Lexbase Affaires n°428 du 18 juin 2015 : Baux commerciaux

[Evénement] Loi "Pinel" : pyromane ou visionnaire, incendie ou incidences - Compte rendu de la réunion du 16 décembre 2014 de la sous-commission Baux commerciaux du barreau de Paris

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[Evénement] Loi "Pinel" : pyromane ou visionnaire, incendie ou incidences - Compte rendu de la réunion du 16 décembre 2014 de la sous-commission Baux commerciaux du barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/24808009-lexbaseaffairesn428du18juin2015
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 18 Juin 2015

La sous-commission Baux commerciaux du barreau de Paris a tenu, le 16 décembre 2014, une réunion ayant pour thème "Pinel : pyromane ou visionnaire, incendie ou incidences" sous la responsabilité de Gilles Hittinger-Roux, Avocat aux barreau de Paris, et à laquelle sont intervenus Jehan Denis Barbier, Avocat à la cour, pour l'actualité jurisprudentielle, Monsieur le Professeur Bénabent pour les clauses de non-concurrence, et un comité d'experts, composé de Mme Maigné-Gaborit, Marc-Olivier Petit, Hugues Sainsard et Patrick Colomer, pour la loi "Pinel".
  • L'actualité législative et jurisprudentielle (par Jehan Denis Barbier, Avocat à la cour)

1 - Actualité législative

Depuis la loi "Pinel" (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises N° Lexbase : L4967I3D), il est possible de délivrer le congé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (C. com., art. L. 145-9 N° Lexbase : L5043I38). L'article 2 du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 (N° Lexbase : L7060I4A) a précisé que, lorsque le congé est donné par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la date du congé est la date de la première présentation de la lettre (C. com., art. R. 145-1-1 N° Lexbase : L7048I4S). Les commentateurs sont assez unanimes pour pointer du doigt la dangerosité de cette nouvelle possibilité et recommandent d'utiliser l'acte d'huissier. Le projet de loi "Macron" prévoit, néanmoins, la généralisation de la lettre recommandée pour les actes pour lesquels le recours à l'acte extrajudiciaire est encore imposé.

Par ailleurs, pour le calcul du plafonnement du loyer, la loi "Pinel" a substitué, en cas de renouvellement, l'ILC ou l'ILAT à l'ICC. Or, ces "nouveaux" indices n'existent, pour le premier, que depuis 2007 et, pour le second, que depuis 2008. L'INSEE a néanmoins récemment complété ces indices à compter du 1er trimestre 2005, afin de disposer de leur évolution sur 9 ans. Or, le plafonnement peut être calculé sur une période supérieure à 9 ans. Le problème subsiste donc pour des baux ayant duré plus de 9 ans. Il subsiste également en cas de repentir : si un bail a été signé en 2002 et que, à son échéance en 2011, le bail n'est pas renouvelé, puis qu'à la suite d'une procédure, le bailleur se repend en 2015, le plafonnement sera calculé avec une variation de l'indice de 2002 à 2015. Il appartiendra alors au juge de palier cette carence législative ; il conviendra de prendre l'ICC pour la période antérieure à la première publication de l'ILC ou de l'ILAT.

Enfin, concernant l'application dans le temps de la loi "Pinel", cette dernière s'applique aux baux conclus ou renouvelés après le 1er septembre 2014, notamment pour le calcul du plafonnement, pour les paliers d'augmentation de 10 %. En ce qui concerne la réglementation des charges elle s'appliquera aux baux conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014 (cf. décret ° 2014-1317 du 3 novembre 2014, préc.). Se pose donc la question de ce qu'il faut entendre par la notion de "bail conclu ou renouvelé". Sur ce point les avis sont partagés. Il y a deux dates possibles : soit il s'agit de la date de prise d'effet du bail, soit il s'agit de la date de conclusion du bail. Pour Jehan Denis Barbier, la date retenue doit être celle de la conclusion du bail, c'est-à-dire la date de rencontre des consentements marquée par un accord sur la chose et sur le prix. Ainsi, dans le cadre d'un renouvellement, en l'absence d'accord sur le prix ou dans l'attente de sa fixation par le juge, il s'agit d'un bail en cours de renouvellement. S'il n'y a pas d'accord sur le prix, le contrat n'est pas conclu. En présence d'un congé avec offre de renouvellement, tant que le prix n'est pas expressément ou tacitement accepté en laissant passer le droit d'appel ou le droit d'option, le contrat n'est pas conclu ou renouvelé.

2 - Actualité jurisprudentielle

2.1 - A propos des charges (Cass. com., 5 novembre 2014, n° 13-24.451, FS-P+B N° Lexbase : A9099MZZ)

Dans cette affaire, un propriétaire avait consenti un bail commercial à compter du 1er septembre 2000 portant sur un local à usage de bar-restaurant situé dans un centre commercial. Le locataire, se plaignant de désordres, avait assigné en résiliation du bail le bailleur qui avait demandé que soit constatée l'acquisition de la clause résolutoire et que le locataire soit condamné à lui verser diverses sommes. Les juges du fond ayant déduit de la créance du bailleur une somme correspondant aux appels provisionnels de charges (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 10 juillet 2013, n° 11/06613 N° Lexbase : A8288KIS), ce dernier s'est pourvu en cassation. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi : l'absence de régularisation des charges dans les conditions prévues au bail commercial rend sans cause les appels trimestriels de provision à valoir sur le paiement de charges et le remboursement des provisions versées par la société locataire devait donc être ordonné.

Bien que cette solution semble tomber sous le sens, puisqu'en droit commun des obligations, il appartient au créancier de justifier de sa créance, le législateur a cru bon de le préciser expressément dans le décret du 3 novembre 2014 qui a jouté un article R. 145-36 dans le Code de commerce (N° Lexbase : L7049I4T) selon lequel "le bailleur communique au locataire, à sa demande, tout document justifiant le montant des charges, impôts, taxes et redevances imputés à celui-ci".

