La lettre juridique n°571 du 22 mai 2014 : Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Mai 2014

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par Pauline Le More, Avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat, chargée d'enseignement à l'Université Paris Ouest-Nanterre La Défense

le 22 Mai 2014

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat, Chargée d'enseignement à l'Université Paris Ouest-Nanterre La Défense. L'auteur commente, tout d'abord, l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 avril 2014 relatif aux limites de compétence du juge civil en matière d'actions en réparation de pratiques anticoncurrentielles (Cass. com., 8 avril 2014, n° 13-11.765, FS-P+B). Quelques observations sont exprimées à propos de l'étude sur le programme de clémence en date du 15 avril 2014. Enfin, une attention particulière est portée à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 mars 2014 sur la sanction d'une interdiction absolue de la vente sur internet au regard du droit de la concurrence (CA Paris, 13 mars 2014, n° 2013/00714).
  • Limites de la compétence du juge civil en matière d'actions en réparation au titre de pratiques anticoncurrentielles intentées contre une personne de droit public (Cass. com., 8 avril 2014, n° 13-11.765, FS-P+B N° Lexbase : A1020MKY)

Publié au bulletin et rendu au visa de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ainsi que des articles L. 410-1 (N° Lexbase : L6581AIL), L. 464-7 (N° Lexbase : L2051ICX) et L. 464-8 (N° Lexbase : L4973IUQ) du Code de commerce, l'arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2014 censure sèchement les analyses des juges du fond quant à la compétence de l'ordre judiciaire pour connaître des actions en réparation intentées contre des établissements publics du fait de pratiques anticoncurrentielles présumées (CA Paris, Pôle 1, 2ème ch. 10 octobre 2012, n° 11/13069 N° Lexbase : A5889IUN ; TGI Paris, 3ème ch., 1er juillet 2011, n° 10/14685 N° Lexbase : A2693IIL).

En l'espèce, la manufacture de Sèvres a organisé, en partenariat avec l'artiste ChuTeh-Chun et la galerie américaine Malborough Gallery, la fabrication de vases, décorés par l'artiste, qui ont été exposés, du 10 juin au 7 septembre 2009, au musée Guimet puis, pour partie d'entre eux, remis à la galerie Malborough Gallery qui les a commercialisés sur le marché international de l'art. La galerie new-yorkaise concurrente Navarra et son dirigeant, considérant le jeu de la concurrence faussée par la mise à disposition par le musée Guimet et la manufacture de Sèvres de leurs moyens au service d'un projet commercial privé, initié par la galerie Malborough Gallery, les ont fait assigner en réparation de leur préjudice. Excipant de leur nature d'établissements publics exerçant une mission de service public, la manufacture de Sèvres et le musée Guimet ont été déboutés tant par le juge de la mise en état du TGI que par le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de leur argument tiré de l'exception d'incompétence.

Certes, d'une part, selon l'article L. 410-1 du Code de commerce, les dispositions relatives à la liberté des prix et de la concurrence s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de délégations de service public. Certes, d'autre part, dans la mesure où elles exercent de telles activités et sauf en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l'organisation du service public ou mettant en cause des prérogatives de puissance publique, les personnes publiques peuvent être sanctionnées par l'Autorité de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire en matière de pratiques anticoncurrentielles. En effet, compétence exclusive est conférée à la cour d'appel de Paris pour connaître des recours intentés contre les décisions de l'Autorité de la concurrence, conformément aux articles L. 464-7 et L. 464-8 du Code de commerce. Pour autant, peu importe pour déterminer la compétence du juge judiciaire que les agissements de la manufacture de Sèvres et du musée Guimet soient susceptibles de porter atteinte à une saine et libre concurrence et/ou ne relèvent pas d'actes concernant l'organisation du service public ou la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique, dans la mesure où le litige en cause concerne une action judiciaire initiée non par un plaignant devant l'Autorité de la concurrence, mais par une personne de droit privé, en l'occurrence la galerie Navarra et son dirigeant. L'ordre judiciaire ne pouvait donc connaître du litige opposant la galerie Navarra et son dirigeant à la manufacture de Sèvres et au Musée Guimet sans excéder sa compétence.

