La lettre juridique n°594 du 11 décembre 2014 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Management Package : de l'incertitude de la notion de modicité

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 26 septembre 2014, n° 365573, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2956MXR)

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par Guillaume Massé, Avocat à la Cour, Marvell

le 20 Décembre 2014

Le 26 septembre 2014 (1), le Conseil d'Etat a rendu un important arrêt sur la question de savoir sous quel régime devait être imposée la plus-value d'acquisition sur des titres lorsque des actions sont octroyées à un dirigeant d'une société sous LBO, en dehors de tout cadre légal d'actionnariat salarié. I - Contenu de l'arrêt

Les faits de la cause étaient les suivants.

Dans le cadre de l'acquisition d'un groupe spécialisé dans la distribution de produits frais et surgelés pour les professionnels de la boulangerie, un contribuable (demandeur en l'espèce) s'était associé, en 1999, pour constituer une holding de reprise qui avait pour but d'acheter les deux sociétés cibles de l'opération.

Dans le pacte d'actionnaires, les parties l'ont désigné comme président du conseil d'administration de la holding de reprise.

Parallèlement, le requérant s'est vu accorder deux promesses de vente d'actions par les actionnaires principaux de cette holding.

Juridiquement, lui était donc octroyées des options d'achat d'actions, pour une valeur unitaire de 7 622 euros (en dehors du cadre légal des stock-options régi par les articles L. 225-177 N° Lexbase : L2678HW4 et suivants du Code de commerce), dans la logique de l'opération de LBO, et conditionnées par le paiement préalable d'une indemnité d'immobilisation d'un montant de 13 613 euros.

La levée des options d'achat d'actions et la cession des actions ainsi acquises ont été réalisées de manière quasi concomitantes, puisqu'ayant levé l'option le 9 décembre 2004, le requérant a cédé l'intégralité des options reçues pour un prix unitaire de 65 778 euros le 10 décembre 2004, en réalisant ainsi un gain d'environ trois millions d'euros.

Ce gain a ensuite été déclaré comme une plus-value imposée au taux fixe de 16 %.

L'administration fiscale a rejeté cette qualification et a considéré qu'un tel gain devait être (re)qualifié comme du salaire, et donc imposable au barème progressif de l'impôt sur le revenu. Cette requalification devait entrainer le paiement des prélèvements sociaux, des charges sociales, et la soumission aux taxes sur les salaires.

En première instance, en 2011, le tribunal administratif de Paris (2) a donné gain de cause au contribuable au motif qu'il avait pris "un risque réel" compte tenu, d'une part, du fait que l'octroi des options était subordonné à une indemnité d'immobilisation et, d'autre part, du fait que le droit de lever l'option était subordonnée à la réalisation d'un TRI (taux de rentabilité interne) minimum de 25 %. Ces deux conditions, c'est-à-dire des évènements futurs mais incertains, respectant, selon le juge, un prix de marché.

Ce jugement a été infirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris de novembre 2012 (3), qui a considéré :

- que la promesse n'avait été accordée au contribuable "qu'en raison de sa prise de fonction de président de la société holding et de directeur salarié d'une filiale du groupe" ;

- que la levée de l'option était subordonnée à l'exercice des fonctions de directeur au sein du groupe pendant 5 ans ;

- qu'il n'y a avait pas de prise de risque du contribuable au motif que l'indemnité versée était "modique".

Par suite, la cour a requalifié cette plus-value en salaire.

L'arrêt du Conseil d'Etat du 26 septembre 2014 confirme la décision de la cour administrative d'appel aux visas des articles 79 (N° Lexbase : L1669IPI) et 82 (N° Lexbase : L1172ITL) du CGI, au vu des circonstances suivantes :

- l'option d'achat des actions sous forme de BSA avait été consentie au bénéficiaire en sa qualité de dirigeant du groupe objet de l'opération de LBO ;

- la levée de l'option par le bénéficiaire était subordonnée à l'exercice de fonctions de direction au sein du groupe pendant au moins 5 ans ;

- la quasi concomitance entre la levée de l'option et la vente des titres ;

- le nombre d'actions pouvant être achetées par le bénéficiaire était directement corrélé au TRI de l'investissement réalisé par le fonds d'investissement (actionnaire majoritaire) ;

- le caractère "modique" du prix du BSA payé qui était inférieur à 1 % du gain retiré par le bénéficiaire.

Le Conseil d'Etat en déduit que la source du gain réalisé se trouvait nécessairement dans les conditions dans lesquelles les options avaient été octroyées, c'est-à-dire à raison de l'exercice des fonctions de dirigeant.

En conséquence, il décide que le gain n'a pas la nature d'un gain en capital, mais d'un avantage en argent, qui devait donc être imposé dans la catégorie des traitements et salaires.

II - Analyse critique de l'arrêt

Cette décision est critiquable en ce qu'elle ignore le risque financier pris par les managers, pour ne retenir que le ratio existant entre l'investissement initial et le gain réalisé lors de la cession des titres. En raisonnant de la sorte, le Conseil d'Etat, tout comme l'avait fait la cour administrative d'appel, ne prend pas en compte le risque réel d'actionnaire lié à l'incertitude de l'atteinte du TRI, matérialisée par l'engagement de l'actionnaire avec l'indemnité versée initialement.