2.2 - A propos de l'indexation sur un indice de référence fixe (Cass. civ. 3, 3 décembre 2014, n° 13-25.034, FS-P+B+R N° Lexbase : A0655M7E)

La Cour de cassation met un terme définitif aux difficultés relatives aux clauses d'indexation fondées sur un indice de référence fixe. En effet, alors que certains prétendaient que ces clauses étaient contraires aux dispositions de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5471ICM), la Haute juridiction avait pris l'habitude de renvoyer au pouvoir souverain des juges du fond l'interprétation de la clause. Dans son arrêt du 3 décembre 2014, la Cour de cassation pose un principe : les clauses d'indexation se référant à un indice de base fixe ne contreviennent pas à l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier dès lors qu'il y a concordance entre la période de variation de l'indice et celle de variation du loyer.

2.3 - A propos des loyers binaires (Cass. civ. 3, 9 septembre 2014, 13-14.448, F-D N° Lexbase : A4232MWN et CA Limoges 4 septembre 2014, n° 13/00095 N° Lexbase : A9960MUG)

Le loyer variable est celui qui prévoit un loyer de base garanti et un pourcentage du chiffre d'affaires du locataire. Selon la jurisprudence "Théâtre Saint Georges" (Cass. civ. 3, 10 mars 1993, n° 91-13.418 N° Lexbase : A5622ABT), le juge ne peut pas fixer le loyer lors du renouvellement ; la clause est maintenue et s'applique lors du bail renouvelé. Pour la Cour de cassation ces clauses sont incompatibles avec le statut des baux commerciaux qui ne prévoit pas un loyer en fonction du chiffre d'affaires et il n'appartient pas au juge de fixer le montant du loyer minimum garanti car le loyer est indivisible. Pour contourner cette position jurisprudentielle, les propriétaires de centres commerciaux, qui souhaitent tout de même revoir les loyers à la hausse, ont introduit dans leurs baux des clauses prévoyant, par exemple, que le loyer minimum garanti devra correspondre lors du renouvellement à la valeur locative ou que les parties donnent mission au juge de fixer ce loyer minimum garanti. Dans ces arrêts de la troisième chambre civile et de la cour d'appel de Limoges, les juges maintiennent la jurisprudence "Théâtre Saint Georges", en dépit de l'insertion de ce type de clauses, refusant ainsi de fixer le loyer minimum garanti au motif que la clause litigieuse est incompatible avec le statut. Le maintient de cette jurisprudence, en dépit de clauses soumettant expressément au juge la détermination du loyer de base, doit être salué car, si la fixation du loyer renouvelé est libre, les parties n'ont pas le pouvoir d'aménager les pouvoirs du juge.

  • Les clauses de non-concurrence dans les baux commerciaux (par le Professeur Alain Bénabent)

Les clauses par lesquelles un bailleur s'oblige à réserver une activité à l'un de ses locataires et à l'interdire aux autres sont assez répandues dans les baux commerciaux et leur régime est bien connu.

Plus complexes sont les clauses par lesquelles le locataire, d'un centre commercial le plus souvent, va s'interdire de ne pas se faire concurrence à lui-même en s'engageant à ne pas ouvrir un autre point de vente dans un certain périmètre sous la même enseigne ou pour l'exercice de la même activité. Il s'agirait donc en quelque sorte d'une clause d'activité exclusive, pour éviter toute ambiguïté avec la terminologie des clauses de non-concurrence.

La jurisprudence sur le sujet est très rare. Deux arrêts récents rendus par la cour d'appel de Paris le 3 juillet 2013 ont jugé ces clauses licites (CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 3 juillet 2013, deux arrêts, n° 11/17158 N° Lexbase : A0124KKS et n° 11/17161 N° Lexbase : A0125KKT). Ces clauses peuvent être appréhendées sous deux prismes :
- le prisme classique du droit civil pour que les clauses soient valables ;
- le prisme du droit de la concurrence qui peut infléchir les solutions classiques.

Sous l'angle de la licéité intrinsèque de ces clauses, il serait possible d'objecter qu'elles restreignent la liberté d'établissement du locataire. Mais toutes les clauses de non-concurrence dans toutes les matières où elles existent cantonnent, par leur nature, la liberté d'activité. Et l'on sait que la jurisprudence les valide à condition qu'elles soient limitées dans le temps et dans l'espace. Le critère essentiel est qu'elles doivent respecter la proportionnalité des intérêts en jeu.
Dans notre cas, il est possible de considérer que la clause qui réserve au bailleur l'exclusivité de l'enseigne du locataire dans un certain périmètre n'est pas intrinsèquement illicite, mais encore faut-il que l'atteinte à la liberté d'établissement du locataire soit proportionnée. D'une pat, elle doit être limitée à la durée du bail ; une fois le bail éteint, l'interdiction n'a plus de raison d'être. D'autre part, elle doit être limitée à un certain périmètre pour que la liberté d'établissement du locataire ne soit pas excessivement atteinte. Enfin, on peut se demander si elle doit avoir une justification dans le mode de calcul du loyer. L'intérêt du bailleur est défendable lorsque son loyer comporte une partie variable en fonction du chiffre d'affaires du locataire, puisqu'il a alors tout intérêt à ce que le maximum du chiffre d'affaires du locataire soit réalisé dans les locaux qu'il lui loue.
La légitimité à trouver une clause d'exclusivité dans un bail avec un loyer fixe est moins évidente. On peut concevoir ici une distinction.

