La lettre juridique n°581 du 4 septembre 2014 : Éditorial

Egalité hommes-femmes : "la rose et le glaive"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 04 Septembre 2014


Les vacances estivales sont souvent l'occasion d'une pause salutaire des esprits en surchauffe -législative et réglementaire pour les juristes-, d'un retour aux sources, voire d'une régression pour ceux au bord du burn out, pas mécontents d'oublier leurs responsabilités au bureau. C'est le temps aussi de parfaire ses Humanités -comme qui disait-, de s'adonner à des lectures plus plaisantes que de sempiternelles lois, doctrines et autres avatars éditoriaux juridiques, comme une bonne vieille bande dessinée quelque peu défraîchie par les années, par exemple.

Me voilà donc affalé dans un canapé en vieux cuir de l'âge canonique de ces albums d'Astérix qui se présentaient devant moi. Après un éditorial sur les vessies, les lanternes, l'illusion et la manipulation documentaire, Le devin me paraissait des plus opportuns pour entamer ma quête de la quiétude. A priori, pas de raison d'être happé par l'actualité juridique estivale, souvent riche de la précipitation avec laquelle nos Parlementaires souhaitent clore nombre de débats, avides de faire un break, il est vrai de plus en plus raccourci par des sessions qui n'ont plus d'extraordinaires que le nom. Bref, tout se passe pour le mieux : je retrouve le trait réaliste d'Uderzo et les bons mots des bulles du conteur Goscinny, quand, "patatras" -le droit se nichant en tout et partout-, je vois pour la première fois, dans la série, les femmes boire de la fameuse potion magique qui rendait les hommes du village si "supérieurs". On est en 1972, juste après la libéralisation de mai 68, et 10 ans après ses premiers pas, l'égalité homme-femme faisait son entrée dans Astérix, au même titre que l'ensemble des autres libertés fondamentales qui jalonneront la série : d'aucuns n'estiment-ils pas que "La France des Lumières est tout entière dans Astérix" comme l'écrivit Nicolas Rouvière, Maître de conférences en littérature française et didactique de la littérature (PUF, 2006). Certes, les hommes, à l'image d'Ordralfabetix, s'offusquent d'une telle égalité, maugréant clairement être "contre l'égalité de la femme et de l'homme" ; mais Bonemine cloue aussitôt le bec du poissonnier en l'envoyant au tapis d'une seule baffe. La méthode est expéditive, mais le ton est trouvé et le message passe bien : désormais la place des femmes dans le village ira croissante jusqu'à l'apogée féministe dans La rose et le glaive, en 1991, album dans lequel les femmes prennent le savoir et le pouvoir, dans lequel les hommes quittent le village et les centuries romaines sont, elles-mêmes, des cohortes féminines. La fin de l'album apparaît, de prime abord, quelque peu misogyne puisqu'Astérix comprenant que les légionnaires sont des femmes, les détourne de leur mission première en les incitant à faire du... shopping ! Le cliché peut paraître ainsi grossier, alors qu'en fait il met en exergue une différence fondamentale du comportement et par induction du statut de la femme antique, entre Gauloises libérées et Romaines soumises.

La prédominance de la culture romaine, par l'intermédiaire de César lui-même et de sa Guerre des Gaules, a longtemps présenté les celtes au mieux comme un peuple rustre mais valeureux, le plus souvent comme des barbares. Même en rappelant que les Gaulois avaient droit de vie et de mort sur leurs femmes, comme à Rome du reste, souhaitant ainsi relativiser le progrès social que pourrait traduire une prétendue égalité homme-femme en Gaule, l'Imperator est obligé de reconnaître que les Gauloises ont un vrai statut indépendant, une véritable reconnaissance sociale et politique, alors que les Romaines sont proprement inféodées à leurs pères puis maris. La Gauloise dispose ainsi d'une certaine indépendance financière et assume une part de son destin à la mort de son mari. Sa place n'est pas exclusivement domestique, mais aussi économique, dirigeant elles-mêmes des exploitations de centaines d'hectares et des dizaines d'ouvriers, quand elles ne prenaient tout simplement pas le pouvoir vacant au sein du clan. Les normes régissant les dots, "contre-dots", fruits et rapports étaient d'une complexité telle au service de l'égalité patrimoniale entre maris et femmes ; l'idée d'une captation éhontée par l'homme étant exclue. Et que dire de la liberté retrouvée de la Gauloise veuve, en capacité de se remarier... si elle le souhaite. Du côté transalpin ? Une dépendance morale et financière totale régissant les rapports hommes-femmes.

