Réf. : Cass. com., 29 janvier 2025, n° 23-19.341, F-B N° Lexbase : A38956S3
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N1746B33
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par Aurélie Dardenne, Maître de conférences, Université de Lorraine
le 14 Mars 2025
Mots-clés : contrats spéciaux • contrat de mandat • vente d’espace publicitaire • annonceur • action directe en paiement • loi « Sapin »
Par un arrêt en date du 29 janvier 2025, promis aux honneurs du Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur les exigences du contrat de mandat dans le cadre des opérations d’achats d’espaces publicitaires. Cette décision mérite une attention particulière dans la mesure où elle combine les règles de différents contrats spéciaux à savoir le contrat de mandat et la vente d’espaces publicitaires.
En outre, elle apporte des éclaircissements bienvenus sur l’application de la loi du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques et notamment sur la portée du formalisme du contrat de mandat dans la situation particulière de ventes d’espaces publicitaires.
Les faits de l’espèce sont relativement simples. Un groupement d’intérêt économique, GIE, agissant en qualité de mandataire de trois sociétés spécialisées dans le domaine de la publicité en matière de transports en commun, a conclu deux contrats de vente d’espaces publicitaires avec la société Agence OA, agissant elle-même en qualité de mandataire de l’annonceur. Cette dernière a agi en paiement contre son contractant mais n’a pas obtenu satisfaction. Le GIE a alors directement porté une action à l’encontre de l’annonceur afin d’obtenir le règlement des prestations réalisées.
Cette demande en paiement a été rejetée par la cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 26 mai 2023, au motif que l’article 20 de la loi n° 92-122 du 29 janvier 1993 N° Lexbase : L8653AGL exige que le mandat dans le cadre de ventes d’espace publicitaires soit conclu par écrit. En l’espèce, les juges ont estimé qu’en ne rapportant pas l’existence d’un contrat écrit entre l’intermédiaire, à savoir la société Agence OA, et l’annonceur, le GIE n’établissait pas l’existence de sa créance. Dès lors, sa demande en paiement devait être refusée puisque la situation était en contradiction avec les dispositions impératives de la loi du 29 janvier 1993 s’appliquant au cas particulier des contrats de mandat souscrits dans le cadre d’une opération globale d’achat d’espaces publicitaires.
Il convient de relever que ce débat en apparence théorique masque l’application pratique d’une action directe entre le vendeur d’espaces publicitaires et l’annonceur.
Le GIE se pourvoit en cassation en invoquant la contrariété de la décision d’appel avec les articles 1984 N° Lexbase : L2207ABD et 1998 N° Lexbase : L2221ABU du Code civil, relatifs à la formation et à l’exécution du contrat de mandat. De manière plus précise, le GIE avance l’argument selon lequel l’établissement de l’existence de sa créance, et corrélativement la preuve du contrat de mandat unissant l’intermédiaire et l’annonceur, peut être faite par tout moyen.
Par un raisonnement fondé à la fois sur le droit commun du mandat et le droit spécial en matière de vente d’espaces publicitaires, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Au visa des articles 20 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, 1984 et 1998 du Code civil, elle considère que le vendeur d’espaces publicitaires bénéficie d’une action directe en paiement contre l’annonceur s’il justifie du principe de sa créance et des pouvoirs du mandataire sans qu’une telle exigence ne lui impose de rapporter la preuve écrite du contrat de mandat entre ce dernier et l’intermédiaire.
La décision commentée présente un intérêt en consacrant l’existence d’une action directe en paiement entre le vendeur d’espaces publicitaires et l’annonceur (I), et en affinant les conditions d’application de cette action notamment au regard de la preuve (II).
I. La consécration d’une action directe en paiement entre le vendeur d’espaces publicitaires et l’annonceur
Dans un premier temps, les juges de la Cour de cassation rappellent la faculté pour le vendeur d’espaces publicitaires de mettre en œuvre une action directe en paiement à l’égard de l’annonceur. Mécanisme contraire à l’effet relatif des contrats, l’action directe en paiement en matière de ventes d’espaces publicitaires trouve son fondement dans la loi du 29 janvier 1993 (A). Elle a par ailleurs d’ores et déjà admis en jurisprudence (B).