Sous l'angle du droit de la concurrence, il convient d'étudier si les articles L. 420-1 (N° Lexbase : L6583AIN), sur les ententes, et L. 420-2 (N° Lexbase : L3778HBK) du Code de commerce, qui appréhende les clauses créant un déséquilibre significatif lorsqu'elles sont le fruit d'un état de dépendance économique, peuvent contrarier la licéité intrinsèque de ces clauses d'exclusivité.
Un seul arrêt de la Cour de cassation, qui n'a pas abordé le fond de la question, peut être ici relevé (Cass. com., 6 février 2007, n° 05-21.948, F-D N° Lexbase : A9548DTS). La Haute juridiction retient, ici, que les constatations des juges du fond ne faisaient pas ressortir un état de dépendance économique du preneur vis-à-vis du bailleur et qu'il n'y avait donc pas lieu d'appréhender la clause sous cet angle. Mais cet arrêt n'a pas dit que, par principe, le rapport bailleur/locataire échappait au jeu de l'article L. 420-2 du Code de commerce qui vise l'état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprises cliente ou fournisseur. Ainsi, il doit être considéré que le bailleur est un fournisseur pour l'exercice de l'activité déployée dans le fonds de commerce. Or, pour que la clause soit jugée illicite, encore faut-il qu'existe un état de dépendance économique qui est apprécié, dans cet arrêt de 2007 comme assez classiquement en droit de la concurrence, par rapport à la substituabilité. L'abus serait ici pour le bailleur de se servir d'une situation dans laquelle l'enseigne locataire ne pourrait pas trouver d'autre local dans la même zone de chalandise. L'abus n'est pas envisagé ici du point de vue de la pression que pourrait exercer le bailleur, mais du point de vue du consommateur, c'est-à-dire du point de savoir si ce dernier risque d'être privé dans la zone considérée de l'enseigne d'un locataire qui refuserait de se soumettre à une clause d'exclusivité. Cette mise en oeuvre de l'article L. 420-2 n'est pas impossible en théorie, mais les conditions requises par ce texte qui sont l'affectation de la concurrence et l'exploitation de la dépendance économique sont bien difficiles à démontrer, particulièrement pour cette dernière condition.

  • La loi "Pinel" par les experts

1 - Propos introductifs (par Françoise Maigné-Gaborit, expert immobilier, Présidente de la Compagnie des experts en estimation de fonds de commerce, indemnités d'éviction et valeurs locatives près la cour d'appel de Paris)

Le nouveau dispositif de la loi "Pinel" ménage de nombreuses zones d'ombres. La diversité des interprétations que nous livrent les meilleurs spécialistes de la propriété commerciale place les experts dans l'embarras. Face à ces aléas, les experts doivent construire des solutions sans que leurs rapports ne soient trop normants. La compagnie s'est alors attachée à mettre sur pied des schémas collectifs de valorisation.

2 - L'incidence de la loi "Pinel" sur les loyers commerciaux (par Hugues Sainsard, expert immobilier)

La véritable incidence de la loi "Pinel" sur les loyers commerciaux ne pourra être constatée qu'au regard de la réaction du marché et donc seule une analyse a posteriori pourra être faite. De plus, compte tenu de la rédaction de ce texte, la jurisprudence aura une incidence significative sur l'interprétation de plusieurs dispositions.

Sous ces réserves, les principales dispositions susceptibles d'impacter les loyers commerciaux sont :
- le principe du lissage du loyer ;
- la réglementation de la répartition des charges ;
- l'impossibilité pour le preneur de renoncer à la faculté de résiliation triennale.

2.1- Le lissage du loyer

a) Champ d'application

L'article 11 de la loi du 18 juin 2014 instaure un principe selon lequel l'augmentation du loyer ne peut être supérieure pour une année à 10 % du loyer acquitté dans les cas suivants :
- modification notable des éléments mentionnés au 1° à 4° de l'article L. 145-33 (N° Lexbase : L5761AI9 caractéristiques du local, destination, obligations respectives des parties, facteurs locaux de commercialité) ;
- clause du contrat relative à la durée du bail ;
- modification matérielle des facteurs locaux de commercialité lors de la révision (C. com., art. L. 145-38 N° Lexbase : L5034I3T).
- variation de plus de 25 % du loyer indexé (C. com., art. L. 145-39 N° Lexbase : L5037I3X).

Il apparaît donc que le lissage du loyer ne concerne pas :
- les terrains ;
- les locaux à usage exclusif de bureaux ;
- les locaux monovalents ;
- les baux dont la durée contractuelle est de 9 ans mais dont la durée effective est supérieure à 12 ans.

Le champ d'application de cette disposition est donc limité à certains types de locaux et à certains motifs de déplafonnement.

b) Incidence du manque à gagner du fait du lissage du loyer

Afin de comprendre l'incidence du manque à gagner du fait du lissage du loyer, prenons l'exemple suivant :
- une boutique avec un bail de 9 ans ;
- un renouvellement du bail au 1er janvier 2015 ;
- la modification des facteurs locaux de commercialité, comme motif de déplafonnement ;
- et une valeur locative de renouvellement de 100 000 euros.

Première hypothèse : avec un loyer actuel de 60 000 euros par an

Année Loyer facturable (hors indexation et révision)
1 66 000 euros
2 72 600 euros
3 79 860 euros
4 87 846 euros
5 96 631 euros
6 100 000 euros
7 100 000 euros
8 100 000 euros
9 100 000 euros
Total sur 9 ans 802 937 euros

Soit une perte de loyer pour le bailleur, sur 9 ans, de : 900 000 euros - 802 937 euros = 97 063 euros

Avec un écart de 67 % entre la valeur locative de renouvellement et le loyer actuel, le manque à gagner sur 9 ans représente près d'une année de valeur locative (plus de 10 % de perte de revenu sur 9 ans).

La valeur locative ne sera facturable qu'à partir de la sixième année.

Deuxième hypothèse : avec un loyer actuel de 40 000 euros par an

Année Loyer facturable (hors indexation et révision)
1 44 000 euros
2 48 400 euros
3 53 240 euros
4 58 564 euros
5 64 420 euros
6 70 862 euros
7 77 949 euros
8 85 744 euros
9 94 318 euros
Total sur 9 ans 597 497 euros

Soit une perte de loyer pour le bailleur, sur 9 ans, de 302 503 euros.