Comparativement à un arrêt rendu le 7 novembre 2008 (4), la présente décision pourrait être considérée comme un revirement de jurisprudence dès lors que, dans l'arrêt de 2008 (où le conditionnement de la plus-value était similaire au cas d'espèce), la qualification de plus-value avait été accordée pour un complément de prix.

Le grief relatif au fait que l'option ait été consentie à un bénéficiaire en sa qualité de dirigeant revient finalement à empêcher l'actionnaire financier (typiquement un fond d'investissement majoritaire) de rétrocéder une partie de la plus-value aux actionnaires opérationnels que sont les dirigeants et/ou les managers (préalablement souvent déjà associés), au motif qu'ils sont, par ailleurs, membres du personnel de la société.

Or, ceux-ci apparaissent pourtant comme les plus légitimes à bénéficier de la "rétrocession" par l'actionnaire majoritaire d'une quote-part de plus-value car c'est bien leur industrie qui, notamment, contribue au succès de la société. Refuser de reconnaître une qualification de plus-value à ce qui est, "techniquement", un gain d'actionnaire aboutit finalement à dénier à des dirigeants et/ou managers une différenciation entre leur qualité d'employé et leur qualité d'actionnaire.

Sauf à appliquer la théorie de la simulation dans le cadre du pouvoir donné au juge de restituer à des sommes leur véritable qualification fiscale, cela revient finalement à appliquer le régime des salaires à des revenus qui sont objectivement des plus-values, et ce, alors même que l'on remplit toutes les conditions du régime des plus-values.

A tout le moins, ce type de requalification doit, pour des raisons de sécurité juridique, rester exceptionnel comme l'avait d'ailleurs rappelé un arrêt rendu le 18 janvier 2006 (5). Cet arrêt indiquait que la seule constatation par le juge des démarches et diligences, réalisées par le directeur général salarié, et ayant entraîné le développement de l'activité de la société, est insuffisante pour requalifier sa plus-value en BNC. Le Commissaire du Gouvernement indiquait déjà, sous cet arrêt, que l'élément clef pour distinguer entre plus-value imposable au taux fixe et revenu imposable au barème, était la prise de risque financier.

Cette exigence de sécurité juridique, pour les investisseurs au capital d'une société, est d'autant plus cruciale que la référence au caractère "modique" des sommes investies au départ, proposé comme critère de requalification par le présent arrêt, est éminemment subjectif. Ce concept mou de "modicité" est un facteur d'incertitude fiscale, et risque de conduire les services vérificateurs à s'immiscer dans la gestion des contribuables.

Un second grief est celui du lien de dépendance ou de subordination qui est (parfois) exigé entre le bénéficiaire de l'incentive et l'entité qui la verse. Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé dans un arrêt de 1997 (6), et récemment dans un arrêt de 2013 (7), que la rémunération versée respectivement à un médecin, ou à un avocat, ne pouvait pas être requalifiée en salaire compte tenu de l'autonomie dont disposaient ces contribuables pour exercer leur activité professionnelle.

Toutefois, à l'inverse, dans un arrêt du 23 juillet 2010 (8) le fait qu'il y ait eu substitution entre l'employeur et le nouvel actionnaire, n'avait pas fait obstacle à une requalification en salaires. On notera, toutefois, qu'il s'agissait, en l'espèce, d'une indemnité versée à un bénéficiaire de stock-options privé compensant leur non exercice. Or, on sait que ce type d'indemnité est régulièrement requalifié en salaire, la loi ayant prévu que les plus-values d'acquisition de stock-options sont imposées dans la catégorie des salaires. Au cas présent, il s'agissait d'options requalifiées en salaires, au seul motif qu'elles ont été attribuées dans des conditions ne respectant pas le régime légal. Pourtant, il y a eu prise de risque financier, et en théorie au moins le porteur d'option doit financer le coût de levée des options, le cas échéant en payant immédiatement l'impôt sur la plus-value d'acquisition, alors qu'il n'a pas encore encaissé le prix de vente en cas de conservation des actions ainsi acquises. Cette requalification systématique en salaire est, pour ces raisons, critiquable.

En conclusion, au vu de la présente décision, et nonobstant ces critiques, il faudra veiller, lors de la mise en place d'un management package, à une réelle prise de risque, inhérente à la qualité d'actionnaire, impliquant que le montant de l'investissement ne puisse pas être qualifié de "modique". Une indemnité comprise entre 10 % et 20 % de la valeur du titre au moment de l'octroi semble être la pratique.


(1) CE 3° et 8° s-s-r., 26 septembre 2014, n° 365573, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2956MXR).
(2) TA Paris, 25 mai 2011, n° 0911260.
(3) CAA Paris, 28 novembre 2012, n° 11PA04246, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0982I8U).
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 7 novembre 2008, n° 301642, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1739EBZ).
(5) CE 9° et 10° s-s-r., 18 janvier 2006, n° 265790, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4191DM8).
(6) CE 8° et 9° s-s-r., 5 mars 1997, n° 129343, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8757ADP).
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 16 octobre 2013, n° 339822, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1088KNM).
(8) CE 9° et 10° s-s-r., 23 juillet 2010, n° 313445, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9878E4M).

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