Il s'agit là d'un rappel des clefs de compétence entre l'ordre judiciaire et l'ordre administratif somme toute classique, même si on peut regretter que le contentieux de l'indemnisation du fait de pratiques anticoncurrentielles soit tributaire de deux ordres distincts, source potentielle de discrimination entre victimes. En tout état de cause et de fait, le juge administratif a eu déjà à maintes reprises l'occasion de sanctionner des personnes de droit public pour des agissements anticoncurrentiels, comme en témoigne par exemple dernièrement l'arrêt du Conseil d'Etat en matière de pratiques d'éviction perpétrées par la communauté d'agglomération de Laval et conduisant à l'indemnisation de la société Ernée Viandes à hauteur de plus de 500 000 euros (CE, 3° s.s., 17 mars 2010, n° 305860 N° Lexbase : A7928ETS).

  • Etude sur le programme de clémence français : l'autocritique de l'Autorité de la concurrence (Aut. conc., étude relative au programme de clémence français, 15 avril 2014)

La programme de clémence français, introduit en droit français par la loi n° 2001-420, relative aux nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ) sous l'impulsion cumulée du droit antitrust américain inventeur de l'outil et de la Commission européenne, a été dernièrement révisé en 2009 (cf. Aut. conc., communiqué de procédure du 2 mars 2009 sur le programme de clémence). Pour autant, ce précieux instrument de l'Autorité de concurrence au service de la détection des cartels, fondée sur la dénonciation auto-incriminante de l'un des participants à une entente, souligne certains des paradoxes de l'application des règles de concurrence française et communautaire en France. En voici quelques uns parmi d'autres.

D'une part, soucieuse de son attractivité, notamment au regard du développement de l'action privée, l'Autorité de la concurrence n'a eu de cesse de défendre son programme de clémence en allant jusqu'à interdire toute transmission des pièces d'un dossier de clémence à une victime d'entente qui en ferait la demande dans le cadre d'une action privée en vertu des articles L. 464-2, IV (N° Lexbase : L4967IUI) et R. 464-5 (N° Lexbase : L8657IBA) du Code de commerce . Or, à la lecture de l'étude, il apparaît que "60% des avocats indiquent ne pas avoir rencontré de suites d'actions civiles ou de poursuites pénales de leurs clients [demandeurs à la clémence]". En revanche, 100 % des entreprises, demanderesses à une action en réparation, sont désormais confrontées, en vertu de la législation en vigueur, au principe d'exclusion de toute communication de pièces, parfois indispensables à l'établissement de leurs préjudices devant le juge.

D'autre part, il semble que, outre la réduction d'amendes qui de ce côté-là de l'Atlantique est surtout le fait de l'Autorité de la concurrence et non des juridictions, c'est surtout à la suite d'une procédure de plainte intentée devant une autre autorité de la concurrence (Commission européenne ou autorité nationale de concurrence) que l'entreprise fait le choix de monter un dossier de clémence en France. Autrement dit, le programme de clémence est ainsi utilisé dans le cadre plus global d'un ensemble de procédures européennes ou internationales, parmi lesquelles la procédure française ne constitue qu'un maillon de la chaîne. Le programme de clémence a donc essentiellement vocation, en pratique, à satisfaire les standards internationaux du droit des ententes et pallie, en matière de détection, l'absence de coopération efficace entre autorités de concurrence.

Faut-il dès lors rendre le programme de clémence français plus attractif pour les membres de cartels dans un contexte qui, comme le monde des affaires, est de plus en plus marqué par la mondialisation ? L'Autorité de la concurrence annonce une "éventuelle" révision du communiqué de procédure du 2 mars 2009. Une étude plus globale à l'échelle européenne, voire mondiale, serait sans doute susceptible de servir également de base aux autorités à une telle réforme qui inclurait le droit des ententes en général.

