La lettre juridique n°607 du 2 avril 2015 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Conséquence de l'absence de convention d'honoraires dans une procédure de divorce

Réf. : CA Nîmes, 5 mars 2015, n° 14/04940 (N° Lexbase : A0433NDE)

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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes

le 02 Avril 2015

L'avocat qui omet de faire signer une convention d'honoraires dans une procédure de divorce peut-il réclamer des honoraires ? L'ordonnance, rendue le 5 mars 2015, par la cour d'appel de Nîmes, répond par l'affirmative en posant quelques limites. Il n'est pas si loin le temps où les avocats avaient interdiction de solliciter une provision, de se lier par des conventions d'honoraires et d'adresser une facture. La provision et la convention étaient censées faire perdre à l'avocat toute indépendance. Quant à la facture, c'était un acte de commerce vulgaire qu'un avocat ne pouvait en aucun cas envisager.

Les interdictions d'hier, qui pouvaient donner lieu à des poursuites disciplinaires, sont devenues aujourd'hui des obligations qui pourraient en principe, à leur tour, donner lieu à des sanctions en cas d'infraction ... Les temps changent !

L'avocat qui ne rédige pas de convention d'honoraires alors qu'il en a l'obligation ne commet-il pas un manquement à l'information et à la loyauté qu'il doit avoir avec son client ?

L'avocat qui perçoit des honoraires sans facture ne manque t-il pas à ses obligations comptables et fiscales ?

Le projet de loi "Macron" prévoit la généralisation de la convention d'honoraires. Mais la convention est, dès aujourd'hui, obligatoire en matière de divorce. L'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), modifié par la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011, relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles (N° Lexbase : L3703IRL), l'affirme désormais.

Pour les autres procédures, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 dispose qu'en l'absence de convention, l'honoraire est fixé en fonction de six critères : les usages, la situation de fortune du client, la difficulté de l'affaire, les frais exposés, la notoriété de l'avocat et les diligences effectuées.

L'absence de convention ne dispense pas l'avocat de l'obligation d'informer, dès sa saisine, du coût de son intervention et des modalités de règlement. Cette obligation figure à l'article 11-2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8).

Que faut-il penser d'une telle obligation ? Demander à un avocat de faire une convention d'honoraires précise est parfois une mission difficile. Comment savoir à l'avance si le contradicteur va développer un moyen qui nécessitera d'importantes recherches ? Comment savoir si le juge décidera d'ordonner une expertise ? Comment savoir si un appel va intervenir ? Autant demander à un architecte de chiffrer le coût d'une maison sans savoir si elle aura six ou dix pièces, un ou deux étages...

L'obligation de rédiger une convention peut se concevoir dans un système de tarif tel qu'il existait au temps des avoués ou tel qu'il existe en Allemagne. Le tarif permet d'équilibrer le coût des prestations en appliquant un forfait. La convention d'honoraires ne le permet pas car elle est sujette à négociation et le justiciable n'acceptera pas de payer un montant supérieur aux diligences qui sont entrevues.

Mais le tarif n'est pas à la mode. Nos lois européennes s'y attaquent au nom de la libre concurrence. Et pourtant, paradoxalement, un tarif a en quelque sorte été rétabli avec la multiplication des dossiers d'aide juridictionnelle. Le barème imposé par l'Etat est bien une sorte de tarif indemnitaire même si les sommes reçues de l'Etat restent notoirement insuffisantes.

Généraliser les conventions d'honoraires ne va pas permettre de clarifier totalement les choses. Dans tous les dossiers complexes, la convention sera souvent basée sur le temps passé ; ce qui ouvrira toujours des discussions et des contestations.

Par ailleurs, si les conventions sont généralisées, quelle sera la sanction appliquée dans le cas ou l'avocat aura oublié de signer une convention ? Sera-t-il privé de ses honoraires ?

C'est la question qui était posée au premier président de la cour d'appel de Nîmes. Son délégué vient d'y répondre par une ordonnance du 5 mars 2015.

Dans l'espèce qui était soumise à l'appréciation du premier président, un avocat avait omis de rédiger la convention d'honoraire obligatoire en matière de divorce. Il avait cependant clairement indiqué quel serait le coût de son intervention jusqu'à l'ordonnance de non conciliation mais il n'avait pas clairement indiqué quel serait le coût de son intervention après cette ordonnance. Il avait toutefois facturé 1 000 euros pour les prestations postérieures à cette ordonnance. Le justiciable avait changé d'avocat et contestait la facturation prétendant que les 1 000 euros ne correspondaient pas à un travail effectif.

