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N2314B34
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le 23 Mai 2025
Mots clés : collectivités • assurances • émeutes urbaines • catastrophes naturelles • dotation de solidarité
Devant la multiplication des phénomènes naturels (tempêtes, épisodes de sécheresse) et des violences urbaines, les assureurs, échaudés par l’ampleur des indemnisations à verser, ont de plus en plus tendance à refuser d’indemniser les petites et moyennes communes. Celles-ci, devant des franchises d’un montant effrayant, se retrouvent en difficulté, voire même dans l’impossibilité d’assurer certains bâtiments communaux, dès lors impossibles à rebâtir en cas de nouveaux sinistres. Pour tenter d’esquisser une amorce de solution, Lexbase a interrogé sur ce sujet Guillaume Gauch, avocat associé et Romain Millard, avocat, Selas Seban & Associés*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les difficultés concrètes rencontrées par les collectivités pour s'assurer ?
Guillaume Gauch et Romain Millard : Entre 2015 et 2023, la période avait été relativement favorable aux collectivités en matière d’assurance, avec peu de difficultés pour trouver des cocontractants et des dépenses d’assurance qui augmentaient globalement moins vite que l’inflation.
Au contraire, l’année 2023, marquée par la crise inflationniste, les émeutes urbaines de l’été et de nombreux sinistres environnementaux, a connu un brutal retournement de situation qui perdure depuis lors.
Ainsi, s’agissant des collectivités qui ont déjà un contrat d’assurance, nombre d’entre elles font état d’au moins un problème important d’exécution : dégradation de la relation avec l’assureur, refus d’indemnisation ou différends sur le montant de l’indemnité et, surtout, forte augmentation des franchises et/ou des primes imposée par l’assureur à l’occasion de la négociation d’un avenant. Ces problèmes d’exécution peuvent même aller jusqu’à la résiliation unilatérale du contrat par l’assureur, à laquelle les collectivités ne peuvent s’opposer et dont elles peuvent seulement retarder la prise d’effet pour un motif d’intérêt général durant le temps nécessaire à la passation d’un nouveau contrat, dans la limite de douze mois [1].
S’agissant des collectivités qui cherchent à s’assurer, elles sont de plus en plus nombreuses à être confrontées, lorsqu’elles lancent des appels d’offres, à l’absence de candidats ou à des offres présentant des conditions inacceptables.
Résultat : de nombreuses collectivités ont vu les conditions de leur couverture assurantielle se dégrader et quelques-unes – environ 1 500, selon l’Association des maires de France – se retrouvent sans couverture. Ce sont les communes qui sont affectées au premier chef par ces difficultés, ce qui s’explique par le fait qu’elles détiennent l’essentiel du patrimoine des collectivités et qu’elles supportent en conséquence la majorité des dépenses publiques locales d’assurance.
Lorsqu’elles ne trouvent aucune solution, les collectivités n’ont d’autre choix que de s’auto-assurer.
Certes, l’auto-assurance est, dans la plupart des cas, autorisée pour les collectivités, à la différence des personnes privées. Cependant, la loi impose la souscription d’une assurance responsabilité civile dans certains domaines (véhicules terrestres à moteur, centres de vacances, de loisirs et groupements de jeunesse, établissements recevant des enfants inadaptés ou handicapés, établissements chargés de la formation professionnelle alternée de mineurs, épreuves sportives sur la voie publique, remontées mécaniques) et la méconnaissance de ces obligations peut générer un risque pénal.
Les causes de ces difficultés assurantielles sont multiples : un manque de concurrence sur le marché de l’assurance des collectivités territoriales, des risques à assurer de plus en plus nombreux et coûteux (risques environnementaux, violences sociales, attaques cyber…), un manque de connaissance par les collectivités de leur propre exposition aux risques et, partant, des difficultés pour elles à définir leurs besoins.