Avec une valeur locative de renouvellement supérieure de 2,5 fois au loyer actuel, le manque à gagner sur 9 ans représente près de 3 années de valeur locative (près de 35 % de perte de revenu sur 9 ans).

Les locaux concernés par cette disposition sont principalement les boutiques de centre-ville, les locaux d'activités et les locaux de stockage.

Sur les meilleurs emplacements, l'absence d'offre sur le marché permettra sans doute aux bailleurs d'insérer ces clauses afin d'écarter le principe du lissage dans les nouveaux baux. D'ailleurs, ces clauses sont déjà relativement répandues pour les commerces de centre-ville implantés sur d'excellents emplacements. A contrario, compte tenu de la conjoncture actuelle défavorable, la négociation de ces clauses apparaît difficile sur les emplacements "1 bis" ou "2". Pour les renouvellements de commerces dont le loyer est faible mais qui bénéficient d'une bonne commercialité, le bailleur pourrait être tenté de donner congé avec refus de renouvellement et régler l'indemnité d'éviction afin de percevoir la valeur locative de marché.

2.2 - Sur la réglementation de la répartition des charges

Avant la loi "Pinel", la répartition des charges entre le bailleur et le locataire était contractuelle, le bailleur disposant de la possibilité de répercuter sur le locataire la totalité des charges de l'immeuble (travaux de l'article 606 du Code civil N° Lexbase : L3193ABU, mises aux normes, frais de gestion...). Ainsi dans les baux dits "investisseurs", le loyer en principal perçu par le bailleur était un revenu net de toutes charges (le locataire remboursant au bailleur la totalité des charges), appelé loyer "triple net" ou bail "triple net". Avec la réglementation "Pinel", le "triple net" est mort.

La loi "Pinel" et le décret d'application du 3 novembre 2014 modifient cette liberté contractuelle puisque certaines charges ne peuvent plus être récupérées par le bailleur "en raison de leur nature".

Cependant, la portée de ces textes apparaît très atténuée par l'importance des charges encore répercutables sur le locataire.

Selon le décret, les charges non récupérables par le bailleur sont :

- les dépenses relatives aux travaux relevant de l'article 606 du Code civil ainsi que les honoraires liés à ces travaux. L'impossibilité de refacturation de l'article 606 fait disparaître la notion de revenu triple net ;

- les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre les locaux en conformité avec la règlementation, des lors qu'ils relèvent de l'article 606 du Code civil. Les travaux résultant de la vétusté et de mise en conformité peuvent donc être répercutés sur le locataire à la condition qu'ils ne relèvent pas de l'article 606 du Code civil ;

- les impôts, notamment la contribution économique territoriale, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l'immeuble ; toutefois, peuvent être imputés au locataire la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l'usage du local ou de l'immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement. Sont donc potentiellement récupérables par le bailleur, la taxe foncière, les taxes d'enlèvement des ordures ménagères, balayage, assainissement, les taxes sur les bureaux, locaux commerciaux, stockage et aire de stationnement et la taxe sur les surfaces commerciales ;

- les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l'immeuble faisant l'objet du bail. Les honoraires liés à la gestion "technique" semblent donc répercutables au locataire, alors qu'il s'agit des plus élevés ;

- dans un ensemble immobilier, les charges, impôts, taxes, redevances et le coût des travaux relatifs à des locaux vacants ou imputables à d'autres locataires.

Ne sont pas comprises dans ces dépenses celles se rapportant à des travaux d'embellissement dont le montant excède le coût du remplacement à l'identique. La loi précise que la répartition des charges entre locataires peut être conventionnellement pondérée et que les pondérations sont portées à la connaissance des locataires. Le changement, dans un centre commercial, d'un escalator ou d'un ascenseur serait donc refacturable au locataire.

Cette disposition d'ordre public s'applique à tous les locaux. Les locaux les plus impactés seront les bureaux et les centres commerciaux. En effet, les bureaux (de surface importante) sont généralement détenus par des investisseurs institutionnels et loués sur la base de baux stipulant que le locataire remboursera l'ensemble des charges et travaux de l'immeuble. Les immeubles de bureaux dont les charges sont importantes et nécessitant des travaux seront donc particulièrement concernés. Les bailleurs pourraient, afin de compenser le coût des charges non répercutables, vouloir augmenter le loyer en principal.

Cependant, compte tenu du marché actuellement défavorable pour les bureaux, il semble difficile pour les bailleurs d'augmenter les loyers.

A titre indicatif, le coût des charges pour les bureaux ressort généralement en Ile de France autour de :
- 40 à 50 euros le m² par an pour des bureaux "classiques" ;
- 80 à 120 euros le m² par an pour des immeubles IGH.

Pour les bureaux, les deux postes de charges les plus importants sont les fluides et la maintenance sous contrat (maintenance préventive et corrective).

Les boutiques en centres commerciaux seront aussi impactées. Les baux dans les grands centres commerciaux sont des contrats types répercutant sur le locataire l'ensemble des charges et travaux. Dans de nombreux centres commerciaux, les charges sont souvent très élevées et peuvent parfois atteindre plusieurs centaines d'euros par an et par m². Au regard de la conjoncture actuelle (baisse du chiffre d'affaires des enseignes et taux d'effort déjà très élevé), les bailleurs de centres commerciaux ne pourront sans doute pas répercuter sur le loyer la totalité des charges qu'ils devront dorénavant supporter.

2.3 - Sur l'impossibilité pour le preneur de renoncer à la faculté de résiliation triennale

Un bail d'une durée contractuelle de 9 ans ne peut plus prévoir une renonciation du preneur à sa faculté de résiliation triennale, à l'exception :
- des locaux construits en vue d'une seule utilisation ;
- des locaux à usage exclusif de bureaux ;
- des locaux de stockage définis par l'article 231 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L4557I7W).

