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par Axel Valard
le 28 Juillet 2025
Les faits remontent exactement au 10 janvier 2010. Mais la justice a décidé de ne pas lâcher l’affaire. Quinze ans après le suicide de Kristina Rady, le parquet de Bordeaux (Gironde) a indiqué, jeudi 26 juillet, qu’il avait pris la décision de rouvrir une enquête préliminaire pour « violences volontaires par conjoint » pour tenter d’éclairer les circonstances de la mort de celle qui était alors l’épouse de Bertrand Cantat.
Lorsque l’on prononce le nom de l’ancien chanteur du groupe de rock « Noir Désir », on pense immédiatement à Marie Trintignant qui a trouvé la mort, sous ses coups, en 2003 à Vilnius (Lituanie). Mais avant l’actrice, la vie de Bertrand Cantat s’est pendant longtemps conjuguée à celle de Kristina Rady. C’est en 1993 qu’ils se sont rencontrés lors du festival de musique Sziget à Budapest (Hongrie). Leur idylle les emmène alors en France où ils se marient et ont deux enfants en 1997 et 2002. À la naissance du deuxième enfant, Bertrand Cantat quitte Kristina Rady pour s’installer avec Marie Trintignant. La suite de l’histoire est connue : cette nuit sombre à Vilnius où l’actrice meurt sous les coups du chanteur, le procès en Lituanie, la peine de huit ans de prison prononcée et une sortie de détention en 2007, à la faveur d’une décision d’un juge d’application des peines toulousain.
Lorsqu’il quitte le centre pénitentiaire de Muret (Haute-Garonne), Bertrand Cantat reprend une relation épisodique avec Kristina Rady. Celle-ci n’a jamais cessé de le soutenir. Y compris durant le procès de Vilnius. Mais l’histoire qui s’en suit est dramatique. Le chanteur est possessif, jaloux. Et de chaos en chaos, Kristina Rady finit par se pendre dans son logement bordelais, le 10 janvier 2010. C’est son fils qui découvre son corps, alors que Bertrand Cantat dort dans une pièce à côté…
Le documentaire Netflix comme déclencheur.
À l’époque, le parquet de Bordeaux ouvre une enquête en « recherche des causes de la mort » et confirme rapidement la thèse du suicide. Mais en 2013, puis en 2014, elle rouvre le dossier à la faveur de bruits faisant état de violences physiques et psychologiques infligées par le chanteur à sa compagne. Des violences qui auraient pu la conduire à commettre l’irréparable. Les enquêtes sont classées sans suite. Tout comme la dernière ouverte en 2018. Les éléments sont déjà connus : Kristina Rady s’était plainte du climat toxique au sein du couple. Elle avait même laissé un message vocal de 7 minutes et 33 secondes sur le répondeur de ses parents pour s’en plaindre six mois avant de se pendre. Mais à l’époque, le parquet de Bordeaux ne trouve aucun élément permettant de caractériser des faits de violences.
Pourquoi alors rouvrir le dossier aujourd’hui ? Parce que Netflix est passé par là. En mars dernier, la célèbre plateforme a diffusé un documentaire en trois épisodes intitulé « Le cas Cantat ». Si les deux premiers volets ramènent à l’histoire de la mort de Marie Trintignant, le dernier, lui, se concentre sur Kristina Rady.
« C’est après le visionnage de ce reportage que j’ai décidé de rouvrir le dossier », confie ainsi Renaud Gaudeul, le procureur de la République de Bordeaux. Parce que le documentaire met en lumière des éléments nouveaux qui n’avaient pas été portés à la connaissance des policiers lors des enquêtes précédentes. Notamment un témoignage. Celui d’un infirmier qui, anonymement, confie « être tombé » dans un hôpital bordelais sur le dossier médical de Kristina Rady, prouvant, selon lui, qu’elle avait dénoncé les coups portés par « son compagnon » plusieurs mois avant de mettre fin à ses jours. L’objectif du magistrat bordelais est désormais clair : retrouver cet infirmier, ce dossier médical et voir si cela pourrait suffire à relancer l’affaire.
Une circulaire de Dupond-Moretti sur la prescription datée de 2021.
Mais évidemment, la question de la prescription va se passer. Et une source proche du dossier confie que cela sera évidemment « un enjeu » pour pouvoir aller plus loin. Kristina Rady est morte en 2010 et la dernière enquête a été classée sans suite en 2018. Nous sommes donc plus de six ans après le « dernier acte interruptif » de la prescription. Et on peut s’interroger sur ce qui pourrait permettre de la lever aujourd’hui.
Mais la volonté de Renaud Gaudeul est peut-être ailleurs. En février 2021, Éric Dupond-Moretti avait adressé une circulaire aux parquets leur demandant de rouvrir des dossiers, même en cas de prescription flagrante afin, notamment, de pouvoir apporter une réponse aux victimes. La circulaire visait essentiellement les faits de nature sexuelle commis sur des mineurs mais pouvait s’appliquer à tous les faits « d’une particulière gravité ». Le Garde des Sceaux de l’époque insistait alors pour que la justice classe sans suite pour cause de prescription « lorsque les faits révélés ou dénoncés dans la procédure constituent bien une infraction mais que le délai fixé par la loi pour pouvoir les juger est dépassé ». Ce faisant, Éric Dupond-Moretti avait bien pris soin de souligner les mots « constituent bien une infraction » dans cette circulaire…
De son côté, Antonin Lévy, avocat de Bertrand Cantat a refusé de commenter une procédure dont il dit ne pas avoir eu connaissance « à ce stade ». Son client, dont les derniers spectacles ont été empêchés par les associations féministes, n’a pas réagi non plus. Lors du dernier classement sans suite intervenu en 2018, il avait simplement indiqué aux policiers qu’il était « heureux que cette page se tourne enfin ». Elle vient de se rouvrir aujourd’hui.
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