Réf. : Cass. soc., 20 novembre 2024, n° 23-13.050, F-B N° Lexbase : A78836HG
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par Mathieu Hallot, Docteur en droit, AMU, CDS (UR 901)
le 27 Novembre 2024
► La convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c’est-à-dire d’abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d’un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l’objectif social du texte.
L’arrêt précité rappelle la position jurisprudentielle de la Cour de cassation sur l’interprétation des conventions collectives.
Faits et procédure. Le litige porte sur le montant de l’indemnité de départ en retraite d’un salarié. Plusieurs dispositions de la convention collective de branche applicable sont en cause. L’article 22.3 précise le montant de l’indemnité de départ à la retraite réalisée à la demande du salarié tandis que le 22.4 précise ce montant lorsque le départ est réalisé à la demande de l’employeur. Enfin, l’article 22.5 précise qu’en « tout état de cause, ces indemnités […] ne pourront être inférieures à l’indemnité légale de licenciement ».
En l’espèce, le départ à la retraite a été pris à la demande du salarié et l’employeur a donc versé une indemnité dont le montant a été calculé en application de l’article 22.3 de la convention collective. La cour d’appel (CA Rennes, 26 janvier 2023, n° 22/03838 N° Lexbase : A63159A7) a quant à elle estimé que les dispositions de l’article 22.5 s’appliquaient aux articles précédant puisque l’article 22.5 vise « ces indemnités » au pluriel.
L’employeur s’est donc pourvu en cassation au motif que les dispositions de l’article 22.5 ne s’appliquaient qu’en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur (article 22.4) et non en cas de décision du salarié (article 22.3). Il rapportait au soutien de cet argument que la nouvelle convention collective avait modifié ces dispositions antérieurement applicables en réservant expressément l’application de l’article 22.5 aux départs à la retraite à l’initiative de l’employeur (article 22.4).
Solution. La Cour de cassation rejette cette demande en rappelant que l’interprétation d’une convention collective se fait en priorité en respectant la lettre du texte. Les Hauts magistrats en déduisent qu’il résulte que l’indemnité de départ à la retraite prévue par les articles 22.3 et 22.4 ne peut être inférieure à l’indemnité légale de licenciement, peu important que ce départ procède d’une demande du salarié ou d’une demande de l’employeur.
L’interprétation des conventions collectives demeure un sujet complexe. La première difficulté réside du dualisme des conventions collectives qui revêtent, on le sait, une nature à la fois contractuelle et réglementaire. Le problème se pose ainsi : la convention doit elle alors être interprétée comme une loi ou plutôt comme un contrat ? L’enjeu réside dans le fait que pour interpréter une loi, la formulation est plus importante que l’intention de ceux qui l’ont adoptée (J.-Y. Frouin, L’interprétation des conventions et accords collectifs de travail, RJS, 1996, p. 137).
Toutefois, même si l’on admet que la convention collective doit être interprétée comme un contrat, la recherche de l’intention des parties s’avère malaisée. Les clauses des conventions collectives sont en effet le fruit d’une négociation entre plusieurs signataires aux intérêts divergents. Le Professeur Gérard Vachet disait à ce titre que « dans la négociation, le “non-dit” est tout aussi important que le “dit” » (G. Vachet, L’interprétation des conventions collectives, JCP E, 1992, 186). Dans ces circonstances, il paraît complexe de discerner la véritable intention commune dans la rédaction des clauses.
Ainsi, la Cour de cassation préfère se livrer à une interprétation littérale des clauses litigieuses. Dans un arrêt du 25 mars 2020, les Hauts magistrats précisent que la « convention collective, si elle manque de clarté doit être interprétée comme la loi, c’est-à-dire d’abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d’un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l’objectif social du texte » (Cass. soc., 25 mars 2020, n° 18‑12.467, FS-P+B N° Lexbase : A60423KY ; G. Vachet, Règles d’interprétation des conventions collectives, art. préc.). C’est cette même formule qui est utilisée dans la motivation de la décision rendue le 20 novembre 2024.
Ce choix de rapprocher la convention collective d’une loi pour interpréter ces dispositions apparaît comme justifié quand, comme c’est le cas en l’espèce, la clause litigieuse provient d’une convention de branche nationale et étendue. Dans cette hypothèse, la convention s’apparente à une véritable « loi de la profession » et la dimension réglementaire de ce texte semble primer sur son aspect contractuel.
Ceci étant, il existe aujourd’hui un moyen permettant de rechercher des indications substantielles sur l’intention des partenaires sociaux dans la rédaction d’une clause conventionnelle. Les commissions paritaires permanentes de négociation et d’interprétation (CPPNI), obligatoire dans chaque branche depuis 2016, paraissent être les plus légitimes à réaliser cette mission (loi n° 2016‑1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels N° Lexbase : L8436K9C ; C. trav., art. L. 2232-9 N° Lexbase : L0326LMZ). Encore faut-il que les juridictions saisissent ces commissions pour qu’elles rendent un avis sur l’interprétation d’une convention. Au terme de l’article L. 441-1 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7222K9D, les juges peuvent solliciter l’avis de la CPPNI avant de statuer sur l’interprétation d’une convention présentant « une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Mais, comme l’illustre la décision commentée, cette possibilité reste encore peu usitée.
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