Les engagements sur une durée ferme se rencontrent généralement pour des nouvelles locations d'immeubles neufs ou rénovés à usage de bureaux qui sont exclus du champ d'application de cette disposition.

Pour les bureaux, la contrepartie financière était, il y a moins de 10 ans, de l'ordre d'un mois de franchise de loyer par année d'engagement. Actuellement elle peut atteindre jusqu'à trois mois par année d'engagement. Pour un engagement ferme de 9 ans, la contrepartie financière représente jusqu'à 25 % des loyers cumulés (loyer de 500 euros/m² ramené à 400 euros/m²).
Cependant, les immeubles neufs ou rénovés à usage d'activités ou industriels étaient parfois loués initialement avec une durée ferme de 6 ou 9 ans, ce qui ne sera plus possible.

En matière de commerce, les clauses d'engagements sur de longues durées ne sont pas très répandues sauf lors d'externalisations (enseignes cédant les murs de son local et devenant locataire).

Pour les locaux ne relevant pas des trois exceptions, les bailleurs proposeront sans doute une durée contractuelle supérieure à 9 ans afin d'échapper à cette nouvelle disposition.

Conclusion

L'incidence de la loi "Pinel" sur les valeurs locatives apparaît assez limité. En effet :
- le lissage du loyer est limité à certains types de locaux et à certains motifs de déplafonnement, certaines clauses contractuelles permettant d'échapper à ce dispositif ;
- la règlementation de la répartition des charges est plus favorable au bailleur que celle existante en matière de baux d'habitation, plusieurs postes importants de charges restant encore refacturables contractuellement (vétusté, mises aux normes, impôt foncier, taxe sur les bureaux, gestion technique...) ;
- l'impossibilité pour le preneur de renoncer à la faculté de résiliation triennale ne concerne pas les bureaux (marché sur lequel ce type d'aménagement est le plus fréquent) et ne s'applique qu'aux baux de 9 ans.

En revanche, compte tenu de la conjoncture actuelle (loyers plutôt orientés à la baisse), il semble qu'il sera difficile pour les bailleurs de répercuter sur les loyers la baisse de revenus liée à la loi "Pinel".

Françoise Maigné-Gaborit précise que la réponse des bailleurs à cette amputation de leurs revenus sur des sites de commercialité suffisante peut consister à monétiser le différentiel de charges qui ne peut plus être refacturé, ce qui est de nature à créer deux types de problème. Il y a, tout d'abord, un facteur de risque car cela repose sur la probabilité que la courbe d'évolution des charges suive celle de l'indexation. Le second aléa est que devrait apparaître, au moins pendant un premier temps, un marché à deux vitesses : les loyers ordinaires et les loyers pollués par la prise en compte d'une quote-part de charges déguisée dans le loyer. La recherche de la valeur locative va donc se heurter à cette opacité au moins provisoire.
En outre, la réponse des bailleurs, toujours dans des zones de commercialité suffisante, pourra être de banaliser la pratique de l'éviction et aura pour incidence de remettre sur le marché des locaux en loyer pur, en loyer "à l'américaine". Dès lors, l'une des composantes de la valeur locative statutaire sera alourdie de ces prix de marché à l'américaine

3 - L'incidence de la loi "Pinel" sur les droits aux baux et les fonds de commerce (par Patrick Colomer, expert immobilier)

L'éviction revient d'actualité. Elle permet bien évidemment d'augmenter le loyer, voire de récupérer le marché s'il n'y a pas de droit d'entrée, mais elle permet aussi d'augmenter la valeur des murs car les locaux commerciaux se vendent en fonction des revenus locatifs du montant du loyer.

3.1 - L'incidence de la loi "Pinel" sur le droit au bail

Le droit au bail est l'élément principal constitutif du fonds de commerce. Il prend naissance entre la valeur locative de marché et le loyer. Dès lors que le loyer, en cas de déplafonnement, n'est pas porté immédiatement à la valeur locative du Code de commerce, on observe un gain "Pinel". Le marché pourra-t-il absorber ce gain ?

Prenons l'exemple suivant :
- une valeur locative de marché (VLM) de 100 000 euros
- une valeur locative du Code de commerce (VLR) de 50 000 euros
- un loyer de 30 000 euros

Calcul de la valeur vénal du droit au bail :

- en cas de plafonnement
100 000 (VLM) - 30 000 (loyer) = 70 000
Avec un coefficient de 8, ceci donne une valeur vénale de droit au bail de 70 000 x 8 = 560 000 euros

- en cas de déplafonnement
100 000 (VLM) - 50 000 (VLR) = 50 000
Avec un coefficient de 8, ceci donne une valeur vénale de droit au bail de 50 000 x 8 = 400 000 euros.

Ainsi, on se rend compte qu'en cas de déplafonnement, la valeur du droit au bail ne disparaît pas mais diminue.

En présence d'un différentiel de loyer, les experts appliquent un multiple appelé coefficient de commercialité, lequel varie en fonction du prix du marché :

Prix unitaire (m² B) Coefficient
Inférieur à 250 euros 2
251 à 300 euros 3
301 à 350 euros 4
351 à 400 euros 5
401 à 500 euros 5,5
501 à 600 euros 6
601 à 700 euros 6,5
701 à 800 euros 7
801 à 999 euros 7,5
1 000 à 1 399 euros 8
1 400 à 1 899 euros 8,5
1 900 à 2 499 euros 9
2 500 à 3 499 euros 9,5
3 500 à 4 499 euros 10
4 500 à 5 499 euros 11
Supérieur à 5 500 euros 12

Ainsi, par exemple :

Avant la loi "Pinel" Après la loi "Pinel"
Droit au bail
VLM : 100 000 euros
VLR :- 50 000 euros

50 000 euros x 8 = 400 000 euros

VLM : 100 000 euros
VLR :- 50 000 euros

50 000 euros x 8 = 400 000 euros

Gain "Pinel"
VLR : 50 000 euros
Loyer :- 50 000 euros

0 euro

VLR : 50 000 euros

Loyer moyen
sur années de rattrapage : - 16 600 euros


33 400 x ? => quel multiple appliqué à ce gain "Pinel" ? [ceci est un vrai problème]

Il faut relativiser ces propos car la plupart des dossiers actuels sont des baisses de loyers. En même temps en période de crise, la situation est paradoxale avec un marché qui flambe pour les très beaux emplacements et un marché qui a tendance à s'effondrer pour les autres emplacements. Les estimations des expert ne sont pas notées aujourd'hui "valeur 2014", mais "valeur mai 2014" ou "valeur octobre 2014" avec des différences significatives. Le gain "Pinel" limite l'augmentation du loyer à 10 % du loyer acquitté.

