Lecture: 7 min
N2072B37
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Raphaël Barazza et Julien Nava, Avocats à la Cour
le 17 Avril 2025
Le 6 février 2024, la Cour d’appel de Lyon a rendu un arrêt parfaitement motivé, devenu définitif, en matière de remboursement de droits antidumping institués par des Règlements européens finalement rendus invalides.
La Cour d’appel opère ici un rappel essentiel quant à l’importance du respect de la procédure de prise en compte de la dette douanière et condamne ainsi les Douanes au remboursement de plus de 400 000 euros de droits perçus indûment auprès d’une grande entreprise importatrice de chaussures à dessus de cuir originaires de Chine et du Vietnam.
Cette décision met en lumière l'importance fondamentale de la procédure de prise en compte de la dette douanière dans le cadre du droit européen.
Pour bien comprendre cette affaire, il est nécessaire de connaître la chronologie des règlements européens concernés :
Ce droit est devenu définitif pour une durée de deux ans après l’adoption par le Conseil de l’Union d’un Règlement (CE) n° 1472/2006, en date du 5 octobre 2006 N° Lexbase : L8044HX9.
Ces mesures ont à nouveau été étendues par le Conseil pour une période de 15 mois par un Règlement d'exécution (UE) n° 1294/2009, du 22 décembre 2009 N° Lexbase : L1528IGP.
Le droit antidumping en question expirant donc le 31 mars 2011.
En application de ces Règlements, la société requérante, s’est donc acquittée de droits antidumping sur la période comprise entre le 1er juin 2007 et le 31 mars 2011.
Dans ces conditions, la société requérante déposait, sur la base des articles 236 et 239 du Code des douanes communautaires – alors applicables - une demande de remboursement de la somme versée correspondant au montant des droits antidumping versés par elle entre le 1er juin 2007 et le 31 mars 2011.
À la suite de cet arrêt, la Commission reprenait l’enquête au point de l’illégalité en rétablissant les mêmes droits antidumping en adoptant donc le Règlement d'exécution (UE) n° 2016/223 du 17 février 2016 établissant une procédure d'examen de certaines demandes de statut de société opérant dans les conditions d'une économie de marché et de traitement individuel introduites par des producteurs-exportateurs chinois et vietnamiens, et exécutant l'arrêt rendu par la Cour de justice dans les affaires jointes C-659/13 et C-34/14.
Ainsi, la Cour rappelle à bon droit qu'il est de jurisprudence constante que, lorsque la CJUE déclare invalide un règlement instituant des droits antidumping, ces droits doivent être considérés comme n'étant pas légalement dus, au sens de l'article 236 du Code des douanes communautaire, et comme devant, en principe, être remboursés par les autorités douanières nationales dans les conditions prévues à cet effet.
Ce, faisant la Cour d’appel reprend à son compte le raisonnement d’un arrêt « Deichman » rendu par la CJUE en date du 15 mars 2018 rappelant notamment que : « ce n’est qu’une fois que la Commission aura mené à son terme la procédure reprise par le règlement litigieux, en réinstituant, aux taux appropriés, les droits antidumping institués par les règlements définitifs et de prolongation, que les autorités douanières nationales pourront déterminer les droits correspondants et les communiquer aux débiteurs[4] ».
Pour autant, il faut souligner que le remboursement intégral et immédiat n'est pas exigé en toutes circonstances et c'est bien à la Commission que revient le pouvoir d'adresser des injonctions aux autorités douanières pour qu'elles se conforment à l'obligation d'exécuter l'arrêt d'invalidation du Règlement [5].
Or, dans cette affaire, les autorités douanières ont omis de communiquer les droits définitifs dus par la Société demanderesse et de faire précéder cette communication d'une prise en compte, conformément aux dispositions des articles 217 et 221 de l'ancien Code des douanes communautaire.
Ceci a révélé l'irrégularité de la procédure et le fait que les droits payés par la Société requérante ont été indûment retenus par les autorités douanières.
Un tel raisonnement est parfaitement conforme à la notion même de « prise en compte » d'une dette douanière, qui doit être calculé par les autorités douanières dès qu'elles disposent des éléments nécessaires et faire l'objet d'une inscription par celles-ci dans les registres comptables ou sur tout autre support qui en tient lieu (au sens même de l’ex-article 217 du Code des douanes communautaire).
Ce montant devant faire ensuite l’objet d’une « communication » au débiteur selon des modalités appropriées dès qu'il a été pris en compte.
La Cour d’appel de Lyon rappelle ici un acquis procédural fondamental pour les assujettis et de manière parfaitement motivé eu égard au Droit de l’Union : « pour être recouvrés par la voie de l'avis de mise en recouvrement , les droits qui en font l'objet doivent avoir été régulièrement communiqués au débiteur et que, pour être régulière, cette communication doit avoir été précédée de leur prise en compte [6] ».
Ainsi, la jurisprudence française est en droite ligne avec la jurisprudence européenne et le respect de la chronologie suivante est impératif : la communication des droits doit avoir été précédée de leur prise en compte.
À défaut, les droits perçus encourent l’annulation.
[1] CJUE, 2 février 2012, aff. C-249/10 P, Brosmann Footwear (HK) Ltd c/ Conseil de l'Union européenne N° Lexbase : A6674IBS et CJUE, 15 novembre 2012, aff. C-247/10 P, Zhejiang Aokang Shoes Co. Ltd c/ Conseil de l'Union européenne N° Lexbase : A8695IWX.
[2] CJUE, 4 février 2016, aff. C-659/13 et C-34/14, C & J Clark International Ltd N° Lexbase : A5326PAI.
[3] En méconnaissance des exigences visées à l'article 2, paragraphe 7, point b), et à l'article 9, paragraphe 5, du Règlement (CE) n° 384/96, du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne
[4] CJUE, 15 mars 2018, aff. C-256/16, Deichmann SE, point 84 N° Lexbase : A8326XGH ; CJUE, 8 septembre 2022, aff. C-507/21 P, Puma SE c/ Commission européenne, point 84 N° Lexbase : A24018HE.
[5] CJUE, 15 mars 2018, aff. C-256/16, Deichmann SE, points 59, 60, 70 et 71 N° Lexbase : A8326XGH ; CJUE, 19 juin 2019, aff. C-612/16, C & J Clark International Ltd N° Lexbase : A7783ZEY ; CJUE, 11 janvier 2024, aff. C-517/22 P, Eurobolt BV c/ Commission européenne N° Lexbase : A20862DM.
[6] CJCE, 23 février 2006, aff. C-201/04, Belgische Staat c/ Molenbergnatie NV N° Lexbase : A1457DNB ; CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-264/08, Belgische Staat N° Lexbase : A6688EQR ; Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-10.019 et 19-14.472, F-D N° Lexbase : A39484XI.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492072