Le Quotidien du 26 juin 2025 : Affaires

[Questions à...] Les impacts de la réforme de la procédure de l’action de groupe - Questions à Erwan Poisson, avocat associé, A&O Shearman

Réf. : Loi n° 2025-391 du 30 avril 2025, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes N° Lexbase : L4775M9Q

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[Questions à...] Les impacts de la réforme de la procédure de l’action de groupe - Questions à Erwan Poisson, avocat associé, A&O Shearman. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/120734529-questionsalesimpactsdelareformedelaproceduredelactiondegroupequestionsaerwanpoisson
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le 25 Juin 2025

Mots clés : actions de groupe • associations • préjudices indemnisables • sanction civile • tiers financement

La loi dite « DDADUE » du 30 avril 2025 apporte d’importantes modifications à la procédure de l’action de groupe. Elle élargit sensiblement son champ d’application, accroît le nombre d’associations autorisées à engager une telle action et étend les préjudices réparables par une action en réparation. À cette occasion, Lexbase a recueilli l’analyse d’Erwan Poisson, avocat associé chez A&O Shearman, qui nous dévoile les points essentiels de cette réforme*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter les dispositions principales de la loi du 30 avril 2025 en matière d'actions de groupe ?

Erwan Poisson : L’article 16 de la loi n° 2025-391 du 30 avril 2025, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes N° Lexbase : L4775M9Q, dite « DDADUE » (la « loi du 30 avril 2025 ») transpose la Directive (UE) n° 2020/1828 du 25 novembre 2020, relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs N° Lexbase : L8833LYS, relative aux actions représentatives (la « Directive (UE) n° 2020/1828 ») et réforme le régime des actions de groupe.

Si cette réforme, applicable aux actions de groupe intentées à compter du 2 mai 2025, opère une reprise des règles existantes, elle est également porteuse de plusieurs changements qui pourraient conduire à une augmentation du nombre des actions de groupe devant les juridictions françaises.

En résumé, ce nouveau régime comprend trois axes majeurs.

Tout d’abord, l’action de groupe est désormais ouverte à un plus grand nombre de demandeurs.

En effet, si l’action de groupe reste la prérogative des associations agréées, celles-ci pourront être beaucoup plus nombreuses que les associations actuellement autorisées à intenter des actions de groupe (par exemple, seulement quatorze en matière de consommation). La loi du 30 avril 2025 permet également à d’autres demandeurs d’intenter une action de groupe de manière plus limitée. Les associations déclarées qui justifient de vingt-quatre mois d’activité et dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte peuvent désormais intenter une action en cessation du manquement (mais pas en réparation du préjudice subi).

Dans la continuité des anciens régimes, les organisations syndicales représentatives peuvent intenter des actions en matière de lutte contre les discriminations et de protection des données personnelles. Il est également prévu que le ministère public puisse exercer une action de groupe (en cessation du manquement en tant que partie principale, ou intervenir en tant que partie jointe, aussi bien dans les actions en cessation du manquement que dans celles en réparation du préjudice subi). Par ailleurs, les « entités qualifiées » des autres États membres de l’UE sont, elles aussi, autorisées à engager une action de groupe en France.

Ensuite, cette réforme étend les préjudices réparables dans le cadre des actions de groupe en réparation. Le nouveau régime permet au demandeur d’intenter une action de groupe pour faire cesser un manquement et/ou pour obtenir réparation du préjudice subi, « quelle qu’en soit la nature ». Alors que les régimes sectoriels antérieurs limitaient les préjudices indemnisables, tous les préjudices, qu'ils soient matériels ou moraux, pourront désormais être indemnisés par le biais d'une action de groupe en réparation. Cette avancée risque néanmoins d'allonger la durée de la procédure et de complexifier les actions de groupe, en raison de la diversité des situations à examiner lors de la phase d’indemnisation.

Enfin, la réforme comporte d’autres innovations telles que l’instauration d’une sanction civile (cf. infra) ou encore l’attribution à des tribunaux judiciaires spécialement désignés d’une compétence spéciale pour connaître des actions de groupe.

Lexbase : Comporte-t-elle un risque accru pour les professionnels visés ?

Erwan Poisson : Compte tenu de l’élargissement de la qualité à agir et de l’harmonisation des préjudices (cf. supra), le nombre d’actions de groupe auxquelles les professionnels pourraient faire face devrait augmenter. Ces innovations sont néanmoins contrebalancées par le choix du législateur de maintenir un système d’opt-in, qui continue d’exiger des victimes du manquement qu’elles manifestent expressément leur volonté de participer à l’action de groupe (contrairement à d’autres États membres de l’UE, comme les Pays-Bas et le Portugal, qui ont choisi une approche plus libérale en adoptant un système d’opt-out pour leurs actions de groupe nationales).