Ainsi, l'exemple suivant :

Durée du bail 9 ans
Valeur locative 50 000 euros
Loyer initial (année 1) 30 000 euros
Plafond est atteint 6 années et 4 mois
loyer année 2 33 000 euros
loyer année 3 36 300 euros
loyer année 4 39 930 euros
loyer année 5 43 923 euros
loyer année 6 48 315 euros
loyer année 7 50 000 euros
loyer année 8 50 000 euros
loyer année 9 50 000 euros
Loyer moyen sur la durée du bail 42 385 euros
Loyer moyen sur la durée de rattrapage 38 758 euros

Les experts doivent donc procéder en trois étapes :
- déterminer la durée pour rattraper la valeur locative du Code de commerce ;
- calculer le loyer moyen sur la durée de rattrapage ;
- appliquer un coefficient sur cette différence.

Les étapes 1 et 2 sont mécaniques.

La problématique résulte dans le choix du coefficient de l'étape 3.

Il existe deux approches : une approche financière qui serait de retenir une OAT majorée pour illiquidité et risque d'exploitation et une approche plus économique qui suppose d'intégrer le marché.

Cette dernière approche impose de convertir le coefficient de commercialité en taux :

Prix unitaire (m² B) Coefficient Soit un taux sur 9 années
Inférieur à 250 euros 2 48,50 %
251 à 300 euros 3 30,20 %
301 à 350 euros 4 20,25 %
351 euro à 400 euros 5 13,70 %
401 à 500 euros 5,5 11,19 %
501 à 600 euros 6 9 %
601 à 700 euros 6,5 7,05 %
701 à 800 euros 7 5,35 %
801 à 999 euros 7,5 3,80 %
1 000 à 1 399 euros 8 2,41 %
1 400 à 1 899 euros 8,5 1,15 %
1 900 à 2 499 euros 9 proche de 0
2 500 à 3 499 euros 9,5 proche de 0
3 500 à 4 499 euros 10 proche de 0
4 500 à 5 499 euros 11 proche de 0

On constate que au-delà de 1 899 euros le taux est proche de zéro et que plus les coefficients sont élevés, plus les taux sont bas, et inversement.

Lorsque la valeur locative est inférieure à 500 euros, le droit au bail est relativement rare.

A partir du coefficient 9, le taux est proche de zéro. Cela s'explique par le potentiel de chiffre d'affaires et de marge brute d'exploitation dans les emplacements très recherchés commercialement, mais aussi par le fait que les boutiques dans les emplacement très recherchés commercialement constituent également des outils de communication et de valorisation des marques. Pour ces motifs, il n'y a plus d'illiquidité et de risque d'exploitation dans ce type d'emplacement, ainsi que le démontre la conversion des coefficients en taux.

3.2 - L'incidence de la loi "Pinel" sur la valeur du fonds de commerce

Il existe deux approches possibles : l'approche rentabilité et l'approche chiffre d'affaires.

Le changement fondamental ne résulte pas de la loi "Pinel" mais de la loi "Hamon" qui impose de proposer la cession du fonds aux salariés.

Sur l'"approche rentabilité", il est important de déterminer l'origine de la rentabilité. Ainsi par exemple, si la valeur locative de marché est de 100 000 euros, alors que le loyer inscrit au bilan est 30 000 euros, il y a 70 000 euros qui ne proviennent pas de l'exploitation mais du bail sous-évalué.

4 - L'impact de la loi "Pinel" sur la valeur vénale des actifs immobiliers de commerce (par Marc Olivier Petit, expert immobilier près la cour d'appel de Paris)

Lorsqu'il s'agit d'argent, il est toujours étonnant de constater à quel point nos linguistes et autres autochtones sont capables d'une forte créativité. La monnaie, le sou, les espèces, le capital, la fortune, le trésor et les fonds sont autant de synonymes. Dans une version populaire et poétique, qui reste soumise aux contraintes sociales, l'argent c'est le pognon, la tune, le fric, le flouze, les pépètes, le pèze et le grisbi. Et puis, dans notre France rurale, il y a l'inévitable métaphore agricole : le blé, le radis ou l'oseille.
La question est de savoir si les financiers font preuve d'autant d'ingéniosité que nos linguistes dans la recherche de la déclinaison du capital, du superlatif économique et de la création de valeur. Bienvenue dans le monde fantastique de la finance où les héros d'hier, de Crésus à Harpagon, côtoient les déchus d'aujourd'hui qui sont Ponzi, Madoff, Nick Leeson ou Jérome Kerviel !

Cette prestigieuse tribune ne se prête pas à la polémique économique d'autant qu'à l'inverse des marchés financiers, la réalité des investissements immobiliers n'a pas, et depuis de nombreuses années, déclenché de scandale. Le raison tient, vraisemblablement, en un mot : sécurité.
Alors que les achats/ventes s'effectuent à la nanoseconde, sous le regard bienveillant d'algorithmes savants dans les salles des marchés obscures où s'agitent des traders, la transaction immobilière nécessite un certain temps qui est de deux à trois mois.
La transparence d'une due-diligence, le délai difficilement "compressible" entre la signature de la promesse de vente et d'un acte authentique, la multiplication des diagnostiques techniques, le recours au crédit qui nécessite l'analyse d'un tiers sur l'investissement souhaité et celui du Notaire, qui concourt à la sécurité des actes, sont autant de "filtres sécuritaires" qui s'inscrivent dans le temps.