A. L’action directe fondée sur la loi du 29 janvier 1993
L’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 prévoit que la facturation effectuée par le vendeur d’espaces publicitaires doit être établie à l’égard de l’annonceur quand bien même l’achat d’espaces ou de services publicitaires ne serait pas « directement par l'annonceur au vendeur ». Le texte légal souvent perçu comme étant lacunaire [1] n’envisage aucune règle particulière quant aux modalités de paiement.
En pratique, deux situations particulières peuvent se retrouver : l’annonceur a la possibilité de s’exécuter directement en payant le vendeur d’espaces publicitaires, ou alors c’est l’agence de publicité qui est tenue de procéder au paiement en vertu du contrat de mandat. Cette seconde faculté est communément admise tant par la doctrine [2] que par la jurisprudence [3].
En tout état de cause, seul l’annonceur reste débiteur du paiement du prix. En effet, l’absence de caractère libératoire du paiement effectué par l’annonceur entre les mains de l’agence a été consacrée en jurisprudence dans la situation particulière de défaillance de l’intermédiaire. Dans plusieurs arrêts, il a été ainsi reconnu que si l’annonceur s’est exécuté auprès de l’agence et que par la suite celle-ci n’effectue pas le paiement dû à l’égard du vendeur, l’annonceur est tenu de payer une seconde fois [4].
En ce sens, confier l’exécution du paiement à l’agence de publicité par le biais du mandat présente un risque pour l’annonceur. Ce dernier, étant considéré comme débiteur final du paiement du prix du service, s’expose à devoir régler deux fois la prestation en cas d’inexécution de l’agence de publicité.
Dès lors, ce statut de débiteur final reconnu à l’annonceur justifie la possible mise en place d’une action directe entre le vendeur et celui-ci.
En l’espèce, il est fait état d’une impossibilité pour l’agence intermédiaire d’obtenir le paiement de la créance à l’égard de l’annonceur. En effet, cette dernière avait agi en paiement auprès du débiteur final sans obtenir le succès escompté. Dès lors, en l’absence d’exécution, c’est le GIE qui a entrepris de solliciter le paiement directement auprès de l’annonceur, usant ainsi de l’action directe susmentionnée.
Or, ce n’est pas tellement la mise en œuvre de cette action qui a entraîné le rejet de la demande par les juges du fond mais davantage des questions d’ordre probatoire. Dès lors, force est de constater que l’action directe en paiement dans cette situation particulière de contrat de vente d’espaces publicitaires est ancrée dans la pratique et approuvée par la jurisprudence. La décision commentée s’inscrit d’ailleurs dans un courant jurisprudentiel où cette faculté a été à plusieurs reprises mise en lumière.
B. Un arrêt reprenant une solution établie en jurisprudence
De manière occasionnelle la jurisprudence a eu à se prononcer sur l’admission de cette action directe et en a consacré le principe.
Ce sont d’abord les juges du fond qui ont admis une action directe en paiement exercée dans l’hypothèse où l’annonceur s’était d’ores et déjà acquitté du paiement entre les mains de l’agence, tombée par la suite en procédure collective [5]. Ce jugement illustre parfaitement le risque susmentionné de double paiement, et invite par conséquent l’annonceur à s’acquitter directement de sa dette à l’égard du créancier originaire.
Dans un second temps, c’est à la Cour de cassation qu’est revenue la possibilité de consacrer l’action directe en paiement entre l’annonceur et le vendeur d’espaces publicitaires [6]. Les faits en cause étaient relativement proches de ceux de l’espèce précédemment mentionnée, à savoir un annonceur avait donné mandat à une agence publicitaire pour qu’elle conclut en son nom et pour son compte des contrats d’achats d’espaces publicitaires. L’annonceur s’était acquitté de son obligation de paiement auprès de l’agence intermédiaire qui s’était quant à elle placée en défaut à l’égard du vendeur. Ce dernier agissait en paiement de sa créance à l’égard du débiteur initial. Cette faculté lui avait été refusée par la cour d’appel de Versailles qui invoquait le fait que le vendeur avait transmis sa facture à l’agence intermédiaire et non à l’annonceur, contrairement à ce qui est prévu par l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993. De ce fait, il perdait automatiquement le droit de demander le paiement à ce dernier. Ce raisonnement est censuré par les hauts magistrats qui consacrent l’existence d’une action directe fondée sur le contrat de mandat liant l’annonceur et l’agence. En outre, ces derniers considèrent également que le non-respect de l’obligation communiquer les factures à l’annonceur ne suffisait pas à faire obstacle à l’exercice de ladite action directe en paiement, conférant ainsi à cette dernière une large portée pratique.
