus par l'article 175 du décret n° 91-1197 en date du 27 novembre 1991, sur la profession d'avocat, il en résulte nécessairement qu'aucun effet juridique ne peut être attaché à une ordonnance de taxe rendue postérieurement à ce dessaisissement. A cet égard, il convient de relever que les articles 175 et 176 du décret n° 91 -1197 du 27 novembre 1991 sur la profession d'avocat ne sont pas d'une clarté absolue. Certes, la saisine directe du premier président de la cour d'appel est imposée par l'article 176 du décret qui dispose que, lorsque le Bâtonnier n'a pas pris de décision dans les délais prévus à l'article 175, le premier président "doit être saisi dans le mois qui suit".

Mais le texte ne s'attarde pas sur le sort de l'ordonnance de taxe du Bâtonnier qui serait rendue au-delà du délai de rigueur de l'article 175 du décret. Car en pratique, rien n'exclut que les parties à la contestation de l'honoraire se montrent peu attentives à l'écoulement du délai de rigueur imposé au Bâtonnier et ne saisissent pas le premier président de la cour d'appel en dépit de son achèvement. Dans ce cas de figure, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats finira, un jour ou l'autre, par rendre une ordonnance de taxe hors délais. Le statut juridique de cette ordonnance tardive n'est pas précisé par le décret du 27 novembre 1991.

Dans le silence du texte, c'est encore la Cour de cassation qui a donné les précisions nécessaires. Plusieurs arrêts rendus ont clairement retenu que l'ordonnance rendue par le Bâtonnier au-delà des délais de rigueur de l'article 175 du décret du 27 novembre 1991 devait être frappée de nullité. Par un premier arrêt en date du 17 juillet 1996, la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré un premier président de cour d'appel ayant cru que la seule sanction du dépassement du délai de rigueur était la saisine directe (5).

Dans un arrêt ultérieur en date du 4 février 1997, elle a précisé qu'"à l'expiration des délais prévus par le premier de ces textes, le Bâtonnier est dessaisi de la réclamation formée devant lui [de sorte] que la décision du Bâtonnier était donc nulle" (6). Plus tard, la Cour de cassation a également précisé que la nullité de l'ordonnance de taxe du Bâtonnier était acquise de plein droit sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve d'un quelconque grief (7). Et puisque cette nullité s'impose de plein droit, aucune conséquence juridique ne peut évidemment en être tirée. Dans cette logique, la Cour de cassation a déjà pu considérer que le premier président de la cour d'appel ne pouvait "confirmer" une ordonnance de taxe nulle rendue par un Bâtonnier en raison de sa tardiveté (8). Force est de constater que le présent arrêt s'inscrit dans le prolongement de cette jurisprudence. En effet, l'attendu conclusif de l'arrêt mentionne bien que les motifs du premier président de la cour d'appel de Nîmes "reviennent à conférer force de chose jugée à une décision rendue hors délai par un Bâtonnier". Il y avait un paradoxe fondamental en ce sens qu'une ordonnance de taxe tardive, frappée d'une nullité dispensée de grief, puisse se voir conférer la force de la chose jugée...

L'office du président de la cour d'appel de Nîmes était fort différent et celui-ci aurait sans doute pu s'inspirer d'un arrêt par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 1er février 2000. En l'occurrence, un président de cour d'appel avait été régulièrement saisi d'un recours formulé contre une ordonnance de taxe tardive rendue par un Bâtonnier. Après avoir annulé l'ordonnance tardive, il avait abordé le fond de la contestation et avait, à cet égard, été approuvé par la Cour de cassation qui a retenu que, "dès lors que le premier président avait été régulièrement saisi de la décision tardive du Bâtonnier, il lui appartenait, après annulation de cette décision en raison de sa tardiveté, de statuer sur le fond de la réclamation par l'effet dévolutif du recours" (9). Ainsi devra statuer le premier président de la cour d'appel de Montpellier qui connaîtra du renvoi après cassation


(1) Sur les différents cas de saisine directe dans le cadre de l'information judiciaire, v. F.-L. Coste, Rép. pén., Dalloz, v. Chambre de l'instruction, § 251.
(2) Sur la saisine directe de la chambre de l'application des peines en matière de libération conditionnelle, v. V. Lescloux, Juris.-Cl. Procédure pénale, fasc. 729 à 733 : Libération conditionnelle, § 147.
(3) Cass. civ. 1, 17 juillet 1996, n° 94-18.528 (N° Lexbase : A8608ABG), Bull. civ. I, n° 322.
(4) Cass. civ. 1, 15 décembre 1998, n° 96-12.001 (N° Lexbase : A6424CHE), Bull. civ. I, n° 359.
(5) Cass. civ. 1, 17 juillet 1996, Bull. civ. I, n° 322, op. cit..
(6) Cass. civ. 1, 4 février 1997, n° 95-12.807 (N° Lexbase : A2286CMM).
(7) Cass. civ. 2, 17 février 2005, n° 04-12.768, F -D (N° Lexbase : A7470DGR).
(8) Cass. civ. 1, 4 février 1997, n° 95-12.807, préc..
(9) Cass. civ. 1, 1 février 2000, n° 97-13.866 (N° Lexbase : A9189CKK).

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