La lettre juridique n°1004 du 28 novembre 2024 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] La soumission à la TVA des no-shows : une pratique récente jugée à l’aune d’une jurisprudence bien établie

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 9 octobre 2024, n° 472257, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A456659Y

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par Laurence Vapaille, Maîtresse de conférences HDR droit public, Cergy Paris Université – Membre du Lejep, Directrice du master droit fiscal et douanier

le 19 Décembre 2024

Mots-clés : TVA • hôtellerie • arrhes • prestataire de services

Le Conseil d’État a eu l’occasion, par une décision rendue le 9 octobre 2024, de se prononcer sur une nouvelle pratique développée au sein de l’hôtellerie pour limiter le phénomène du no-show.


 

Cette expression désigne le fait qu’un client qui a réservé une chambre ne se présente pas le jour prévu sans prévenir l’hôtel. C’est un comportement de plus en plus fréquent coûteux pour les établissements hôteliers car la nuitée qui n’est pas vendue à la fin de la journée est définitivement perdue. Pour limiter à la fois ce comportement et ses effets financiers parfois sensibles, les hôtels peuvent prendre des garanties au moment de la réservation de la chambre. Plusieurs méthodes sont mises en oeuvre. L’hôtel peut réclamer des arrhes ; proposer un tarif inférieur au prix habituel considéré comme une somme remboursable, ou encore d’exiger un prépaiement par carte bancaire qui permet de facturer la chambre bien que le client ne se soit pas présenté au jour convenu ce qui correspond aux faits de l’affaire commentée. Si dans la plupart des cas, il n’existe pas de difficultés particulières pour distinguer le paiement d’un service de l’indemnisation d’un dommage. Certaines circonstances ne permettent pas toujours de tracer une ligne très nette entre les deux situations, or le traitement du point de vue de la TVA est très différent. Si la somme correspond à une indemnité, elle ne peut pas être considérée comme la contrepartie d’un bien et n’est pas imposable à la TVA [1]. Le bénéficiaire n’a donc pas à facturer la TVA à son débiteur. Et dans le cas où la TVA a été facturée à tort, elle n’entraîne aucun droit à déduction chez le débiteur même si ce dernier était de bonne foi pensant que l’indemnité entrait dans le champ d’application de la TVA.

Une question de droit classique - Du point de vue de la TVA, la question n’est pas nouvelle même si la décision du 9 octobre 2024 concerne une pratique récente. Il s’agit de savoir si la somme demandée pour réserver la chambre et acquise par l’hôtelier prestataire sont soumises ou non à la TVA alors même que le client ne s’est pas présenté et n’a pas utilisé la chambre. Bien que ce procédé soit récent et que la haute juridiction n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer avant cette décision, la solution de la juridiction suprême administrative s’inscrit dans une suite de décisions et ne remet pas en cause la ligne jurisprudentielle en la matière.

Des circonstances nouvelles - La société Hôtellerie Paris Suffren considérait que les sommes prélevées sur les comptes bancaires de ses clients qui ne se présentaient pas à la date convenue sans la prévenir n’étaient pas soumises à la TVA car elles avaient un caractère indemnitaire. La question posée au CE est de savoir si les sommes, appelées no-shows, sont destinées à réparer un préjudice résultant du client défaillant ou si elles doivent être considérées comme un paiement effectué en contrepartie d’une prestation de service. Dans le premier cas, ainsi que le défend la société demanderesse, la nature indemnitaire implique que la somme n’est pas imposable à la TVA. Dans la seconde hypothèse, défendue par l’administration, il s’agit bien d’une prestation de service entrant dans le champ d’application de la TVA. Les juges du TA de Paris (TA Paris, 17 septembre 2021, n° 2011097) puis la CAA de Paris (CAA Paris, 20 janvier 2023, n° 21PA05850 N° Lexbase : A637189T) ont donné raison à l’administration.

La qualification contractuelle ne s’impose pas - Dans un premier temps, il faut remarquer que l’administration n’est pas tenue par la qualification donnée par la société hôtelière issue l’article 17.4 des « conditions générales de vente » selon lequel le débit à hauteur du prix de la nuitée non utilisée par le client l’est « à titre d’indemnité forfaitaire ». Les termes utilisés par ce document ne préjugent pas de la qualification réelle de la somme, l’administration comme le juge de l’impôt peuvent retenir une appréciation différente ce qui est le cas en l’espèce. Ni l’un, ni l’autre ne sont tenus par la qualification donnée par le contribuable mais doivent rechercher la qualification qui correspond à la réalité juridique [2].