  • Sanction légère de l'interdiction de vendre sur internet, bien que contraire aux règles de concurrence (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 13 mars 2014, n° 2013/00714 N° Lexbase : A8214MGC)

Par arrêt du 13 mars 2014, la cour d'appel de Paris a réduit à la portion congrue la sanction pécuniaire infligée par l'Autorité de la concurrence au groupe danois Bang & Olufsen par décision n° 12-D-23 du 12 décembre 2012 (Aut. conc., décision n° 12-D-23, 12 décembre 2012 N° Lexbase : X9716ALG ; cf. nos obs. in Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Janvier 2013 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 322 du 10 janvier 2013 - édition affaires N° Lexbase : N5164BTG).

Les faits, relativement classiques, concernaient le réseau de distribution sélective de la société Bang & Olufsen France dans le secteur du matériel hi-fi et home cinéma. Il était reproché à la société et à la maison mère, Bang & Olufsen A/S, d'avoir mis en oeuvre une entente anticoncurrentielle ayant pour objet l'interdiction faite à ses distributeurs agréés, membres de son réseau de distribution sélective, de recourir à Internet pour vendre les produits de sa marque.

Condamné au paiement d'une amende de 900 000 euros, le groupe danois contestait en premier lieu les faits mêmes d'entente, faute pour l'Autorité de la concurrence d'avoir prouvé l'accord de volonté entre le fabricant et ses distributeurs. Certes, depuis l'arrêt Volkswagen (CJCE, 13 juillet 2006, aff. C-74/04 P N° Lexbase : A4768DQN), le concours de volonté ne peut être présumé du seul fait de l'appartenance d'un distributeur à un réseau. Pour autant, l'Autorité de la concurrence se fondait, en l'espèce, non seulement sur la clause du contrat de distribution type interdisant la vente par correspondance et la circulaire du 13 août 2000 y afférente, mais également sur d'autres éléments recueillis au cours de l'enquête et de l'instruction, et notamment les déclarations faites par les représentants des sociétés incriminées et par deux des distributeurs agréés. Aucun des 48 distributeurs n'ayant, de surcroît, eu recours à la vente de leurs produits Bang & Olufsen sur internet, l'acquiescement à la politique du groupe danois en matière de vente sur internet pouvait être considéré comme tacite.

Par ailleurs, cette restriction de concurrence par objet n'est pas indispensable pour atteindre l'objectif de qualité allégué. La cour d'appel reste de marbre face aux arguments du fabricant tiré des phénomènes de parasitismes, selon lesquels la vente en ligne renforcerait l'asymétrie financière entre les distributeurs Bang & Olufsen et déstabiliserait le maillage territorial des magasins Bang & Olufsen. Faute de remplir l'une des quatre conditions cumulatives, la pratique d'interdiction de vente sur Internet ne peut bénéficier de l'exemption prévue par les articles 101 § 3 TFUE (N° Lexbase : L2398IPI) et L. 420-3 du Code de commerce.

C'est sur le terrain de la sanction que l'arrêt est le plus novateur. En raison des incertitudes juridiques entourant la question de la vente sur internet, mis en exergue par la question préjudicielle de l'affaire "Pierre Fabre" (CJUE, 13 octobre 2011, aff. C-439/09 N° Lexbase : A7357HY7) qui avait justifié le sursis à statuer dans la présente affaire, la cour d'appel réduit à 10 000 euros l'amende. C'est moins que les 17 000 euros demandés à titre infiniment subsidiaire par les sociétés Bang & Olufsen. Sans remettre en cause l'infraction commise, la cour procède à la "relativisation" de la gravité de la pratique pour conférer une fonction de symbole à l'amende, dont le montant devient de ce fait dérisoire. Autrement dit, l'incertitude juridique peut désormais être source de circonstance atténuante, dès lors que le montant de la sanction infligée par l'Autorité de la concurrence est contesté.

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