Ces constats ont été dressés de manière concordante au cours de travaux menés, d’une part, par la commission des finances du Sénat [2] et, d’autre part, à la demande du Gouvernement [3], ainsi que par la Cour des comptes [4]. À cet égard, il en ressort un manque de données consolidées à l’échelle nationale sur les conditions d’assurances des collectivités.
Lexbase : Comment compte y répondre l'État ?
Guillaume Gauch et Romain Millard : Le 25 avril 2025, l’État a signé avec France Assureurs (fédération française de l’assurance) et les associations d’élus locaux une charte d’engagement pour un plan national d’actions « PACT 25 » dont l’objectif est le suivant : « plus aucune collectivité territoriale en France ne doit se retrouver en situation involontaire de défaut d’assurance ».
Ce plan comprend une série d’engagements à la charge des différentes parties prenantes, certains étant précis et opérationnels, d’autres relevant davantage de déclarations d’intention.
Du côté du Gouvernement, trois mesures concrètes ont été annoncées pour les prochains mois.
La première mesure sera la mise à jour d’ici fin juin 2025 du guide pratique de passation des marchés publics d’assurances des collectivités locales, qui date de 2008. L’objectif sera d’aider les collectivités à identifier et exprimer leurs besoins en matière d’assurance et de développer une compréhension partagée avec les assureurs des possibilités offertes par le code de la commande publique, afin que les appels d’offres permettent à ces derniers de proposer aux collectivités les solutions les plus adaptées.
La deuxième mesure sera l’adoption d’un décret visant à plafonner le mécanisme de modulation à la hausse des franchises « catastrophe naturelle », en fonction du nombre de reconnaissances au cours des cinq dernières années pour les biens implantés dans des communes dotées de plan de prévention des risques naturels (PPRN).
La troisième mesure sera l’adoption d’un autre décret afin, d’une part, de corriger l’article D. 125-5-7 du Code des assurances N° Lexbase : L5150MGT de sorte que le montant de la franchise catastrophe naturelle ne soit plus obligatoirement aligné sur le montant de franchise le plus élevé figurant au contrat pour les mêmes biens et, d’autre part, que cette franchise soit plafonnée pour les petites communes et s’élève par défaut à une fraction du montant des dommages.
Néanmoins, le calendrier d’adoption de ces deux décrets n’a pas encore été précisé.
Lexbase : Ces réponses seront-elles suffisantes, notamment pour les collectivités qui se trouvent déjà sans solution ?
Guillaume Gauch et Romain Millard : Les mesures précitées ont davantage vocation à réduire les risques de futurs défauts de couverture assurantielle qu’à régler les situations existantes.
Pour venir en aide aux collectivités qui font d’ores et déjà face à une absence de solution ou, plus largement, à des difficultés assurantielles, le PACT 25 prévoit la création d’ici la fin du premier semestre 2025 d’une cellule d’accompagnement et d’orientation, dénommée « CollectivAssur », placée auprès du Médiateur de l’assurance et financée par France Assureurs.
Cette cellule aura pour mission de faire un diagnostic flash de la situation des collectivités qui la solliciteront, puis de les orienter soit vers un parcours « urgence » (conseils auprès d’un groupe d’intermédiaires ou, en cas de refus d’assurance sur une garantie obligatoire, saisine du bureau central de tarification), soit vers un parcours « sécurisation » (mise en relation avec les interlocuteurs nationaux ou locaux appropriés pour affiner le diagnostic (inventaire du patrimoine, cartographie des risques), élaborer des recommandations en matière de prévention et de protection).
Par ailleurs, CollectivAssur sera chargée d’identifier et d’animer un réseau de référents au niveau national et départemental, au moyen de webinaires et de rencontres avec les acteurs à l’échelle départementale (préfectures, associations locales d’élus, référents France Assureurs, antennes des agences…). Elle aura également une fonction d’observatoire, par la production d’un rapport annuel et une fonction d’alerte en cas de perturbations sur le marché assurantiel.