Sur la question de droit, le Conseil d’État fonde sa solution sur un critère central, celui du lien direct en concluant que les sommes en cause « représentent donc la contrepartie d’une prestation de service individualisable ». Le lien direct est un critère issu de la jurisprudence de la Cour de justice,  ancienne et bien établie, aux termes de laquelle une prestation de service est imposable dès lors qu’il existe, entre le prestataire et le bénéficiaire du service, un rapport juridique impliquant que la rémunération du prestataire représente la contre-valeur effective du service fourni au client bénéficiaire. On peut noter que ce lien doit être aussi « individualisable », précision qui figurait déjà dans la décision d’appel. La question qui se pose est de savoir si le critère du lien direct est toujours établi dans l’hypothèse où le client ne bénéficie pas du service, service qu’il a payé mais qu’il n’a pas utilisé. Le lien direct est-il démontré dans le cas où la somme vient rémunérer un service qui n’a pas été rendu ?

La qualification des sommes en cas de dédit a fait l’objet d’une décision importante rendue en 2007 par la CJCE [3] sur renvoi préjudiciel du CE [4] en matière d’arrhes. Il a été jugé que les sommes versées d’avance à titre arrhes dans le cadre d’une vente de service assujettie à la TVA conservées par le prestataire dans le cas où le client utilisait la faculté de dédit qui lui était ouverte n’étaient pas soumises à TVA. La CJCE a fondé sa décision en considérant que les arrhes pouvaient être analysées comme des indemnités forfaitaires de résiliation. Elles étaient versées afin de réparer le préjudice subi du fait de la défaillance du client. Dès lors la condition du lien direct n’était pas remplie car n’était pas établi le rapport entre, d’une part, une prestation de service rendu à titre onéreux par le prestataire et, d’autre part, le versement des arrhes par le client et gardées par le prestataire. Il en résultait que ces arrhes n’étaient pas soumises à la TVA, car versées en réparation d’un préjudice et non en rémunération d’un service.

La spécificité des arrhes - Pour ne pas être soumise à la TVA la somme doit pouvoir être qualifiée d’arrhes et plus généralement venir en réparation d’un préjudice. Mais, dans d’autres cas, la question posée concernait toujours le fait qu’un client ait acquis un service mais ne l’avait pas utilisé. En particulier dans une affaire portée devant la CJUE [5] à propos de billets de transport aérien. La compagnie aérienne conservait le montant du billet non utilisé par le client, selon elle l’absence d’imposition à la TVA était fondée sur la qualification de la somme en tant qu’indemnité contractuelle visant à réparer le préjudice subi du fait que le client ne s’était pas présenté en temps et en heure à l’embarquement. Mais la CJUE n’a pas retenu cette qualification, car la contrepartie tirée, par le client passager, du prix payé lors de l’achat du billet consiste dans le droit d’obtenir l’exécution du service prévu par le contrat, indépendamment du fait que ce droit soit ou non mis en œuvre par le client. Si, dans le cadre de la jurisprudence de 2007, la qualification d’arrhes avait été retenue d’une part car il s’agissait d’une somme issue d’un contrat différent du contrat principal, en l’espèce un contrat d’hébergement. D’autre part, la CJUE avait aussi pris en considération le caractère symétrique, si l’exploitant n’exécutait pas le contrat le client était en droit de recevoir une somme au titre de cette inexécution par le prestataire. En l’espèce, aucun des éléments dégagés par la décision Sté thermale Eugénie-les-Bains ne peut être retenu pour qualifier les sommes no-shows comme le versement d’une indemnité.

