Lexbase Avocats n°164 du 23 janvier 2014 : Avocats

[Point de vue...] "La profession d'avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d'exercice" ?

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions

le 23 Janvier 2014

Les règles relatives à la profession d'avocat, convenons-en, sont souvent mal rédigées.

Quel est le responsable ordinal qui, confronté à une difficulté d'interprétation d'un texte quand ce n'est pas simplement à une difficulté de lecture, ne s'est pas résolu à se tourner vers la Commission des règles et usages du CNB ou vers la Commission de déontologie de la Conférence des Bâtonniers ? Pour avoir un avis bien sûr, une solution si possible, au moins par curiosité intellectuelle.
Rendons un hommage sincère aux membres de ces commissions. Leur tâche est lourde tant les sollicitations qui leur sont adressées doivent être nombreuses. Compétence et dévouement ne sont pas les moindres de leurs qualités.

Lois, décrets, règlements, les textes présentent le défaut originel d'avoir été conçus, ou inspirés, par des juristes, voire par des avocats. La sagesse commande de l'admettre, il eût sans doute été préférable de s'en remettre à des experts comptables.

A cet égard, le Règlement intérieur national de la profession (N° Lexbase : L4063IP8) édicté par le Conseil national des barreaux comporte en son article 1.1 l'énoncé d'un principe fondateur qui laisse perplexe : "La profession d'avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d'exercice".

L'idée est séduisante. L'on ressent bien la volonté généreuse qui animait les rédacteurs.

Toutefois, la coexistence de notions si différentes dans une phrase aussi condensée suscite l'interrogation : était-il bien sage d'inscrire au fronton du RIN un principe aussi abscons ?

Personne n'oserait plus soutenir, aujourd'hui, qu'il existerait "une" profession d'avocat, sauf ceux qui, faisant fi de sa diversité, la voudraient uniforme aujourd'hui, la rêvent toujours uniforme demain.

Il existe, a minima, trois barreaux : le barreau des affaires, le barreau traditionnellement tourné vers le traitement des contentieux judiciaires et administratifs, et un barreau "nouveau" qui consacre l'essentiel de son activité au secteur de l'aide juridictionnelle.

A ce jour, ni la fiducie, ni l'activité de mandataire sportif, ni celle de mandataire en transactions immobilières, ni l'acte d'avocat n'ont révolutionné cet équilibre hétéroclite.

En revanche, il ne fait aucun doute que l'introduction du salariat, l'essor des sociétés de capitaux (y compris de capitaux extérieurs et en dépit de leur limitation actuelle) et la communication électronique ont, d'ores et déjà, considérablement bouleversé cet équilibre ; ni que l'évolution prévisible de ces modes d'exercice nouveaux de la profession, comme ses conséquences sur la postulation, ne contribueront pas à rendre plus compréhensible le principe selon lequel "La profession d'avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d'exercice".

Les jeunes avocats, et pas seulement eux, s'interrogent sur leur avenir. Que sera la Justice du 21ème siècle, quelle sera la place du droit et celle de l'avocat dans le nouveau siècle, la pratique du contentieux judiciaire est-elle vouée à la disparition, le conseil et l'acte d'avocat sont-ils les seules alternatives à la fin annoncée de ce contentieux ?

Ces questions sont évidemment essentielles. Elles sont évoquées par nos instances professionnelles et syndicales, comment pourrait-il en être autrement, sur un plan général et par référence à la profession d'avocat dans son ensemble.

Notre propos ne sera pas de nous placer à ce niveau de réflexion pour discuter les diagnostics et préconisations formulés par ces instances, bien qu'ils appellent des réflexions et suscitent des doutes.

Il sera de nous placer au niveau de l'avocat, considéré individuellement même lorsqu'il exerce en groupe, confronté dans sa pratique professionnelle à des contraintes et des menaces toujours plus prégnantes.

L'avocat n'est pas mercantile, même s'il est communément admis qu'il ne vit pas de l'air du temps. Et, il ne peut, dès lors, être déplacé d'évoquer le problème de la concurrence entre avocats qui, rappelons-le, exercent une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d'exercice.

Quelques recommandations pourraient ne pas être inutiles.

La première tient à la nécessité de l'exercice en groupe de la profession d'avocat.

Les statistiques publiées régulièrement par l'ANAAFA en apportent la démonstration, les revenus moyen et médian de l'avocat qui exerce à titre individuel sont sensiblement inférieurs à ceux de l'avocat qui exerce en groupe.

La première explication qui vient à l'esprit est que l'exercice en groupe (quelle que soit la forme juridique du groupe dont le choix procède de critères spécifiques) permet de réaliser des économies d'échelle. La mise en commun des moyens en personnel, documentation et locaux, pour ne citer que quelques exemples, autorise de toute évidence une mutualisation des charges.

Mais, l'intérêt de la structure de groupe va bien au-delà. Il est de permettre des investissements qu'un avocat ne peut envisager seul. C'est de moyens et d'image du cabinet dont il est question ici.