Tout est dit, l'immobilier français est un investissement sous haute sécurité.

4.1 - Etat des lieux : le marché francilien de l'immobilier d'entreprise au quatrième semestre 2014

4.1.1 - Les cinq "fondamentaux"

(i) Près de 15 milliards d'euros investis, en 2014 (11,3 sur les 3 premiers trimestres).
Le volume investi, en immobilier d'entreprise, a augmenté de 35% par rapport à 2013 (11,1 milliards d'euros).

(ii) Cette évolution impressionnante est due à quelques " transactions " hors normes :
- "Coeur Défense" acheté pour 1,3 milliard par Lone Star Fubds (Private Equity Texan) ;
- cession du Portfolio Risanamento pour 1,225 milliard ;
- Klepierre vend à Carrefour les galeries commerciales où l'enseigne Carrefour ARREFOUR est implantée pour 2 milliards ;
- Klepierre rachète Corio pour une valeur d'entreprise de 7,2 milliards ;
- Gecina vend Beaugrenelle au prix de 700 millions d'euros.

Cet "oasis" financier, où "coulent" les milliards d'euros dans une opulence sans retenue, dissimule, en réalité, un marché désertique où l'offre est "asséchée".

(iii) Baisse du volume investi à Paris dans le quartier d'affaires (QCA).
Cette tendance ne révèle aucune méfiance à l'égard du marché parisien. Elle traduit un "asséchement de l'offre" en l'absence d'actif "Core" à vendre (site n° 1 + "signature" n° 1 + immeuble n° 1). Avec 6,8 millions de m², le QCA est-il suffisant pour répondre à la demande actuelle ?
Les trésors immobiliers sont tant recherchés dans le QCA que cet "or", que l'on nomme "core", tient à coeur le corps des investisseurs qui soufflent, "de concert", dans le même cor de chasse...

(iv) Forte demande et peu d'offres : un mécanisme aux conséquences prévisibles.
Inévitablement, les taux de rendement attendus (des actifs "core") se sont contractés pour atteindre 3,90 % à 4,30 % ; selon la composante "retail" pour les immeubles mixtes (boutique et bureaux).
Les compagnies d'assurance ne vendent plus. Elles doivent augmenter leurs allocations d'actifs immobiliers.

(v) Face à "l'assèchement" de l'offre à Paris, les immeubles situés en première couronne Ouest s'inscrivent dans un marché dynamique.
Il faut dire qu'en 2013, les vendeurs avaient baissé leurs prétentions. Les taux de rendement avaient gagné 50 à 100 points de base : entre 6,25 % et 7 % dans le "croissant Ouest" contre 5,50 à 6 %, en 2014 ; soit l'équivalent de 2012. Les investisseurs sont contraints d'élargir le "noyau parisien".

4.1.2 - Historique commercial sur 4 ans : "c'était demain"

Les acteurs se succèdent mais ils ne se ressemblent pas ; souvenez-vous :
- 2012 : arrivée des fonds dits "souverains". Ils ont été discrets en 2013. Leurs investissements ont reculé de 60 % entre 2012 et 2013. Leur stratégie est de constituer un portfolio immobilier à long terme pour une meilleure couverture internationale ;
- 2013 : Les fonds allemands ont été les moteurs sur le marché des actifs "core" (Tour Mirabeau, Paris 15 / Tour Jade à Saint Denis) et les investisseurs français ont repris la main (+ 67 % investis entre 2012 et 2013) ;
-  2014 : la part des investisseurs étrangers progresse (+/- 55 %). Les américains sont particulièrement présents : Tishmann Spayer, Perela Venberg, Lone Star Funds, Tore Equities ;
- 2015 : après la ruée vers Londres, peut-être Paris en 2015/2016.

Depuis 2012, Pékin a décidé d'encourager les investissements à l'étranger de ses compagnies d'assurance. L'empire du milieu investit la city londonienne. Les investisseurs sont identifiés : China Life, China Construction Bank, China Overseas, Gingko Tree, ABP, Greenland, Dallian Wanda, Zhong Rong, Fosum ou Cathay Life.
En 2014/2015, ces acquéreurs arrivent en tête des investissements au Royaume-Uni. Ils rivalisent avec les Qataris qui ont acheté le quartier d'affaires londonien de Canary Wharf, en janvier 2015 (3,5 milliards d'euros et 35 immeubles).

4.2 - Le brouillard des incertitudes

4.2.1 - Le code a changé

Les dispositions de la loi du 18 juin 2014 et de son décret d'application n° 2014-1317 du 3 novembre 2014, relatifs au bail commercial, n'ont manifestement pas les qualités rédactionnelles attendues par les professionnels Pour les investisseurs, les "fondamentaux" sont impactés : le loyer, ses modalités d'augmentation et la transférabilité des charges.

Le Code de commerce a changé et les "codes commerciaux" vont changer à travers :
- la redéfinition du revenu net, à capitaliser ;
- le taux de rendement et le TRI (taux de rendement interne) qui seront "ajustés" en conséquence parce que l'investisseur agit, le plus souvent, sous le diktat de la rentabilité et de la création de valeur.

Concernant le revenu net, on peut distinguer deux types de marché et deux destinations de locaux :
- le marché des renouvellements de baux et celui des "premières locations" ;
- le marché tertiaire ou les boutiques diffuses et les centres commerciaux.

L'impact financier de la loi "Pinel" est faible concernant les loyers renouvelés des bureaux et des locaux monovalents. Il se limitera aux charges (+/- 10 %).