Une position jurisprudentielle bien établie - L’affaire SAS Hôtellerie Paris Suffren a de nombreux points communs avec la décision de la CJUE relative aux transports aériens. En effet, dans les deux espèces, la somme en jeu correspond très exactement au prix de la prestation de service, car il s’agit d’un prix qui est identique à celui que le client bénéficiaire aurait réglé s’il avait utilisé le service. En revanche, si les arrhes sont proportionnées au prix du service, elles ne sont pas identiques au prix ; le dédommagement en relation avec le préjudice subi ne correspond pas au prix du service. Dans l’affaire commentée, le montant payé à l’avance ne diffère pas que la prestation mise à disposition du client soit utilisée ou non pas ce dernier. Le prix versé par le client reste un prix et ne se transforme pas en indemnité du fait que le bénéficiaire ne profite pas du service qu’il a réglé. On comprend bien que les circonstances de l’affaire portant sur le secteur hôtelier soient de même nature que celles concernant le secteur aérien. Par ailleurs, on peut noter que la CJUE garde cette ligne jurisprudentielle, elle a rendu une décision en 2018 [6] à propos de la résiliation anticipée d’un contrat de service d’abonnement téléphonique assorti d’une période minimale d’engagement, la somme due par le client constituait la rémunération d’un service imposable en cette qualité  à la TVA. Or le montant de l’indemnité de résiliation était égal celui de la redevance restant à courir sur la période d’engagement. Il en résultait que le prestataire obtenait le même montant en cas de  résiliation anticipée ou dans le cadre du déroulement normal du contrat. Plus récemment par une décision du 11 juin 2020, la CJUE [7] a appliqué le même raisonnement. Ces décisions dénotent une position de la CJUE selon laquelle le montant  de l’indemnité en application du contrat fait partie du prix  que le bénéficiaire s’est engagé à verser en contrepartie des services réalisés par le prestataire. Bien que dans les différentes décisions le client n’ait pas bénéficié des prestations convenues, il en ressort que l’imposition à la TVA a lieu dès lors que le client a droit à ces services et non uniquement s’il a consommé lesdits services.

En conclusion, la technique de prélèvement bancaire de la somme due par le client bien que ce dernier n’utilise pas le service tend à se développer et à être employée dans le cadre de nombreux secteurs d’activités, par exemple aussi dans celui de la restauration. Ce développement est le résultat du comportement des clients, les situations de no show étant de plus en plus fréquentes. Or elles sont tout à fait dommageables pour les prestataires de services car elles impactent tant leurs chiffres d’affaires que leur marge. Plus généralement, et au-delà du seul secteur hôtelier intéressé en priorité par cet arrêt, ce dernier s’inscrit dans une la lignée d’une série de décisions de la CJUE qui concerne un grand nombre d’activités de prestations de services. Les critères mis en œuvre par la juridiction européenne ont pour effet d’étendre l’imposition à la TVA à la plupart des indemnisations contractuelles dès lors les montants sont similaires entre le prix du service et l’indemnité que le service soit ou non rendu.

 

[1] BOI-TVA-BASE-10-10-50, § 240 à 270, 28 décembre 2022.

[2] À propos de la qualification d’indemnité dans le cadre d’un contrat, l’administration et le juge de l’impôt ne l’avaient pas retenue dans un cas analogue afin de déterminer si une somme était ou non soumise à la TVA : CE Contentieux, 15 décembre 2000, n° 194696 N° Lexbase : A1468AI9 : DF 2001, n° 16, comm. 378, concl. G. Goulard, note R. Jouffroy.

[3] CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-277/05, « Société thermale d'Eugénie-les-Bains c/ Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie » N° Lexbase : A4375DXC, DF 2007, n° 36, comm. 749, note Y et I. Sérandour. Les auteurs de cette note se montrent critiques vis-à-vis du sens de cette décisions.

[4] CE 3° et 8°, 30 nov. 2007, n° 263653,  mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1008D3Q : rec. 2007, p. 202.

[5]CJUE, 23 décembre 2015, aff. C-250/14, « Air France KLM » et aff. C-289/14, « Hop ! Brit Air SAS »  [LXB=N° Lexbase : A9512NZC] :  RJF, 3/16, n° 309.

[6]  CJUE, 22 novembre 2018, aff. C-295/17, MEO - Serviços de Comunicações e Multimédia SA N° Lexbase : A0190YND.

[7]CJUE, 11 juin 2020, aff. C-43/19, « Vodafone Portugal et Communicacoes Pessoais SA » [LXB= A27923NQ] : DF, 2020, n° 25, act. 202 ;  J.-D. Vasseur et O. Galerneau, Alea jacta est : de l’imposition quasi systématique à la TVA des indemnités de résiliation contractuelles : DF 2021, n° 10, comm. 166.

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