La présente décision s’inscrit donc dans ce courant jurisprudentiel reconnaissant la mise en œuvre pratique de l’action directe en paiement fondée sur l’existence d’un contrat de mandat entre l’annonceur et l’intermédiaire. Cependant, l’arrêt commenté pose une difficulté supplémentaire ayant trait à la preuve dudit contrat fondant l’action directe.
II. La preuve du contrat de mandat entre l’intermédiaire et l’annonceur
Le second point suscitant un intérêt dans l’arrêt étudié porte sur les modalités de preuve du contrat de mandat conclu entre l’annonceur et l’intermédiaire. Si la loi du 29 janvier 1993 semble poser le principe d’un écrit, dont la portée pose question (A), la décision commentée s’en éloigne en considérant que la preuve de l’existence dudit contrat peut être faite par tout moyen (B).
A. Le principe d’un écrit formulé par l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993
L’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 pose un principe selon lequel le contrat de mandat accompagnant des opérations d’achats d’espaces publicitaires et liant l’annonceur à l’intermédiaire doit être passé par écrit. Ce contrat doit entre autres contenir certaines informations obligatoires, telles que la mention des prestations devant être effectuées par les parties et la rémunération du mandataire.
En revanche, le texte présente une lacune majeure puisqu’il ne fait point mention de la sanction applicable en cas de non-respect de cette exigence d’écrit. Certains auteurs ont rapidement admis que cette règle était imposée sous peine de nullité du contrat de mandat, faisant de ce dernier un contrat formaliste. Toutefois, aucune confirmation légale ou jurisprudentielle n’attestait d’une telle lecture.
C’est justement cette carence du texte qui était exploitée par les parties au litige. En effet, la contestation de la demande de paiement du GIE était fondée sur le fait que ce dernier se prévalait d’attestations de mandat et non d’un contrat établi par écrit entre l’annonceur et l’intermédiaire. En d’autres termes, en l’absence d’un tel écrit, il fallait considérer que le principe de lien contractuel entre ces deux parties était inexistant faisant échec à la mise en œuvre de l’action directe en paiement par le vendeur.
La Cour de cassation balaye sèchement cette argumentation en relevant que l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 n’impose aucunement les formalités susmentionnées à peine de nullité du contrat de mandat. Ainsi, la méconnaissance des exigences posées par cette disposition ne peut suffire à faire obstacle à l’action directe du vendeur à l’encontre de l’annonceur. Cette position se justifie essentiellement par le fait que les mentions imposées par ce texte portent essentiellement sur la rémunération[7] de l’intermédiaire. Dès lors, la portée de cet article doit être réduite à sa finalité première à savoir la protection de ce dernier. Comme le souligne un auteur, il ne saurait en être déduit des « conséquences trop importantes sur la validité de l’opération dans son intégralité » [8]. La Cour de cassation offre donc ici une lecture pragmatique de l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 qui doit être saluée.
Si la sanction en cas de non-respect des exigences posées par la loi du 29 janvier 1993 a pu être éclaircie par les Hauts magistrats, le raisonnement était encore à ce stade incomplet. En effet, il convenait de se prononcer sur les exigences probatoires.
B. L’affirmation de la preuve par tout moyen du contrat
Dans un second temps, afin de parfaire le raisonnement juridique, il incombait à la Cour de cassation de prendre position sur les modalités de preuve du contrat de mandat. Après avoir reconnu la validité de principe de ce dernier en dépit de l’inexistence d’un écrit, il était nécessaire d’expliciter les modalités de preuve attendues par le vendeur d’espaces publicitaires pour établir la réalité de la créance dont il se prévalait.