En relisant Astérix, sous le prisme de cette égalité, on perçoit, dès lors, toute la richesse des planches d'Uderzo et le talent mythologue de Goscinny. Que penser du couple d'Agecanonix, par exemple ? Un vieux monsieur marié à une fabuleuse jeune femme : cliché sexiste absolu, s'il en est ? Ou plus subtilement le choix réfléchi de cette femme, sans nom -comme pour se confondre avec l'identité de toute les femmes-, qui porte la culotte et qui clairement ne désire pas d'enfant ? Tout l'esprit avant-gardiste des Gaulois, et plus singulièrement la liberté des femmes à disposer de leurs corps ici, sont finement repris au sein de la série.

Alors pourquoi, 2 000 ans plus tard, la nécessité d'une nouvelle loi "égalité hommes-femmes", en date -et c'est tout un symbole- du 4 août 2014 ? Sans doute parce que l'humour et la bande dessinée ne suffisent malheureusement pas à changer les moeurs et que l'évolution des mentalités a besoin d'un nouveau coup de pouce législatif pour promouvoir une égalité plus réelle que de principe. On peut demeurer dubitatif sur l'efficience du partage commun du congé parental ; on peut regretter que le mécanisme de garantie contre les impayés de pensions alimentaires ne soit qu'une expérimentation ; on peut se féliciter, tout en trouvant navrant, de devoir améliorer encore la prise en charge des femmes victimes de violences ; on peut applaudir au renforcement de la parité aux élections législatives et à la généralisation de la parité dans les instances dirigeantes des fédérations sportives, encore que le problème soit d'abord d'ordre social ; on peut appeler de ses voeux la correction des discriminations indirectes dans les branches collectives et la simplification des différentes obligations de négocier en matière d'égalité professionnelle ; on restera prudent sur le renforcement des sanctions en cas de discrimination, le harcèlement moral devenant la "tarte à la crème" de l'annulation de toute procédure de rupture salariale. Les stéréotypes sexistes -encore qu'il ne soit pas certain qu'ils soient perçus comme tels par les principales intéressées, comme l'usage du nom marital par exemple- seront plus difficiles à combattre mais l'ensemble des dispositions va assurément dans le bon sens.

Mais plus fondamentalement, le combat mené depuis la Libération et le droit de vote des femmes il y 70 ans, c'est la déromanisation de la société française. Le mythe gallo-romain a fait croire à un syncrétisme des cultures romaines et celtes quand le droit romain et le droit germanique constituaient en fait le coeur de notre identité juridique. Or, ces deux cultures se méfiaient des femmes -méfiance sur laquelle le christianisme "surfera"- au point de leur dénier tout statut à part entière et encore moins une égalité sociale avec l'homme-. La raison profonde d'une telle prédominance de l'homme : la masculinité du dieu créateur et omnipuissant ; quand ce principe divin supérieur était, chez les Gaulois, féminin. La République, représentée par Marianne, mettra du temps pour détricoter les mailles romaines d'une prédominance masculine, mais le principe supérieur féminin, tout symbolique qu'il soit, désormais acquis, l'égalité hommes-femmes sera au coin de la rue.

Les aventures d'"Astérix, le Gaulois" doivent être lues et relues par nos petites têtes blondes et brunes, comme vecteur d'acculturation des droits fondamentaux pour que l'obscurantisme des camps de Babaorum, Aquarium, Laudanum et Petibonum demeure bien à distance. Et, le ministre -je m'accroche tout de même au neutre latin de la fonction, il y a des combats perdus d'avance- des droits des femmes, ayant hérité du maroquin de l'Education nationale devrait prendre soin de ne pas railler la tant décriée formule éducative de la IIIème république, République archétype de l'ascension sociale : "Nos ancêtres les Gaulois". Car, dans la France multiculturelle et multicultuelle d'aujourd'hui, il serait heureux que ses habitants s'estiment plus volontiers héritiers de ces Gaulois qui, en matière de droits fondamentaux et politiques, et d'égalité hommes-femmes en particulier, avaient à en montrer aux chantres des Humanités gréco-romaines.

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