Réf. : Cass. crim., 12 février 2025, n° 24-81.224, F-B N° Lexbase : A55806U9
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par Matthieu Hy, Avocat
le 05 Mars 2025
En raison de l’effet dévolutif de l’appel, une chambre de l’instruction doit juger le recours contre une ordonnance d’un juge des libertés et de la détention ayant rejeté la requête du ministère public aux fins de maintien d’une saisie pénale de sommes d’argent réalisée par officier de police judiciaire, quand bien même ces sommes ont été restituées entre temps en raison de l’absence d’effet suspensif de l’appel et quand bien même une saisie aurait postérieurement été réalisée pour un montant équivalent sur un compte bancaire distinct.
Dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte du chef de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, les enquêteurs ont procédé à la saisie de deux comptes bancaires dont une personne morale était titulaire pour un montant d’un peu plus d’un million d’euros sur autorisation du procureur de la République. Conformément aux dispositions de l'article 706-154, alinéa 1er, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L0947MRI, ce dernier a ensuite requis le maintien de cette saisie pénale auprès du juge des libertés et de la détention qui a rejeté la requête. Sur appel du ministère public, la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance au motif que ne figurait à la procédure ni l’enquête préliminaire ni le procès-verbal de synthèse. L’arrêt de la chambre de l’instruction a été cassé sur pourvoi du procureur général [1]. Sur renvoi après cassation, la cour d’appel a infirmé l’ordonnance et ordonné le maintien des saisies pénales. La société s’est alors pourvue en cassation.
Selon la demanderesse au pourvoi, l’appel du ministère public était devenu sans objet dès lors qu’à la suite de l’ordonnance de refus de maintien du juge des libertés et de la détention, les fonds avaient été restitués à la société en raison de l’absence d’effet suspensif de l’appel [2] et qu’entre temps, les fonds étaient devenus indisponibles dans la mesure où ils avaient été saisis par l’URSSAF.
La Chambre criminelle affirme sans surprise que l’appel du ministère public ne saurait être dépourvu d’objet du seul fait que la saisie a été levée en raison de l’absence d’effet suspensif du recours contre une ordonnance de mainlevée de saisie de sommes d’argent rendue par le juge des libertés et de la détention pendant l’enquête. Il revient donc à la chambre de l’instruction de se prononcer sur la légalité et le bien-fondé de la mesure. La solution est logique et entre en cohérence avec la jurisprudence selon laquelle un appel d’ordonnance relatif à une saisie pénale est privé d’objet uniquement lorsque la décision de mainlevée ou la décision de confiscation est devenue définitive [3], ce qui, par définition, ne saurait être le cas en l’espèce.
La Haute juridiction ajoute que sont indifférentes les éventuelles difficultés d’exécution d’une saisie pénale. De même, la saisie pénale qui a désormais retrouvé son plein effet n’est pas susceptible d’être affectée par la saisie réalisée par l’URSSAF sur un compte distinct, après la mainlevée et pour un montant équivalent.
Si la Chambre criminelle est juge du droit, son indifférence aux conséquences pratiques de sa solution est regrettable. La saisie pénale vise un montant déterminé mais surtout un compte bancaire précisément identifié [4]. L’impossibilité pratique d’exécuter l’arrêt infirmatif est donc quasiment assurée et place la personne morale concernée dans une situation d’insécurité.
Enfin, l’arrêt illustre à merveille le doublon problématique, qui se heurte à la même indifférence de la Chambre criminelle [5], que peut constituer l’action de l’URSSAF récupérant les montants éludés et celle de la justice pénale saisissant le produit de l’infraction qui correspond à ces mêmes montants éludés.
[1] Cass. crim., 10 janvier 2023, n° 21-86.778 N° Lexbase : A802887H.
[2] L’absence d’effet suspensif de l’appel, prévue notamment à l’article 706-154, alinéa 2, du Code de procédure pénale, est principalement destinée à assurer le caractère effectif de la saisie lorsqu’elle est prononcée ou maintenue par le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction (Cons. const., décision n° 2016-583 QPC du 14 octobre 2016 N° Lexbase : A7732R7I).
[3] Notamment Cass. crim., 9 novembre 2022, n° 21-86.996 N° Lexbase : A13038S3.
[4] Pour une autre illustration, Cass. crim., 19 avril 2023, n° 22-84.323 N° Lexbase : A76459Q9.
[5] Cass. crim., 5 avril 2023, n° 22-85.754 N° Lexbase : A79739NM.
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