En se référant au droit commun du mandat, et plus particulièrement, aux articles 1984 et 1998 du Code civil, la Cour de cassation exige du vendeur d’espaces publicitaires qu’il rapporte une double preuve : celle de sa créance et celle du pouvoir du mandataire. Elle poursuit son raisonnement en déduisant de la jurisprudence constante qu’une telle preuve peut être établie par tout moyen [9].
Comme l’a souligné un auteur, cette position de la Cour de cassation n’a pas de quoi surprendre et se trouve être conforme au droit commun de la preuve [10]. En effet, il est admis en jurisprudence que lorsqu’une personne doit établir l’existence d’un acte juridique dont elle n’est pas partie, elle bénéficie de l’application du régime de liberté de la preuve [11]. Ce principe résulte du fait que la preuve des faits juridiques est libre tandis que la preuve des actes juridiques est légale [12]. Or, pour le tiers à un contrat, ledit contrat constitue un fait juridique et non un acte [13]. En l’occurrence, dans le cas d’espèce, le GIE n’étant pas partie au contrat de mandat, établir l’existence de ce dernier revient à prouver un fait juridique. Dès lors, la solution retenue est conforme à la logique juridique. Elle est également satisfaisante d’un point de vue pratique dans la mesure où il se sera souvent compliqué pour le tiers à un contrat d’obtenir un écrit de celui-ci.
En l’espèce, le GIE entendait prouver l’existence de sa créance et les pouvoirs du mandataire par le biais d’attestations de mandat, ce qui paraît acceptable au vu des exigences posées par la Cour de cassation dans la présente décision, un tel document permettant à la fois d’établir l’existence de la créance et les pouvoirs du mandataire.
La solution mérite d’être saluée dans la mesure où elle est conforme aux impératifs de simplicité et de célérité de la vie des affaires. En effet, en exigeant simplement du vendeur d’espaces publicitaires qu’il prouve le principe de sa créance et le pouvoir du mandataire, elle tend à faciliter l’exercice de l’action directe qui lui reconnue. Par voie de conséquence, elle permet de rendre efficace cette faculté et de favoriser le recouvrement de la créance du vendeur.
[1] E. Chevrier, Achat d'espace publicitaire : action directe contre l'annonceur, D. 2011, p. 2534, note sous Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-24.810, F-P+B N° Lexbase : A5958HYC.
[2] T. Hasser, Contrat de publicité, Rép. Com. Dalloz, janvier 2024, n° 136.
[3] CA Versailles, 4 février 1999, JCP E 1999, n° 26, p. 1129.
[4] CA Paris, 6 octobre 1995, n° 95/12665 N° Lexbase : A5929DH3, D. 1996. IR 268 ; RJ com. 1996. 156, obs. Hassler ; CA Versailles, 4 février 1999, JCP E 1999, n° 26, p. 1129.
[5] T. Com. Nanterre, 21 octobre 1992, RJ Com. 1993, p.160, note T. Hassler.
[6] Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-24.810, F-P+B N° Lexbase : A5958HYC.
[7] C. Hélaine, Des règles du mandat confrontées à la vente d’espaces publicitaires, Dalloz actualité 14 février 2025.
[8] C. Hélaine, préc.
[9] Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-19.825, FS-P+B N° Lexbase : A2225NKM, Dalloz actualité, 24 juin 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 1588 , note A. Tehrani ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ fam. 2015. 414, obs. P. Hilt ; Cass. civ. 3, 3 octobre 2024, n° 23-13.242, F-D N° Lexbase : A927358X.
[10] C. Hélaine, préc.
[11] Cass. civ. 1, 25 novembre 1970, n° 69-10.893, publié au bulletin N° Lexbase : A9990CIT.
[12] A. Tehrani, La preuve, par le banquier dépositaire, de l'existence d'une procuration entre époux, D. 2015, p. 1588, obs. sous Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-19.825, FS-P+B N° Lexbase : A2225NKM.
[13] C. Hélaine, préc.
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