Le Quotidien du 25 février 2025 : Harcèlement

[Questions à...] Affaire « France Télécom » et harcèlement moral institutionnel - Questions à Jean-Emmanuel Ray, Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Réf. : Cass. crim., 21 janvier 2025, n° 22-87.145, FS-B+R N° Lexbase : A19746RK

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N1735B3N

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[Questions à...] Affaire « France Télécom » et harcèlement moral institutionnel - Questions à Jean-Emmanuel Ray, Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/116119857-questions-a-affaire-france-telecom-et-harcelement-moral-institutionnel-questions-a-jeanemmanuel-ray-
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par Jean-Emmanuel Ray, Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

le 05 Mars 2025

Mots-clés : harcèlement moral institutionnel • notion • sanction • politique d’entreprise • ressources humaines

L’arrêt « France Télécom », rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 21 janvier 2025, est aussi important que créatif, avec son nouveau concept de « harcèlement moral institutionnel ».

Sa portée est tout à fait considérable en droit du travail et gestion des ressources humaines, même si les premiers effets remontent au jugement du tribunal correctionnel de Paris du 20 décembre 2019, avec la condamnation à des peines de prison ferme des plus hauts dirigeants d’une entreprise de 110 000 salariés ayant mis en œuvre de très rudes méthodes pour effectuer une vaste restructuration. Grand effroi côté entreprises, avec de nombreux effets légaux et conventionnels.

Jean-Emmanuel Ray, Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à Sciences Po, apporte son éclairage sur cette décision.


Lexbase Social : En quoi l’arrêt « France Telecom », rendu par la Chambre criminelle le 21 janvier dernier, constitue-t-il une évolution importante du droit français ?

J.-E. Ray : La présente décision a un impact non seulement en droit du travail mais également en droit pénal, avec d’importantes conséquences en termes de ressources humaines, et pas seulement en cas de PSE, en nos temps de double Révolution à évolution lente, mais profonde :

  • la première, numérique, avec en particulier l’irruption de l’intelligence artificielle, susceptible de profondément modifier des millions de postes. ;
  • la seconde, énergétique, avec beaucoup moins d’emplois verts que d’emplois verdissants, chaque salarié concerné devant acquérir de nouvelles compétences.

Or, tout praticien sait les difficultés de tous ordres rencontrées lorsqu’il s’agit d’assurer l’employabilité de nombre de collaborateurs dépassés, dans notre société vieillissante.

Mais l’essentiel des effets pratiques de « l’Affaire France Télécom » sont intervenus bien avant cet arrêt : la « Grande Peur » patronale a commencé dès les poursuites pénales de 2009, initiées par le syndicat « Sud-PTT », mais surtout après les peines de prison ferme et les millions d’euros de dommages-intérêts devant être versés aux 118 parties civiles décidés par le tribunal correctionnel de Paris le 20 décembre 2019.

Rappelons cependant que le contexte était tout à fait spécifique : privatisée en 2004, France Télécom était au bord du gouffre en 2006. Le plan de réduction d’effectifs visait 20 000 agents, et le plan de mobilité interne 10 000… et le tout sans licenciement économique possible, car l’essentiel des personnes visées étaient fonctionnaires. Équation impossible ayant conduit aux graves dérives ici sanctionnées [1]. Ce que ne pouvaient ignorer les ministres de tutelle...

Prouvant que la fortune sourit aux avocats audacieux (pari très risqué de la voie pénale, et visant exclusivement les dirigeants), cet arrêt clôt judiciairement des centaines de descentes aux enfers remontant à presque 20 ans. Mais il laisse le lecteur partagé, entre règles morales et principes du droit pénal.

Responsabiliser les dirigeants sur les méthodes ensuite employées, en application de leur décision de réduction des effectifs, quoi qu’il en coûte sur le plan humain, paraît plus que légitime. Et ne déplaira ni aux services RH, ni aux autres cadres de proximité, mis sous haute pression pour s'éxécuter. Et donc menacés, à leur niveau, de harcèlement managérial.