L'exercice en groupe est la condition nécessaire et préalable de la spécialisation, qu'elle soit reconnue par le CNB ou simplement attachée de fait à la notoriété du cabinet. L'avocat polyvalent, l'avocat omnipotent, l'avocat généraliste sont moribonds.

Il n'existe plus de salut hors d'une structure regroupant des avocats ayant des spécialités, ou des domaines d'activités, différents et complémentaires.

Cela correspond à une exigence de compétence devenue incontournable de la clientèle.

La deuxième recommandation est une conséquence de la première : la formation continue est une impérieuse nécessité.

Rendue obligatoire par le CNB, à raison de vingt heures par an, elle a d'abord été accueillie avec une relative hostilité par nombre de confrères qui considéraient que la lecture des revues juridiques périodiques, à la supposer effective et régulière, était largement suffisante pour pourvoir au maintien de leurs connaissances.

Suivre vingt heures de formation continue dans l'année était encore, il y a peu, un plafond à atteindre. Ce quota de vingt heures n'est plus aujourd'hui qu'un seuil, souvent dépassé.

Quelques avocats irréductibles exceptés, la formation continue est admise aujourd'hui. Mieux, elle est reconnue comme utile.

La situation de concurrence dans laquelle sont aujourd'hui placés les avocats, comme l'attente du public, devrait les conduire à ne plus simplement considérer que la formation continue serait utile. Elle est bien davantage : un investissement nécessaire, non seulement pour entretenir leurs connaissances, mais pour en acquérir de nouvelles.

La compétence est devenue une arme dans la compétition actuelle, et dans celle qui s'annonce.

Faire connaître ses compétences au public est devenu une nécessité.

Etre compétent est une exigence. Mais encore faut-il que le public sache que tel avocat est compétent dans un domaine d'activité.

Convenons que la notoriété n'a pas toujours été fondée sur cette seule compétence et que la réputation d'un avocat pouvait, dans certains cas, être quelque peu usurpée et basée sur une apparence sociale construite artificiellement, voire héritée.

La publicité personnelle de l'avocat qui prend aujourd'hui une grande place sur internet est souvent navrante. Dans le pire des cas, elle fait référence à des tarifs défiant toute concurrence, ce qui ne constitue pas un gage de qualité de la prestation de l'avocat. Si l'argument du coût peut, encore, faire florès auprès de certaines personnes pour des prestations jugées simples, comme par exemple en matière de divorce par consentement mutuel, gageons que ce critère du prix ne résistera pas face à une concurrence basée sur la compétence et l'efficacité.

Lorsque les enjeux sont importants, et ils le sont le plus souvent, la compétence du conseil ou du défenseur ne l'est pas moins.

Dans la plupart des cas, la publicité est purement laudative et injustifiée. Des grenouilles prétendent se faire aussi grosses que le boeuf à force de références à une structure inexistante dans les faits, à des cabinets secondaires qui ne sont, en réalité, que des cabinets principaux itinérants, à des domaines d'activités si nombreux et si variés que leur énumération en devient contreproductive.

Le message publicitaire adressé au public est renforcé par des photographies mettant en scène l'avocat lui-même, parfois des codes législatifs (ce qui est rassurant), voire du mobilier de bureau (sans oublier la salle d'attente).

Cette communication dérisoire traduit un profond désarroi de l'avocat qui, conscient de la nécessité de se sortir de l'anonymat, n'a pas compris cependant que la communication avait un sens. Que la publicité, ainsi que le rappelle le Règlement intérieur national édicté par le CNB, devait procurer au public une information nécessaire.

Ce critère de "l'information nécessaire" n'est pas réducteur. Il ne signifie pas que la publicité personnelle, après avoir été bannie, demeurerait honteuse. Ce critère est frappé au coin du bon sens et nous rappelle qu'une publicité n'a de portée que si elle est informative.

C'est là toute la différence entre publicité et réclame.

En la matière, les Ordres d'avocats ont une importante responsabilité pour lutter contre les publicités indignes ou injustifiées. Ils ne doivent plus cependant considérer, puisque telle n'est plus la règle, que la publicité serait toujours marquée, par elle-même, du sceau de l'indignité.

L'avocat ne peut faire référence dans sa publicité au nom de ses clients, secret professionnel oblige.

Il doit pouvoir faire état de ses compétences, à la condition qu'elles existent et sous un contrôle effectif et efficace des ordres, parce que les règles de la concurrence l'y obligent.

Les clefs de la réussite professionnelle de l'avocat ne se limitent pas à quelques recettes ou stratagèmes. Les qualités exigées de l'avocat sont innombrables. Mais, nous sommes convaincus que cette réussite individuelle, car, ne l'oublions pas, la profession d'avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d'exercice, passe a minima par la prise en considération de la nécessité d'un exercice en groupe, l'acquisition d'une compétence sans cesse plus grande, et par la diffusion d'une information nécessaire au public.

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