Réf. : Cass. civ. 3, 16 janvier 2025, n° 23-14.407, F-D N° Lexbase : A13996RA
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 27 Janvier 2025
Il faut apporter la preuve que l’ouvrage est en l’état d’être reçu.
Ce qui n’est pas forcément le cas lorsque l’ouvrage est affecté de désordres.
La multiplicité des contentieux sur la réception prouve la nécessité de préciser ses conditions.
L’article 1792-6 du Code civil N° Lexbase : L1926ABX ne prévoit pas la réception tacite. Seules les réceptions expresses et judiciaires sont possibles. La jurisprudence, tant administrative que judiciaire, a toutefois résisté, réintroduisant la réception tacite, ce qui suscite des discussions tant sur la réception tacite que judiciaire.
Pour que la réception tacite soit établie, doit être caractérisée la volonté non-équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Si cette volonté est caractérisée, il y a réception tacite mais si, au contraire, est caractérisée la volonté non-équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, il n’y a pas de réception tacite possible. L’approche paraît simple mais cela est loin d’être le cas.
Sont ainsi insuffisants, pris isolément, à caractériser une réception tacite, la prise de possession des lieux (Cass. civ. 3, 4 octobre 2000, n° 97-20.990 N° Lexbase : A7732AHT, Constr. Urb. 2000, n° 298), le paiement du prix (Cass. civ. 1, 30 septembre 1998, n° 96-17.014 N° Lexbase : A5487AC9, Constr. Urb. 1998, com. 409), la signature d’une déclaration d’achèvement des travaux et d’un certificat de conformité (Cass. civ. 3, 11 mai 2000, n° 98-21.431 N° Lexbase : A4667CRB, AJDI, 2000, 741), des difficultés financières (CA Metz,12 mars 2003) l’achèvement de l’ouvrage (Cass. civ. 3, 25 janvier 2011, n° 10-30.617 N° Lexbase : A8600GQL), la succession d’une entreprise à une autre (Cass. civ. 3 19 mai 2016, n° 15-17.129 N° Lexbase : A0851RQL), le paiement du solde dû à l’entreprise (Cass. civ. 3, 22 juin 1994, n° 90-11.774 N° Lexbase : A6284ABD), surtout lorsque des réserves importantes sont émises par le maître d’ouvrage (Cass. civ. 3, 10 juillet 1991, n° 89-21.825 N° Lexbase : A2841ABT, Bull. n° 204).
Mais, a contrario, si le maître d’ouvrage manifeste, au contraire, sa volonté non-équivoque de ne pas recevoir les travaux, cela fait obstacle à toute caractérisation de la réception tacite. La solution, posée par un arrêt de ce 13 juillet 2016 (Cass. civ. 3, 13 juillet 2016, n° 15-17.208 N° Lexbase : A2071RXY) est depuis constante.
La réception judiciaire n’obéit pas à cette logique : c’est la réception forcée comme l’illustre l’arrêt rapporté.
Un maître d’ouvrage confie à un constructeur la conception, la fabrication et la fourniture de la charpente de sa maison. Après la pose de la charpente, il s’avère que les désordres rendent impossible la pose de la toiture. L’entreprise propose de reprendre ses ouvrages mais le maître d’ouvrage refuse. Après expertise, l’entreprise demande la résolution du contrat ainsi que le prononcé de la réception judiciaire.
La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 9 février 2023 (CA Douai, 9 février 2023, n° 21/04012 N° Lexbase : A515894S), prononce la réception judiciaire des travaux assortie de certaines réserves. Au visa de l’article 1792-6 précité, la Cour de cassation rappelle que le prononcé de réception judiciaire suppose de démontrer que l’ouvrage est en l’état d’être reçu.
La Haute juridiction censure, montrant qu’elle se livre à un contrôle très étroit du libre pouvoir d’appréciation des juges du fond. Pour la Cour, les désordres étaient tels qu’il était impossible de considérer que l’ouvrage était en l’état d’être reçu.
La solution mérite d’être approuvée d’autant qu’admettre le contraire reviendrait à étendre le champ d’application de la responsabilité civile décennale des constructeurs.
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