Mais comme l’a montré l’attitude des deux plus hauts dirigeants lors du premier procès devant le tribunal correctionnel à l’été 2019, ils avaient le sentiment d’avoir fait ce qu’ils devaient faire pour sauver une entreprise de 110 000 personnes au bord du dépôt de bilan. La critique est facile, et l’art difficile…

Pour de nombreux dirigeants ainsi, économiquement sûrs de leur bon droit (« Qui veut la fin, veut les moyens »), il était donc impensable que le PDG et son numéro deux répondent en correctionnelle d’une très rude mise en oeuvre d'une indispensable politique de réduction des effectifs. Face à des familles et des salariés bouleversés, ont donc seuls répondu les chiffres des réalités économiques, les méthodes employées important peu. L’exceptionnelle montée en puissance légale et jurisprudentielle de la santé des salariés jusqu’à cette acmé que constitue l’arrêt du 21 janvier 2025 n’est pas étrangère à la folie financière des années 1995-2008.

Mais la Chambre criminelle prend bien soin de rester dans la ligne de l’arrêt « SAT » de l’Assemblée plénière du 8 décembre 2000 [2], protecteur de la liberté d’entreprendre. S’agissant d’une restructuration, « il n'appartenait pas au juge de contrôler le choix effectué par l'employeur entre les solutions possibles ». Elle reprend donc les termes de la cour d’appel : « il n’est reproché aux prévenus ni les modalités de la réorganisation, le nombre de sites à fermer, les salariés à muter ou à reconvertir, ni encore le nombre de départs ou d'embauches à réaliser pour améliorer la compétitivité de la société, mais la méthode utilisée pour y parvenir, qui a excédé très largement le pouvoir normal de direction et de contrôle du chef d'entreprise ». Rappelant in fine « qu’indépendamment de toute considération sur les choix stratégiques qui relèvent des seuls organes décisionnels de la société, constituent des agissements entrant dans les prévisions de l'article 222-33-2 du Code pénal […] ».

À l’instar des discussions sans fin sur la notion « d’abus » en droit, le problème reste les limites de ce fameux « pouvoir normal de direction ». Il n’est pas certain que nos juges aient toujours conscience du western qu’est devenue aujourd’hui la vie de nombre d’entreprises. Mais en l’espèce, il n’était guère contestable que les multiples et croissantes pressions exercées pour que des fonctionnaires (âgés, donc coûteux) choisissent de partir étaient notoirement fautives, car appartenant au noyau dur du harcèlement : celui ayant pour but de dégrader les conditions de travail, et pas seulement pour effet. Or, comme le note le communiqué de la Chambre criminelle : « La caractérisation de l'infraction n'exige pas, lorsque les agissements reprochés ont pour objet la dégradation des conditions de travail, qu'ils concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec leur auteur, ni que les salariés victimes soient individuellement désignés. En revanche, lorsque de tels agissements ont pour effet une dégradation des conditions de travail, la caractérisation de l'infraction de harcèlement moral suppose que soient précisément identifiées les victimes de tels agissements ». Ce qui n’est pas sans incidence sur les constitutions de partie civile.

Lexbase Social : D’après cet arrêt, comment se caractérise le harcèlement moral institutionnel ? Quelle est la particularité de cette notion ?

J.-E. Ray : Existent désormais trois harcèlements moraux au travail : institutionnel, managérial, et interpersonnel classique. 

  • Visant par définition les dirigeants de l’entreprise, le harcèlement moral institutionnel a été créé par l’arrêt de la Chambre criminelle du 21 janvier 2025.  « Entrent dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal N° Lexbase : L9324I3Q et peuvent caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel». « Institutionnel » : comme son adjectif l’indique, c’est au plus haut niveau de l'institution qu’a été décidée cette « politique d’entreprise », visant « à  déstabiliser les salariés et agents ; à créer un climat professionnel anxiogène, en recourant notamment à des réorganisations multiples et désordonnées ; des incitations répétées au départ ; des mobilités géographiques et/ou fonctionnelles forcées ; la surcharge de travail, la pression des résultats ou à l’inverse l'absence de travail ; un contrôle excessif et intrusif ; l'attribution de missions dévalorisantes ; l’absence d'accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines ; des formations insuffisantes voire inexistantes ;  l'isolement des personnels, des manoeuvres d'intimidation, voire des menaces ; des diminutions de rémunération ». Les plus hauts décisionnaires sont donc les auteurs de cette politique, la Chambre criminelle prenant soin, face à ce type de harcèlement moral par définition collectif, de ne pas créer de responsabilité collective (inconstitutionnelle) mais une responsabilité pénale partagée. Les hauts directeurs des ressources humaines étant, pour leur part, condamnés pour complicité.

