Le Quotidien du 1 avril 2025 : Immobilier et urbanisme

[Jurisprudence] Les conditions de légalité d’un règlement municipal soumettant à autorisation la location de locaux commerciaux en tant que meublés de tourisme

Réf. : CAA Paris, 1ère ch., 6 février 2025, n° 24PA00475 N° Lexbase : A69476TH

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N1994B3A

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par Valérie Guéguen, Lab Cheuvreux

le 31 Mars 2025

Mots clés :  règlement municipal • locaux commerciaux • meublés de tourisme • changement de destination • régime d’autorisation préalable

Par une décision rendue le 6 février 2025, la cour administrative d’appel de Paris, statuant sur un appel à l’encontre d’un jugement du tribunal administratif de Paris, est venue préciser le régime d’autorisation destiné à encadrer la transformation des locaux commerciaux en meublés de tourisme.


 

L’association des commerçants accueillants demande au tribunal administratif de Paris d’annuler la délibération du 15 décembre 2021 du Conseil de Paris portant règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme. La requête est rejetée par un jugement rendu le 30 novembre 2023. L’association requérante relève appel du jugement soutenant notamment que le règlement municipal méconnaît l’article R. 324-1-5 du Code du tourisme N° Lexbase : L8554L4L en interdisant totalement la location de meublés de tourisme sur les linéaires commerciaux et artisanaux faisant l’objet d’une protection au plan local d’urbanisme et que les critères prévus sont dépourvus de tout élément permettant de connaître les modalités de leur appréciation, en contrariété avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.  

L’affaire portée devant la cour administrative d’appel de Paris est l’occasion de revenir sur le dispositif de régulation des transformations des locaux commerciaux en meublés touristiques.

Avant d’étudier plus précisément les apports de cette décision, il convient de revenir sur les origines de ce dispositif ainsi que sur les conditions de sa mise en œuvre.

I. Les origines du dispositif d’encadrement de la transformation de locaux commerciaux en meublés touristiques

Depuis la loi « ALUR » de 2014 (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L6496MSE), les communes situées en zone tendue peuvent définir, au titre de la législation sur les changements d’usage des locaux d’habitation, un régime d’autorisation temporaire auquel doivent se soumettre les personnes physiques ou morales qui entendent louer un local à usage d’habitation en tant que meublé de tourisme (CCH, art. L. 631-7-1 A N° Lexbase : L2375IBL).

Or, les locaux à usage commercial échappaient à cette législation. Ainsi, pour combler ce vide juridique, l’article 55 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique N° Lexbase : L6378MSZ, est venu compléter l’arsenal juridique dont disposent les communes pour réguler l’activité de location en meublés touristique.

Il autorise certaines communes à soumettre à une autorisation la location en tant que meublé de tourisme de locaux commerciaux, afin de protéger l’environnement urbain et de préserver l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services sur leur territoire.

Ce dispositif est prévu à l’article L. 324-1-1 IV bis du Code du tourisme N° Lexbase : L5912MRE qui dispose que « Sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d'enregistrement prévue au III, une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d'un local qui n'est pas à usage d'habitation, au sens de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation, en tant que meublé de tourisme.

Cette autorisation est délivrée au regard des objectifs de protection de l'environnement urbain et d'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, par le maire de la commune dans laquelle est situé le local. (…) ».

Sont en particulier visés les locaux commerciaux dont la définition, précisée par l’article R. 324-1-4 du Code du tourisme N° Lexbase : L8553L4K, indique que ce sont les locaux inclus dans des constructions dont la destination est le commerce et les activités de service au sens du 3° de l’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L2693MH9.

La mise en œuvre de ce dispositif suppose que la commune ait au préalable soumis à autorisation les changements d’usage des locaux destinés à l’habitation et à enregistrement toute location de meublés touristiques.

Ce nouveau dispositif est entré en vigueur le 1er juillet 2021. Or, pour lutter contre le nombre excessif de transformations de commerces en meublés, la Ville de Paris a adopté, le 15 décembre 2021, un règlement municipal prévoyant l’application d’un tel régime d’autorisation et fixant ses conditions.

