Le Quotidien du 18 février 2025 : Autorité parentale

[Observations] Droit de visite médiatisé et office du juge

Réf. : Cass. civ. 1, 15 janvier 2025, n° 22-22.631, F-B N° Lexbase : A47846QA

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par Adeline Gouttenoire, Professeure à l’Université de Bordeaux

le 17 Février 2025

► L’obligation faite au juge aux affaires familiales par l’article 1180-5 du Code procédure civile de fixer la durée et la fréquence d’un droit de visite dans un espace de rencontre ne s’applique pas au droit de visite en présence d’un tiers.

L’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2025 s’inscrit dans une jurisprudence fournie relative à la détermination par le juge d’un droit de visite dans un espace rencontre. L'article 1180-5 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5322IUN impose en effet au juge aux affaires familiales qui décide de fixer le droit de visite de l'un des parents – par hypothèse celui qui n’héberge pas l’enfant – de déterminer la durée de la mesure ainsi que fréquence et la durée des rencontres. Cette disposition, particulièrement précise, permet de limiter l’atteinte non négligeable aux droits parentaux que constitue la médiation du droit de visite, étant précisé que l’exercice du droit de visite dans un lieu neutre implique l’absence de droit d’hébergement. Cette mesure est, en effet conçue pour être provisoire et son exécution garantie par des modalités strictes. Elle peut être ordonnée par le juge dans le cadre de l’exercice unilatérale (C. civ., art. 373-2-1 N° Lexbase : L7190IMA) et dans en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale (C. civ., art. 373-2-9 N° Lexbase : L0239K7Y).

La mise en œuvre de cette exigence issu du décret n° 2012-1312 du 27 novembre 2012 N° Lexbase : L5288IUE, a été difficile, notamment du fait d’une résistance des juges du fond. La Cour de cassation sanctionne en effet régulièrement le fait pour un juge aux affaires familiales qui ordonne un droit de visite en lieu neutre de ne pas fixer pas la durée de cette mesure (Cass. civ. 1, 28 janvier 2015, n° 13-27.983, F-P+B N° Lexbase : A7167NAP, Dr. fam. 2015. Comm. 71, obs. C. Neirinck ; Cass. civ. 1, 15 mai 2018, n° 17-15.831, F-D N° Lexbase : A4526XNX ; Cass. civ. 1, 7 novembre 2018, n° 17-26.012, F-D N° Lexbase : A6787YKL ; Cass. civ. 1, 5 décembre 2018, n° 17-28.563, F-D N° Lexbase : A7769YPG), ou l’absence de précision quant à la durée et la fréquence des rencontres (Cass. civ. 1, 15 mai 2018, n° 17-15.831, F-D N° Lexbase : A4526XNX, Cass. civ. 1, 11 juillet 2019, n° 18-11.022, F-D N° Lexbase : A3303ZKK,  Cass. civ. 1, 2 novembre 2023, n° 22-11.806, F-D N° Lexbase : A356614T). Le juge du fond ne peut se contenter de se référer aux modalités d’organisation des visites dans l’espace rencontre, et de laisser celui-ci moduler les rencontres en fonction de la manière dont elles se passent, y compris lorsque le règlement intérieur du lieu de rencontres prévoit précisément les modalités d’exercice du droit de visite (Cass. civ. 1, 2 novembre 2023, préc.). En l’espèce, le règlement intérieur prévoyait une première rencontre généralement limitée à une heure trente, et des rencontres ultérieures n'excédant pas trois quart d’heure, ces durées étaient modulables en fonction du déroulement de la rencontre. En réalité, moins que la précision des modalités du droit de visite en elles-mêmes, la Cour de cassation impose de respecter l’injonction du texte selon laquelle c’est au juge qu’il revient de déterminer les modalités précises du droit de visite en lieu neutre. Permettre de laisser celles-ci à l’appréciation de l’espace rencontre, même en accord avec le parent titulaire du droit de visite, consisterait en une délégation du pouvoir du juge. Le fait que les modalités du droit de visite dans un espace rencontre relèvent d’une décision judiciaire, constitue une garantie pour le parent, notamment au regard du principe du contradictoire et la présence d’un avocat.

Si la Cour de cassation se montre intransigeante lorsqu’il s’agit d’un droit de visite organisé dans un espace de rencontre, elle interprète l’article 1180-5 du Code de procédure civile de manière stricte et littérale comme en témoigne la décision du 15 janvier 2025. Ainsi, considère-t-elle  que l’exigence faite au juge de préciser la fréquence et la durée du droit de visite ne s’applique pas au droit de visite en présence d’un tiers. La Cour de cassation distingue à juste titre le droit de visite en présence d’un tiers le droit de visite dans un espace de rencontre, qui impose un cadre plus strict et forcement professionnel. Cette modalité de droit de visite est en effet plus large.

Si l’on ne peut qu’approuver le respect strict des textes par la Cour de cassation, on peut s’interroger sur l’opportunité de cette solution. En effet, la médiatisation du droit de visite par l’exigence de la présence d’un tiers constitue également une limitation des droit du parent qui est empêché de voir son parent seul. Ce tiers peut être un membre de la famille du parent concerné ou un professionnel. Sans doute, la Cour de cassation considère-t-elle que cette modalité de droit de visite est moins attentatoire aux droit parentaux. Il est surtout probable qu’elle veuille cantonner le domaine d’application de l’article 1180-5 du Code de procédure civile déjà contestée par les juges du fond. C’est dans le même esprit qu’elle a considéré dans une décision du 13 juin 2019 (Cass. civ. 1, 13 juin 2019, n° 18-12.389, FS-P+B N° Lexbase : A5709ZE8), que le juge n’est pas contraint, lorsque le droit de visite des grands-parents est fixé dans un lieu neutre de préciser la durée et la fréquence des visites, ainsi que la durée de la mesure.

L’influence concrète de cette décision est sans aucun doute importante à un moment où le délai d’attente pour obtenir l’organisation d’un droit de visite en lieu neutre est particulièrement long. Or, pendant cette période, le parent ne voit pas son enfant puisque par hypothèse, il ne peut le rencontrer que dans un espace rencontre. Cette décision pourrait donc inciter les juges à organiser les droits de visite du parent en présence d’un tiers plutôt que dans un espace rencontre. Il faut cependant nuancer cette affirmation et la limiter aux hypothèses où le parent ne constitue pas un danger pour l’enfant. La solution de l’arrêt du 15 janvier 2025 tend par ailleurs à assurer une certaine harmonie avec les modalités du droit de visite parental en cas de placement de l’enfant. En effet, l’article 1199-3 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3771LH7 dispose que « la fréquence du droit de visite en présence d'un tiers est fixée dans la décision judiciaire sauf à ce que, sous le contrôle du juge, les conditions d'exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou l'établissement à qui l'enfant est confié. »

 

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