Réf. : Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-14.626, F-P+B (N° Lexbase : A5701MLQ)
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par Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur-adjoint de l'IRDAP, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 19 Juin 2014
I - Un arrêt justifié quant à l'importance du champ contractuel
L'assureur entendait faire jouer la clause de condition de garantie ou de déchéance, en reprochant à l'assuré une double faute. En premier lieu, il n'a pas déclaré l'hypothèque maritime grevant le navire. En second lieu, il a fait naviguer le navire sans permis de navigation et certificat de franc-bord valides. Ces comportements contreviennent à des conditions générales, respectivement l'article 11 de la police française d'assurance maritime sur corps de navires de pêche artisanale et l'article 1er des conditions de couverture figurant dans un document intitulé " SAMM pêche 2008 ".
Le problème résidait dans l'intégration de ces conditions générales au contrat signé par le propriétaire de l'Assunta II. En effet, ce contrat ne mentionnait pas la prise de connaissance par l'assuré des conditions générales. Il ne comportait pas davantage un renvoi à ces conditions générales, lesquelles n'avaient pas été signées par l'assuré. Ainsi, aucun élément objectif ne permettait d'établir que ce dernier avait eu connaissance des conditions générales que l'assureur voulait lui opposer.
Certes, ces conditions générales sont usuelles, et avaient en outre, par le passé, été acceptées par l'assuré dans un contrat d'assurance garantissant un autre navire qui lui appartenait alors (l'Assunta I).
La Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, n'est pas sensible à ces derniers arguments. Même si elle n'emploie pas l'expression, elle considère que les conditions générales, et particulièrement l'obligation de déclarer l'hypothèque et celle d'avoir des documents de bord valides, ne sont pas entrées dans le champ contractuel. Elles sont par conséquent inopposables à l'assuré.
La question de l'opposabilité des conditions générales du contrat est bien connue des spécialistes de droit de la consommation (2). Dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, le point de savoir si ce dernier a pu prendre connaissance et comprendre les stipulations des conditions générales est crucial.
En droit des assurances, le problème se pose en des termes comparables : la partie en situation présumée d'infériorité face à son cocontractant a-t-elle été en mesure de connaître les clauses pré-rédigées du contrat ?
L'arrêt du 13 mai 2014 est toutefois le signe que la logique du droit des assurances va plus loin que celle du droit de la consommation. En effet, en l'espèce, l'assuré, propriétaire du navire Assunta II, n'était ni un consommateur, ni un profane. Il s'agissait d'un professionnel de la pêche maritime, le navire étant son outil de travail. Ainsi, là où le droit de la consommation ne protège que le consommateur (ou le non-professionnel), le droit des assurances protège plus largement le cocontractant de l'assureur, quelle que soit sa qualité.
L'intégration des conditions générales dans le champ contractuel, dans le domaine du "voulu", doit pouvoir être établie par l'assureur même lorsqu'il contracte avec un professionnel. La solution est justifiée. Les conditions générales stipulent fréquemment des clauses importantes (telles que déchéance de garantie) ; il est dès lors impératif de pouvoir vérifier que l'assuré, qu'il soit professionnel ou non, a eu connaissance de ces stipulations.
Si l'arrêt commenté se justifie quant à l'importance du champ contractuel, il est plus imprécis quant au jeu de la faute inexcusable et du manque de soin raisonnables.
II - Un arrêt imprécis quant au jeu de la faute inexcusable et du manque de soins raisonnables
L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 mai 2014 retient que: "la cause du naufrage n'était pas établie, que les défaillances techniques ayant pu expliquer le non-renouvellement du permis de navigation et du certificat de franc-bord du navire n'étaient pas à l'origine du sinistre et que le défaut de validité des documents de bord ne démontrait pas qu'en prenant la mer dans ces conditions, M. [X] avait conscience de la probabilité de la réalisation du risque, la cour d'appel a pu écarter la faute inexcusable de l'assuré et l'existence d'un manque de soins raisonnables de sa part". La Cour en déduit alors que l'assureur ne peut s'exonérer de sa garantie sur le fondement de l'article L. 172-13 du Code des assurances.
Cette affirmation appelle deux remarques.
D'une part, pour la Cour de cassation, comme pour la cour d'appel de Montpellier auparavant, le fait pour l'assuré de prendre la mer malgré le défaut de validité des documents de bord ne constitue ni une faute inexcusable, ni un manque de soins raisonnables. Le seul défaut de validité des documents de bord ne permet pas d'établir que l'assuré a conscience de la probabilité de survenance du sinistre. La solution ne nous semble pas aller de soi. Il est certains documents dont la présence est exigée à bord lors de la navigation, qui n'ont aucune influence sur la sécurité du navire. Il en est ainsi, par exemple, de l'acte de francisation, que tout navire français qui prend la mer doit avoir à son bord (3). Le navire n'est pas plus ou moins en danger selon qu'il ait ou non son acte de francisation. A l'inverse, l'absence de certains documents peut être le révélateur d'un risque accru. Le fait pour un navire de ne pas obtenir le renouvellement de son permis de navigation et de son certificat de franc-bord est peut-être le signe d'une aptitude réduite à prendre la mer (4). Ainsi, affirmer simplement, comme le fait la décision commentée, que le défaut de validité des documents de bord n'est ni une faute inexcusable, ni un manque de soins raisonnables de la part de l'assuré nous semble manquer de nuance.
D'autre part, apparaît imprécise l'affirmation selon laquelle la cause du naufrage n'étant pas établie et les défaillances techniques ayant pu expliquer le non-renouvellement du permis de navigation et du certificat de franc-bord du navire n'étant pas à l'origine du sinistre, la cour d'appel a pu écarter la faute inexcusable de l'assuré et l'existence d'un manque de soins raisonnables de sa part. En effet, la Cour déduit l'absence de faute (inexcusable ou manque de soins) de l'assuré du fait que la cause du naufrage n'est pas établie et que l'absence des documents n'est pas à l'origine du sinistre. Or, les deux questions ne se situent pas sur le même plan : la première est relative à la faute, la seconde au lien de causalité.
Il y a ainsi une confusion entre la faute et le lien de causalité : affirmer que la cause du naufrage n'est pas établie ne suffit pas à démontrer qu'il n'y a pas faute inexcusable de l'assuré ou manque de soins raisonnables de sa part.
Il nous semble par conséquent que, pour exclure le jeu de l'article L. 172-13 du Code des assurances, c'est davantage sur la question du lien de causalité, non établi, entre le défaut de validité des documents de bord et le naufrage, que la Cour de cassation aurait pu se fonder, sans prendre parti sur la qualification de la faute.
(1) CA Montpellier, 23 janvier 2013, n° 12/05336 (N° Lexbase : A6866I3P), DMF, 2014, p. 405.
(2) J. Calais-Auloy et H. Temple, Droit de la consommation, Précis Dalloz, 8ème éd., 2010, n° 162 et s..
(3) C. douanes, art. 218 (N° Lexbase : L5784IRN) ; Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-21.062, F-P+B (N° Lexbase : A8707KIC).
(4) Même si, en l'espèce, les documents en question n'avaient été ni retirés, ni suspendus, mais avaient simplement atteint la date d'expiration de leur période de validité.
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