Cette notion de « harcèlement moral institutionnel » est créative : elle élargit une définition légale déjà un peu gazeuse, mais non censurée par le Conseil constitutionnel : « propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, ou de compromettre son avenir professionnel ». Le communiqué de la Chambre criminelle énonce d’ailleurs pudiquement que : « le Code pénal incrimine le  harcèlement moral au travail, sans faire de mention spécifique et littérale à sa possible dimension « institutionnelle » ». Quant à aller chercher l'intention du législateur, dans un avis du comité économique, social et environnemental, ou celui de la commission consultative des droits de l’homme, pour énoncer ensuite que « le terme « autrui » peut désigner, en l'absence de toute autre précision, un collectif de salariés non individuellement identifiés ». On peut ne pas être convaincu qu’en écrivant « autrui », le législateur de 2002 pensait à une communauté de travail de 110 000 salariés…Mais il est légitime de sanctionner les véritables décideurs à l’origine de cette politique systémique, déclinée ensuite par l’ensemble de la chaîne hiérarchique : le harcèlement moral est une maladie hiérarchiquement contagieuse. Comme l’indiquait la cour d’appel : « le harcèlement institutionnel a pour spécificité d’être en cascade, avec un effet de ruissellement, indépendamment de l’absence de lien hiérarchique entre le prévenu et la victime ». Remonter à la source, oui. Problème juridique : du « ruissellement » à l’imputabilité…

  • Le harcèlement managérial a lui été créé par la Chambre sociale le 10 novembre 2009 [3] :  dans une affaire caricaturale (« pression continuelle, reproches incessants, ordres et contrordres dans l’intention de diviser l’équipe, absence de dialogue caractérisée par une communication par l’intermédiaire d’un tableau Excel»), « peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Hypothèse la plus banale : celle d’un cadre toxique adoptant des méthodes brutales de management à l’égard de l’ensemble de son service, et dont se plaint un salarié en particulier.
  • Le harcèlement classique, interpersonnel. Comme le montre l’actualité, aucun acteur - a fortiori du social - n’est à l’abri de poursuites : qu’il s’agisse de l’économie sociale et solidaire ou d’associations où l’affect est important et le surinvestissement naturel car « c’est pour la bonne cause », mais aussi de cabinets d’expertise, voire de syndicats ou de CSE employeur [4]. Sans parler des trois fonctions publiques où les démissions sont rares et les mobilités compliquées : le juge administratif est saisi plus souvent qu’à son tour.

Mais quand existent des rapports de subordination, et plus généralement des rapports de pouvoir….

Rappelons enfin qu’il n'est pas seulement descendant. Ainsi, la Chambre criminelle condamnait, le 6 décembre 2011 [5], un collaborateur ayant harcelé son supérieur hiérarchique s’étant finalement suicidé et, le 17 mars 2015, un délégué syndical en raison « de ses comportements répétés, systématiques et inadaptés par rapport à l’exercice normal et loyal de l’action syndicale, à l’évidence volontaires avec pour but d’intimider, déstabiliser et atteindre la personne même des cadres constituant la direction de l’établissement et, par là même, leur porter un préjudice personnel ».

L’enfer, c’est les autres ? Dans notre société d'individus déboussolée, cette démultiplication des harcèlements fait penser à « la guerre de tous contre tous » de Thomas Hobbes. 

Lexbase Social : Cette décision risque-t-elle d’ouvrir la voie à une multiplication des contentieux ?

J.-E. Ray : Cette multiplication n’a pas attendu l’arrêt du 21 janvier 2025. En particulier, devant les conseils des prud’hommes, comme l’avait, dès 2010, remarqué M.‐F. Hirigoyen, dans le tome 2 de son best‐seller de 1999 : « Il ne faut pas confondre le harcèlement avec les autres risques psychosociaux, et éviter les plaintes abusives, car les magistrats sont excédés. Le problème est que nous en parlons aujourd’hui à tort et à travers :  cela risque de banaliser des souffrances moins visibles » [6].

