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par Axel Valard
le 23 Juin 2025
Au téléphone, Marie-Christine Chastant-Morand souffle doucement un discours qu’elle a fini par connaître par cœur : « Les choses n’ont pas changé en réalité. Christine et Jean-Marie Villemin souhaitent juste avoir le droit à un procès qui leur permet de savoir ce qu’il s’est passé, lâche l’avocate. Ils veulent savoir ce qui est arrivé à leur petit garçon, il y a quarante ans... ». Grégory, leur fils de quatre ans, a été retrouvé mort pieds et poings liés dans les eaux sombres de la Vologne (Vosges) en octobre 1984. Et depuis, la justice patauge dans un marigot familial pour tenter d’y voir clair.
Mercredi 18 juin, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon (Côte-d’Or) a redonné un peu d’espoir aux parents du petit Grégory, en ordonnant un supplément d’information, aux fins de procéder à un nouvel interrogatoire de Jacqueline Jacob et d’envisager sa mise en examen pour « association de malfaiteurs criminelle » dans ce dossier. La grand-tante du garçonnet retrouvé mort n’est pas une inconnue dans cette procédure. Aujourd’hui âgée de 80 ans, elle avait déjà été mise en examen en 2017, à l’occasion d’un spectaculaire rebondissement. À l’époque, elle était poursuivie du chef de « séquestration et enlèvement suivis de mort ». Mais cette mise en examen avait été annulée pour un vice de forme.
La justice aurait pu s’en arrêter là. Elle aurait pu décider qu’il n’y avait plus rien à faire. Que tout cela n’apportait finalement plus de douleur et de souffrance que d’espoir. Mais c’est mal connaître Dominique Brault. Président de la chambre de l’instruction de Dijon depuis quelques années, il s’est mis en tête de se plonger dans le dossier pour tenter de déverrouiller le mystère. Il a donc poursuivi les investigations et demandé de nouvelles expertises. Il a mené des auditions aussi. Autant d’éléments qui, aujourd’hui empilés, forment l’accusation à l’encontre de Jacqueline Jacob.
L’expertise en stylométrie comme socle de l’accusation.
Proche du clan Laroche qui vouait une haine tenace à l’encontre de Jean-Marie Villemin, le père du petit Grégory, Jacqueline Jacob a toujours clamé son innocence. En 2021, sur l’antenne de BFMTV, elle indiquait encore qu’elle n’avait « jamais de [sa] vie » rédigé l’une des nombreuses lettres anonymes envoyées aux parents du petit Grégory avant et après le crime. Et pourtant, selon des expertises, elle fait bien partie des corbeaux qui ont harcelé les parents du garçonnet pendant des années. Pire, elle serait même celle qui a tenu le stylo ayant noirci la lettre de revendication du meurtre. « J’espère que tu mourras de chagrin le chef... », commençait cette missive.
Pour en parvenir à cette conclusion, Dominique Brault a fait appel à une nouvelle technique d’analyse en écriture : la stylométrie. Contestée, controversée en France, cette science se base sur l’analyse du style d’écriture, du vocabulaire, de la syntaxe et même de la ponctuation d’un texte afin d’en identifier son auteur. Dans le dossier du petit Grégory, les experts ont donc comparé 24 lettres du ou des corbeaux avec les écrits personnels de quatre protagonistes du dossier. Ici une lettre d’amour envoyée par Bernard Laroche à sa femme. Là, une carte postale écrite par Jacqueline Jacob...
Et leur conclusion est quasi sans appel. « Il y a une forte probabilité » que Jacqueline Jacob soit l’autrice de plusieurs lettres anonymes. Et la même « forte probabilité » qu’elle soit à l’origine de la lettre de revendication envoyée le 16 octobre 1984, soit le jour du crime. « [Les analyses] soutiennent très fortement l’hypothèse que Jacqueline Jacob a rédigé la revendication anonyme du crime par courrier », note ainsi l’arrêt de la chambre de l’instruction.
Un crime qui n’existait pas en 1984 et la question de la prescription qui va se poser.
Dans sa besace accusatrice, Dominique Brault n’a pas que ces fameuses expertises en stylométrie. Il a accumulé d’autres indices permettant, selon lui, la mise en examen de la quadragénaire. Le parquet général, lui, n’a pas la même analyse et s’était prononcé contre ce supplément d’informations.
Sans doute parce que le parquet général sait bien qu’un vaste débat juridique va s’ouvrir autour de cette question. « L’association de malfaiteurs criminelle » n’existait pas dans le Code pénal en 1984 lorsque le petit Grégory a été tué. Comment dès lors poursuivre Jacqueline Jacob pour ce chef ? Les avocats de la mise en cause s’insurgent : « Il convient de rappeler le principe criminel selon lequel il ne peut y avoir ni infraction, ni peine sans qu’un texte ne les prévoie », indiquent Frédéric Berna, Stéphane Giurianna et Alexandre Bouthier dans un communiqué commun.
Mais la chambre de l’instruction de Dijon a, évidemment, fait ses recherches, de son côté. Et elle s’est aperçue qu’à l’époque des faits, l’article 265 du Code pénal réprimait bien « l’association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ». Sauf que celui-ci était puni d’une peine délictuelle et pas criminelle. « Dès lors, la question de la prescription délictuelle se posera nécessairement... », poursuivent donc les avocats de Jacqueline Jacob.
Mais, la justice n’en est pas encore là. Auparavant, elle entend bien interroger Jacqueline Jacob et la confronter à tous les éléments qu’elle a accumulés à son encontre depuis des années. Il lui faudra sans doute de la patience : en 2017, lors de sa garde à vue, la grand-tante du petit Grégory avait refusé de répondre aux questions et invoqué son droit au silence. Cette fois, son interrogatoire devrait être mené par le président Dominique Brault. Il devrait avoir lieu dans les prochains mois.
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