Pour les boutiques, il convient de distinguer les sites peu achalandés et les emplacements "n° 1" dont les modalités du bail sont dictées par une commercialité soutenue.  Ici, le bailleur est en position de force pour ne rien négocier lors d'une "première location" et déroger contractuellement aux plafonnements par dixième des loyers déplafonnés à l'occasion des renouvellements de baux successifs.

Dans les centres commerciaux, la loi "Pinel" a, également, un impact nul sur la fixation des loyers parce que l'essentiel des baux sont assortis d'une clause dite "recette" (pourcentage sur CA HT) qui déroge aux statuts des baux commerciaux. Le bail n'est régi que par la convention des parties. Dans les faits, cette partie variable et additionnelle génère rarement un revenu supplémentaire. Elle est peu appliquée en raison d'un LMG élevé (loyer minimum garanti). En revanche, elle contribue à la transparence et mesure la performance commerciale du locataire (pérennité de l'investissement pour l'acquéreur des murs).
Le décret du 3 novembre 2014 a, néanmoins, un impact certain sur les charges dans les centres commerciaux c'est-à-dire sur le revenu net à capitaliser (+/- 10 à 15%).

Dans le cadre des renouvellements de baux, la loi "Pinel" a, finalement, un impact faible pour les boutiques situées dans les rues peu achalandées.
En 2014, les renouvellements et/ou révisions des loyers se font à la baisse. Le débouché commercial de ces emplacements, dits "numéro 2", viendra peut-être du e-commerce avec des e-commerçants qui, chercheront à rendre tangible leur offre (show-room). Pour l'instant, nous assistons à la décrue massive des valeurs locatives (hors emplacements "n° 1").

Face à cette tendance déflationniste du marché, les effets actuels de la loi "Pinel" sur les loyers bruts se révèlent asynchrones.

4.2.2 - Vers des ajustements méthodiques

Pour les emplacements dits "n° 1", trois méthodes expertales sont à retenir pour estimer la valeur vénale des murs, dans le contexte légal actuel.

(i) Capitaliser sur le loyer déplafonné moyen, par paliers (approche prudente).
Le choix du taux de rendement est déterminant. Il est une sorte de " baromètre " du marché et de la confiance des investisseurs face aux risques.

(ii) Plus coûteuse, l'éviction du locataire sera, aussi, l'opportunité de faire un nouveau bail, de " type investisseur ", comparable à celui que l'on trouve dans les bons centres commerciaux franciliens.
Dans cette approche, il convient de capitaliser sur la base de la valeur locative de marché, en " 1ère location ", à un taux de rendement normal (résultant de l'offre et de la demande), et de déduire la moins-value inhérente au paiement de l'indemnité d'éviction.

(iii) Plus complexe, l'estimation par les "cash-flow" nécessite une actualisation des flux c'est-à-dire la recherche du revenu net effectivement perçu tous les ans (loyer brut - charges). Cette "marge nette" annuelle est multipliée par la durée de détention en propriété du bien immobilier. Elle est sujette à des fluctuations selon l'évolution des charges, des indexations, des renouvellements de baux. Cette analyse s'inscrit dans le temps. Il est nécessaire d'actualiser les flux des revenus nets car encaisser un loyer aujourd'hui n'a pas la même incidence que percevoir ce même produit locatif demain (il demeure un débat, très professionnel, sur la nature du taux d'actualisation : faut-il retenir un taux financier ou immobilier ?).
Ces "marges nettes" cumulées et appréciées, après réitérations d'hypothèses ("scénarios locatifs à déclinaisons multiples), sont additionnées à la plus-value escomptée et actualisée au moment de la revente.
In fine, cette somme permettra de définir quelle sera la rentabilité de l'investissement ramenée aux fonds propres engagés.
L'avantage du TRI est qu'il permet de comparer le rendement immobilier à d'autres investissements de toutes natures.

Comme cela a été dit, précédemment, les dispositions de la loi " Pinel " et son décret relatifs aux charges, remettent en cause la notion du revenu " triple net " tant appréciée des investisseurs dans leurs estimations (TRI).
Les honoraires de gestion représentent, à eux seuls, 4 à 5 % du montant du loyer.
A cela s'ajoutent les grosses réparations, visées à l'article 606 du Code civil, qui atteignent, quant à elles, entre 5 à 10 % du revenu brut.  Les revenus nets baisseront nécessairement.

Pour autant, le marché ne devrait pas s'effondrer. Les valeurs vénales des actifs immobiliers ne seront pas, à court terme, impactées car les taux financiers sont historiquement bas. Ils jouent, aujourd'hui, le rôle d'un amortisseur. Ils absorbent une partie de la dépréciation constatée des revenus nets immobiliers. L'effet de levier permet, grâce à l'emprunt, d'acquérir des actifs avec un minimum de fonds propres, ce qui correspond à se constituer un capital grâce à l'endettement. Si ces taux financiers et le coût du crédit augmentent, nous constaterons, inévitablement, une chute de la valeur des biens immobiliers à usage commercial. Actuellement, la hausse des taux financiers semble très hypothétique face au défi politique qui est de relancer une économie sud-européenne atone.

En guise de conclusion, Françoise Maigné-Gaborit retient que la loi "Pinel" est source d'incertitude ; or, le marché déteste l'incertitude. Pourtant les professionnels de l'investissement ne sont pas totalement accablés. Et ce, pour plusieurs raisons : le volume toujours plus considérable des fonds à investir, le fait que tout un pan de l'immobilier locatif est à l'abri de la loi "Pinel", le niveau historiquement bas des taux financiers, le contraste entre les zones de commercialité élevée qui gomme l'impact de la loi "Pinel" sur les droits aux baux et l'imagination des acteurs du marché et de leurs conseils pour éluder les verrous les plus contraignants du dispositif. On peut donc conclure avec ces mots : "La loi Pinel, même pas mal !"

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