A fortiori, après l’ordonnance du 21 septembre 2017 et son barème, prévoyant expressément qu’un licenciement prononcé à la suite d’un harcèlement moral le rend inapplicable, et la réparation en nature le principe, car le licenciement est alors frappé de nullité : réintégration sous astreinte. Avec un régime probatoire très favorable.

Quelques chiffres ? Sur le seul thème du « harcèlement moral » (hors les 210 conseils des prud’hommes où il apparaît le plus souvent, y compris pour s’évader du barème Macron), ont été rendus pour le seul mois de janvier 2025 26 arrêts de la Cour de cassation, 61 arrêts par les cours d'appel et 12 jugements par les tribunaux judiciaires.  

Car, si l’arrêt France Télécom a été rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, l’essentiel des arrêts sur le harcèlement moral sont rendus par la Chambre sociale, qui a par ailleurs une vision panoramique de l’obligation de sécurité du chef d’entreprise. Beaucoup plus large que le harcèlement moral, elle ne se confond pas avec lui : en cas de préjudice distinct démontré, des dommages-intérêts spécifiques peuvent être alloués.

Multiplication des contentieux également prévisible, car la Chambre criminelle énonce expressément que son arrêt ne vise pas seulement une réduction des effectifs, mais « les agissements visant à arrêter et mettre en oeuvre, en connaissance de cause, une politique d'entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d'atteindre tout autre objectif, qu'il soit managérial, économique ou financier ».

Sont d’abord visés les plans de sauvegarde de l'emploi. Depuis l’arrêt du Conseil d’État du 21 mars 2023 [7], ils doivent comporter un volet risques psychosociaux, sous le contrôle attentif de l’administration du travail. Ensuite, les fusions-acquisitions, où « faire le ménage », en amont surtout, en aval souvent… Mais plus généralement, donc, toute restructuration dont les modalités seraient fautives. Voire un système d’évaluation conçu pour mettre une pression excessive.

Une entreprise avertie en vaut deux, même si une instrumentalisation n’est pas exclue.

Lexbase Social : Pensez-vous que la reconnaissance du harcèlement moral institutionnel peut inciter davantage d’entreprises à revoir leur organisation pour prévenir ces risques ?

J.-E. Ray : Souvent dû aux rapports de subordination, le harcèlement moral est un fléau pour ses victimes, et une catastrophe pour l’entreprise. Mais il n’est pas né avec la loi de janvier 2002 : les furieux « petits chefs » ont toujours existé. Or, si on rejoint une entreprise, on la quitte souvent à cause d'un manager faisant preuve d’autoritarisme car incapable de « faire autorité ». Mais, à l’inverse, un manager bien formé sait préserver la santé physique et mentale de ses collaborateurs : « la santé des salariés est d’abord l’affaire des managers », écrivaient les auteurs d’un beau rapport de février 2010 [8]. Même si le passage de la santé physique à la santé mentale par cette même loi de janvier 2002 nous a fait basculés dans une autre dimension : la charge pondérale quotidienne ou le nombre de gestes effectués par Charlie Chaplin sont plus facilement contrôlables que la charge informationnelle et communicationnelle d’un travailleur du savoir, qui peut souvent travailler partout avec ses neurones assistés par ordinateur.

Il serait donc souhaitable que les écoles d’ingénieurs et de commerce mettent à leur programme un minimum de gestion des ressources humaines (au XXIe siècle). Et que les managers en poste bénéficient d'une formation aux risques psychosociaux : cette version préventive du harcèlement managérial se plaçant nécessairement au niveau de l’institution-entreprise ; surtout avec l’arrivée de jeunes générations n’ayant guère connu d’autorité.

Cette prévention collective est donc à tous points de vue essentielle, y compris pour prévenir des dérapages, tombant désormais sous le coup du harcèlement moral institutionnel. Sans oublier le rôle du comité social et économique, sa CSSCT et des divers experts : l’élément moral de l’infraction étant constitué par la connaissance des faits, on peut penser que les ordres du jour des deux premiers vont encore s'allonger, et le chiffre d’affaires progresser pour les seconds. Avec la tentation d’une instrumentalisation.