En parallèle, les assureurs se sont engagés, de leur côté, à « proposer des contrats d’assurance adaptés aux besoins des collectivités, dans le cadre du nouveau dialogue promu par le guide pratique » et à « faciliter la recherche de solutions pour les collectivités qui rencontrent des difficultés et à accentuer le dialogue avec les collectivités dans l’élaboration des contrats d’assurances ».
Enfin, il faut souligner qu’une partie de la solution dépendra aussi des collectivités elles-mêmes. En ce sens, elles se sont notamment engagées, par la voix de leurs associations représentatives, à inventorier de manière plus précise et régulière leur patrimoine, afin de faciliter le calibrage des contrats d’assurance pouvant leur être proposés, en mettant en œuvre des mesures de prévention des risques et en améliorant la formation des élus et des services sur le sujet.
Lexbase : À plus long terme, des ajustements normatifs et réglementaires seront-ils nécessaires ?
Guillaume Gauch et Romain Millard : Le PACT 25 prévoit quelques évolutions législatives, d’une ampleur assez limitée.
Tout d’abord, le Gouvernement s’est engagé à soutenir l’inscription dans la loi d’un délai de prévenance de six mois que devront respecter les assureurs avant de pouvoir résilier leur contrat avec une collectivité territoriale. Cette mesure est d’ores et déjà intégrée au projet de loi de simplification de la vie économique, adopté par le Sénat et en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Ensuite, les débats sur le projet de loi de finances pour 2026 devraient être l’occasion d’une réforme de la dotation de solidarité (DSEC) en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques. Les objectifs de cette réforme sont les suivants : assouplir et harmoniser la définition des biens non assurables, simplifier les modalités de calcul, raccourcir les délais d’indemnisation et réévaluer la notion de construction à l’identique, dans une optique d’adaptation au changement climatique.
Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé qu’il allait constituer auprès de lui un groupe de contact national permanent afin d’observer les tendances du marché assurantiel, suivre la mise en œuvre de ce PACT 25 et formuler régulièrement des recommandations, en particulier en matière de réassurance des risques sociaux exceptionnels. Ces recommandations pourraient ensuite donner lieu à des évolutions normatives supplémentaires.
Pour le reste, le PACT 25 ne prévoit pas de réformer le Code de la commande publique, privilégiant une action à droit constant. Le PACT 25 n’a pas non plus repris la proposition du « rapport Husson » de création d’un système d’indemnisation du risque d’émeute inspiré de celui qui existe pour les catastrophes naturelles, c’est-à-dire un système mutualisé faisant intervenir en dernier ressort la garantie de l’État. Il n’est pas non plus prévu de publication d’un cahier des clauses administratives générales (CCAG) et d’un cahier des clauses techniques générales (CCTG) spécifiques aux marchés d’assurance, bien que cela avait été proposé par le « rapport Chrétien-Dagès ».
Cela étant, des évolutions normatives pourraient venir directement de l’Union Européenne, à l’occasion de la révision des directives relatives à la commande publique datant de 2014, qui a été initiée par la Commission à la fin de l’année 2024 et qui devrait aboutir dans le courant de l’année 2026. En effet, des propositions ont été formulées afin d’assouplir les obligations pesant sur les acheteurs pour la souscription de leurs polices d’assurance, notamment par la Fédération des associations européennes de gestion des risques (FERMA) [5]. Reste à voir dans quelle mesure ces propositions seront reprises par le législateur européen, puis transposées en droit national.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
[1] CE, 12 juillet 2023, n° 469319 N° Lexbase : A78231AY.
[2] J.-F. Husson, Rapport d'information fait par la mission d’information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, Sénat.
[3] A. Chrétien et J.-Y. Dagès, L’assurabilité des biens des collectivités locales et de leur groupement : état des lieux et perspectives, rapport, avril 2024.
[4] CRC Bourgogne-Franche-Comté audit flash .
[5] FERMA, Position sur la révision des directives européennes sur les marchés publics, 11 mars 2025.
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