II. Les conditions de la mise en œuvre de ce dispositif

Comme cela a été rappelé précédemment, ce dispositif s’applique aux seules communes classées en zone tendue et qui font déjà l’objet d’une réglementation du changement d’usage des locaux d’habitation sur le fondement des dispositions du Code de la construction et de l’habitation.

L’autorisation est délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé le local au regard des objectifs de protection de l’environnement urbain et d’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services (article L. 324-1-1 IV bis du Code du tourisme).

Dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’État du 31 décembre 2024 n° 498468 N° Lexbase : A41506PE, le rapporteur public Nicolas Agnoux rappelle que la prise en compte de la protection de l’environnement urbain ne saurait fonder un refus d’autorisation que si et dans la mesure où l’utilisation du local en tant que meublé de tourisme, par les usages qu’il suscite ou les aménagements qu’il implique, est susceptible de nuire à cet objectif.

Or, dans les travaux préparatoires de la loi « Le Meur » du 19 novembre 2024 (loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024, visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale N° Lexbase : L6356MS9), laquelle est venue compléter le dispositif en y intégrant cette fois la transformation des bureaux en locaux de tourisme, une description des nuisances pouvant résulter de l’utilisation du local en meublé de tourisme a été effectuée par les parlementaires, laquelle comprend notamment la disparition complète dans certaines rues parisiennes de commerces de proximité ayant laissé place à des façades grisées et floutées en rez-de-chaussée, les nuisances sonores, voire des bouleversements de l’offre commerciale ou de l’équilibre social d’un quartier liés à une sur-fréquentation touristique.

Par conséquent, la compétence du maire pour autoriser ou non les locations s’exerce dans le cadre réglementaire fixé par la délibération du conseil municipal, afin de tenir compte des caractéristiques urbaines locales.

En effet, en application des dispositions de l’article R. 324-1-5 du Code du tourisme, la délibération doit préciser, sur le fondement d'une analyse de la situation particulière de la commune :

les principes de mise en œuvre des objectifs de protection de l'environnement urbain et d'équilibre entre emploi, habitat, commerces et services ;

les critères utilisés pour délivrer l'autorisation prévue au même alinéa. Ces critères peuvent être mis en œuvre de manière différenciée sur le territoire de la commune, en fonction de la situation particulière de certains quartiers ou zones.

C’est donc à l’organe délibérant de la collectivité territoriale, le conseil municipal, qu’il appartient, sous le contrôle du juge administratif, de préciser, dans un règlement, les critères de mise en œuvre de l’objectif de protection de l’environnement urbain en tenant compte des spécificités locales de la commune.

C’est dans ce cadre que la Ville de Paris a adopté un règlement municipal prévoyant un régime d’autorisation et fixant ses conditions. Saisie par une association regroupant des propriétaires ou bailleurs de locaux commerciaux, la Cour administrative d’appel de Paris contrôle les critères définis par la Ville pour autoriser la transformation d’un commerce en meublé de tourisme. La juridiction d’appel apporte ainsi un nouvel éclairage sur l’application de l’article R. 324-1-5 du Code du tourisme et sur la nature des critères définis. 

III. Les précisions apportées par la décision de la cour administrative sur les critères définis pour autoriser la transformation d’un commerce en meublé de tourisme

La cour refuse tout d’abord de transmettre une question prioritaire relative à la constitutionnalité du IV bis de l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme.

Selon elle, le législateur, qui poursuivait les objectifs d’intérêt général de protection de l’environnement urbain et d’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, a « entendu permettre aux communes marquées par d’importantes tensions sur le marché immobilier de lutter contre la pénurie de locaux commerciaux ainsi que de prévenir les atteintes à l’environnement urbain qui pourraient résulter d’une concentration excessive de locations touristiques dans certains quartiers, notamment au regard de la diversité et de la physionomie des commerces et de la qualité de vie des habitants ».

En créant un régime d’autorisation dont la mise en œuvre est facultative et réservée aux communes mettant en œuvre la procédure d’enregistrement des meublés de tourisme et prévoyant un examen par le maire de chaque demande au regard des objectifs visés, la juridiction d’appel estime qu’il n’est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre.

Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue de caractère sérieux.

La cour confirme que la Ville de Paris est bien en droit de soumettre à autorisation la location d'un local commercial en tant que meublé de tourisme, compte tenu du développement important des meublés de tourisme à Paris.

La cour confirme ensuite que la Ville peut interdire la location des locaux à rez-de-chaussée situés sur un linéaire commercial et artisanal faisant l’objet d’une protection au PLU dès lors que l’interdiction « n'a pas par elle-même pour effet d'interdire toute possibilité d'installer des meublés de tourisme dans de larges secteurs et répond à l'objectif d'intérêt général de protection de la commercialité de certains quartiers et artères où celle-ci est menacée, constitue une mise en œuvre différenciée en fonction de la situation particulière de certains quartiers ou zones au sens de l'article R. 324-1-5 du Code du tourisme et n'est pas disproportionnée (…) ».

De même, elle estime que la Ville peut interdire la location en cas de nuisances excessives, compte tenu des caractéristiques envisagées du meublé de tourisme précisées à l’article 2 du règlement municipal (surface, nombre de pièces, nombre maximum de personnes accueillies et moyens d’accès, etc.).

La requérante critique ensuite le caractère trop imprécis des critères mis en place pour décider d’accepter ou de refuser une demande, en application des dispositions de l’article R. 324-1-5 du Code du tourisme. Ces critères d’appréciation n’étant accompagnés, selon elle, d’aucun indicateur chiffré suffisamment précis et objectif.

Le rapporteur public, dans ses conclusions, considère que la délibération « a essayé d’objectiver le plus possible les critères d’examen des demandes d’autorisation et de définir le mode de calcul des indicateurs de densité ». Il estime que les juges d’appel pourraient « considérer que la délibération est, en l’espèce, suffisamment précise sans qu’il soit nécessaire de quantifier plus précisément ces densités ».

Ce n’est pas ce que la cour a jugé. Celle-ci annule la condition selon laquelle la transformation du local ne doit pas contribuer « à rompre l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services ». En effet, une telle réglementation, qui est soumise aux exigences du droit européen, doit reposer sur des critères clairs, non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance, transparents et accessibles permettant aux opérateurs de prévoir si leur demande peut être acceptée ou non.

Elle considère que le règlement ne précisait pas comment pouvait être apprécié cet équilibre et donnait toute une liste de critères sans que l’on puisse savoir comment les services de la Ville pourraient en faire application.

Ainsi, la délibération du Conseil de Paris est annulée en tant qu’elle adopte les 3èmes à 10ème alinéas de l’article 2 du règlement municipal fixant les conditions de délivrance de l’autorisation, qui sont divisibles des autres dispositions du règlement.

Le Conseil de Paris pourra soit apporter des précisions, le cas échéant quantitatives, sur le maniement des critères, soit expliciter la façon dont est appréciée la rupture de « l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services » dans une délibération sur ce point. Dans l’attente d’une nouvelle délibération, les autres conditions fixées par le règlement continuent de pouvoir être opposées.

Enfin, la cour administrative d’appel censure la disposition prévoyant l’entrée en vigueur immédiate de la délibération.

En effet, comme le rappelle le rapporteur public, JF Gobeill, l’article L. 221-5 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L1829KN3 prévoit que l’autorité administrative est tenue d’édicter des mesures transitoires lorsque l’application immédiate d’une nouvelle réglementation entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause.

L’entrée en vigueur immédiate de la délibération a ainsi pour effet de soumettre l’activité de location en tant que meublé de tourisme des locaux commerciaux qui en sont l’objet à un nouveau régime d’autorisation préalable.

Cela rend ainsi toute poursuite d’une telle location, débutée auparavant, illégale et, de ce fait, porte une « atteinte excessive aux intérêts des acteurs économiques en cause », compte tenu du délai indispensable de trois mois pour obtenir une autorisation.

La cour décide que la réglementation ne s’applique que depuis le 7 avril 2022 et non le 7 janvier 2022, afin de respecter le délai de trois mois nécessaires pour que les opérateurs puissent déposer leur dossier de demande d’autorisation.

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