En outre, les professionnels sont désormais exposés à un risque de sanction civile s’ils ont délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie indue et que le manquement constaté a causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire.

Cette nouvelle sanction, régie par l’article 1254 du Code civil N° Lexbase : L4998M9Y, est fonction de la gravité de la faute et du profit retiré par son auteur et plafonné à cinq fois ce montant pour une personne morale. La loi nouvelle précise que cette sanction civile ne peut faire l’objet d’une assurance, ce qui renforce son caractère dissuasif. Les sommes versées par les professionnels du fait de cette sanction alimenteront un fonds dédié au financement des actions de groupe.

L’octroi de cette nouvelle sanction civile est toutefois strictement encadré par la loi du 30 avril 2025 : la sanction civile ne peut être demandée que par le ministère public ou le gouvernement et son prononcé doit faire l’objet d’une décision spécialement motivée du juge saisi. La nouvelle sanction n’est applicable qu’aux actions pour lesquelles le fait générateur du manquement du défendeur est postérieur au 2 mai 2025.

Bien que, compte tenu des conditions précitées, le prononcé d’une sanction civile ne devrait concerner que les manquements les plus graves, ce nouveau dispositif marque un durcissement notable du régime de responsabilité applicable aux auteurs de manquements graves et pose ainsi de nouveaux défis en matière de gestion du risque contentieux pour les professionnels visés.

Lexbase : Quelles peuvent être les conséquences de l'extension de la possibilité d'y recourir aux personnes morales ?

Erwan Poisson : La loi du 30 avril 2025 opère un élargissement du champ des bénéficiaires potentiels de l’action de groupe. En effet, l’action de groupe peut désormais être exercée pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, ouvrant ainsi la voie à des actions de groupe dites « B to B ».

L’intégration des personnes morales parmi les bénéficiaires potentiels de l’action de groupe devrait renforcer son attractivité. L’action de groupe pourrait se substituer à l’action groupée, qui s’est développée en parallèle de l’action de groupe, en particulier en droit de la concurrence et en droit boursier et financier.

Cette innovation pose néanmoins des difficultés dans la mesure où il s’agit d’une « surtransposition » de la Directive (UE) n° 2020/1828. Il appartiendra à la jurisprudence de déterminer si des entités qualifiées françaises peuvent intenter des actions de groupe transfrontalières au bénéfice de personnes morales situées dans d’autres États membres de l’Union européenne alors qu’une telle possibilité n’est pas prévue pour les actions de groupe transfrontalières aux termes de la Directive (UE) n° 2020/1828.

Lexbase : Y a-t-il des nouveautés concernant leur financement ?

Erwan Poisson : La loi du 30 avril 2025 transpose les principes essentiels de la Directive (UE) n° 2020/1828 relatifs au financement des actions de groupe par des tiers, en reconnaissant expressément la possibilité du tiers financement tout en l’assortissant de garanties.

Ce financement ne doit avoir ni pour objet ni pour effet qu’un tiers puisse exercer une influence sur l’introduction ou la conduite d’une action de groupe. Le financement par des tiers fera l’objet d’une publication dans des conditions déterminées par un décret, qui n’a pas encore été publié.

Afin de prévenir les risques d’instrumentalisation, la réforme encadre le recours au tiers financement : lorsque l’action de groupe tend à l’indemnisation de préjudices, le demandeur doit démontrer l’absence de conflit d’intérêts avec le tiers financeur, notamment lorsque ce conflit est susceptible de porter atteinte à l’intérêt des personnes représentées. En cas de doute ou de contestation, le juge peut exiger du demandeur qu’il apporte la preuve de l’absence de conflit d’intérêts avec le tiers qui a financé l’action de groupe. Et, si le juge estime que l’indépendance du demandeur n’est pas suffisamment garantie, il pourra prononcer l’irrecevabilité de l’action de groupe qu’il a intentée.

S’inspirant du modèle anglo-saxon du third party funding, l’autorisation explicite en droit français du tiers financement pourrait permettre de lever les obstacles financiers auxquels sont parfois confrontées les associations à but non lucratif, principales demanderesses à l’action de groupe.

Ces nouvelles dispositions pourraient susciter un intérêt accru des financeurs pour les actions de groupe en France, d’autant plus qu’aucun mécanisme de plafonnement de la rémunération des tiers financeurs n’a été instauré par la loi nouvelle, contrairement aux règles applicables par exemple en Allemagne ou en République tchèque, à la suite de la transposition de la Directive (UE) n° 2020/1828.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

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