Sans oublier une large évolution des textes conventionnels, et légaux.

Au-delà de la loi du 4 août 2014 [9], qui a substitué « propos ou comportements » à celle d'« agissements », et doublé les peines : deux ans de emprisonnement et 30 000 € d’amende.

Quatre mois après le jugement du tribunal correctionnel, l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010, unanime des deux côtés, relatif au harcèlement et à la violence au travail. « Le respect de la dignité des personnes à tous les niveaux est un principe fondamental qui ne peut être transgressé, y compris sur le lieu de travail. C'est pourquoi le harcèlement et la violence, qui enfreignent très gravement ce principe, sont inacceptables. Les parties signataires les condamnent sous toutes leurs formes ».

La prévention est aussi l’idée fondatrice de la loi du 2 août 2021 [10], qui a transposé l'accord national interprofessionnel conclu le 9 décembre 2020, « relatif à la prévention renforcée et à une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail ». Résolus « à mettre la prévention primaire au cœur de notre système de santé au travail », les signataires rappellaient que « sur le plan collectif, la qualité de vie au travail est une des conditions de la performance de l'entreprise ».

À l’instar de cette loi refondatrice, les accords d'entreprise sur la qualité de vie et les conditions de travail sont aussi la preuve, y compris en cas de contentieux, que l’entreprise n’a pas mis sous le tapis « tous ces problèmes interpersonnels absolument ingérables ».

Enfin, depuis la loi « Pacte » de mai 2019 [11], notre Code civil prévoit que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Ce n’est pas une coïncidence.

Les services juridiques vont enfin être mis à contribution pour réviser les délégations de pouvoirs, sachant que le noyau dur du pouvoir patronal, la décision elle-même au plus haut niveau, ne peut faire l’objet d’une telle délégation. Mais aussi, car en l’espèce, ce sont trois millions d’euros auxquelles ont été solidairement condamnés l’ensemble des prévenus à l’égard des très nombreuses parties civiles.

Mais les DRH vont être regardés avec davantage d’affection par la Direction générale. Et penseront aussi à leur propre intérêt, car ils n'ont pas été épargnés par l’arrêt commenté. Sur les sept dirigeants condamnés par le tribunal correctionnel de Paris, cinq étaient de très hauts responsables RH: « À la stratégie ferme définie par le CODIR s'est ajouté le suivisme des directions et services des ressources humaines dont les procédures et méthodes ont infusé dans toute la politique managériale » écrit la Chambre criminelle : quatre mois avec sursis, amende de 5000 euros ; peines maintenues en appel, sauf pour la DRH porteuse du programme ACT, condamnée à six mois avec sursis.

Avec dans l’arrêt d’appel, s’agissant d’un directeur territorial, une remarque dont on n’a pas fini de parler, pour finalement le relaxer : « le doute doit lui profiter […], le lien de subordination paraissant suffisamment exonératoire »...


[1] Cf. plus généralement : J.-B. de Foucauld, Logique de pouvoir et éthique, éd. de l’Atelier, octobre 024.

[2] Ass. plén., 8 décembre 2000, n° 97-44.219, publié N° Lexbase : A0328AUP.

[3] Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.321, FS-P+B N° Lexbase : A1629ENN.

[4] CA Paris, 6-4, 14 mars 2017, n° 15/07330 N° Lexbase : A0382T7B.

[5] Cass. crim., 6 décembre 2011, n° 10-82.266, F-P+B N° Lexbase : A0348H9R.

[6] M.‐F. Hirigoyen, Harcèlement moral : démêler le vrai du faux, Syros, mars 2010.

[7] CE, 1°-4° ch. réunies, 21 mars 2023, n° 460660, inédit N° Lexbase : A39099KY.

[8] H. Lachmann, Ch. Larose et M. Pénicaud, Bien-être et efficacité au travail : dix propositions pour améliorer la santé psychologique au travail, Rapport, 17 février 2010 [en ligne].

[9] Loi n° 2014-873 du 4 août 2014, pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes N° Lexbase : L9079I3N.

[10] Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, pour renforcer la prévention en santé au travail N° Lexbase : L4000L7B.

[11] C. civ., art. 1833 N° Lexbase : L8681LQL.

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