Le juge d'appel aurait pu se contenter de répondre que l'avocat ne rapportait pas la preuve du travail effectué après l'ordonnance de non conciliation pour refuser l'honoraire demandé. Il va beaucoup plus loin en posant plusieurs principes :

- le Bâtonnier ne peut qu'arbitrer le montant des honoraires, il ne peut les moduler en tenant compte d'erreurs ou de fautes commises par l'avocat car il n'est pas juge de la responsabilité ;

- il peut, en revanche, tirer toutes conséquences du défaut d'information ;

- l'absence de convention ne prive pas l'avocat défaillant de son droit à honoraires mais commande que la juridiction fasse une analyse poussée du travail réalisé et des renseignements qui ont été donnés au justiciable tant sur les diligences qui seraient entreprises que sur le montant des honoraires correspondants.

Le premier président constate que les informations données jusqu'à l'ordonnance de non conciliation ont été loyales et qu'en conséquence les honoraires facturés jusqu'à cette ordonnance restent bien dus. Il estime, en revanche, que les informations données après cette décision ne sont pas claires et qu'en conséquence l'avocat doit être privé des honoraires facturés après l'ordonnance car ils ne sont pas explicitement causés.

Ces principes posés sont-ils fondés ?

Il est constant que le juge de l'honoraire ne peut pas se prononcer sur la responsabilité de l'avocat et tenir compte des fautes de l'avocat pour réduire sa rémunération. C'est ce qui a été jugé par la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 29 février 2000, n° 97-17.487 N° Lexbase : A3898A7I, Bull. civ. I, n° 67).

On peut regretter qu'un travail bâclé ou inutile puisse donner lieu à une facturation mais, sur ce point, le principe rappelé par le conseiller désigné par le premier président est conforme à la jurisprudence de la Haute cour.

Le premier président estime, en revanche, qu'il a le pouvoir de tirer toute conséquence d'un défaut d'information. Et il décide de refuser les honoraires demandés pour des prestations qui n'ont pas fait l'objet d'une information préalable claire.

Cette motivation est discutable car elle est contraire au principe posé par la Cour de cassation. La juridiction qui arbitre le montant des honoraires d'avocat n'a compétence que pour fixer le montant des honoraires en vertu de l'article 174 du décret du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID).

Le défaut d'information peut en théorie donner lieu à une sanction disciplinaire puisqu'il constitue une violation du RIN. Il peut donner lieu à une action en responsabilité s'il est la source d'un préjudice mais le juge de l'honoraire n'est pas le juge de la responsabilité, il n'a pas compétence pour sanctionner l'avocat en limitant ses honoraires au motif qu'il a manqué à son obligation d'information.

En revanche, l'avocat qui ne produit pas de convention d'honoraires, ne peut pas prouver qu'il a bien reçu mandat pour effectuer des diligences mais, là encore, il s'agit d'une question de preuve de l'étendue de la mission donnée à l'avocat et cette question échappe au juge de l'honoraire dont le seul rôle est de fixer le montant dû à l'avocat pour les diligences alléguées et prouvées. La Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt du 8 septembre 2005 (Cass. civ. 2, 8 septembre 2005, n° 04-10.553, FS-P+B N° Lexbase : A4475DKX, Bull. civ. II, n° 214)

Le seul moyen dont disposait le juge pour refuser l'honoraire demandé était de constater que la preuve de l'exécution des diligences facturées n'était pas rapportée.

En l'espèce, le juge estime que l'absence de convention ne permet pas d'établir la preuve de l'exécution des diligences facturées. Or, la seule absence de convention ne permet pas de justifier qu'il n'y a pas eu de diligences. Il aurait été préférable d'indiquer seulement que l'avocat ne rapportait pas la preuve de ses diligences.

Le premier président souligne par ailleurs que l'absence de convention ne permet pas de priver l'avocat de ses honoraires.

Cette affirmation parait justifiée. Il existe des obligations de convention écrites qui ne sont assorties d'aucune sanction. Le bail rural écrit est en principe obligatoire mais l'absence d'écrit n'entraîne pas sa nullité.

L'absence de convention d'honoraires pose seulement un problème de preuve et implique que les honoraires soient taxés à partir des six critères posés par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971.

En définitive, en l'absence de convention d'honoraires, l'avocat se prive de preuves : preuve de son mandat, preuve de l'exécution de son obligation d'information, preuve d'un accord sur un montant d'honoraires. La convention est donc très utile. Mais s'il ne signe pas de convention, il ne peut pas être privé pour autant de toute rémunération s'il établit qu'il a effectué des diligences.

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