La lettre juridique n°999 du 17 octobre 2024 : Urbanisme

[Focus] La Cour des comptes passe au crible la procédure de délivrance des permis de construire

Réf. : Rapport de la Cour des comptes « La délivrance des permis de construire »

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par Julia Fransès, Avocate collaboratrice, Gide Loyrette Nouel

le 16 Octobre 2024

Mots clés : permis de construire • Cour des comptes • clause-filet • permis tacite • certificat d’urbanisme

La Cour des comptes a publié un rapport thématique le 26 septembre 2024 dans lequel elle énumère les différents obstacles rencontrés par les pétitionnaires d’autorisation d’urbanisme. Elle dresse le portrait d’un droit de plus en plus complexe, en évolution constante, et difficilement compréhensible par les administrés. Si les procédures d’obtention de ces autorisations sont généralement longues et couteuses, les pétitionnaires sont également confrontés à la prolifération d’un « droit négocié » dont l’absence de base légale est fermement dénoncée par la Cour. Au regard de ce « parcours complexe dans un cadre instable », la Cour émet une série de sept recommandations visant à clarifier, améliorer, simplifier et sécuriser la procédure de délivrance des permis de construire. 


 

I. Un droit de l'urbanisme complexe et instable

Alors que la mise en œuvre du droit des sols est « plus que jamais indispensable à la maitrise de la consommation d’espace et d’énergie comme à la prévention des risques de toute nature », la Cour dresse un portrait d’un droit « victime de son développement ». Ces normes complexes et instables sont appréhendées de plus en plus difficilement par les pétitionnaires et les services instructeurs eux-mêmes, conduisant à une application parfois relative.

L’instabilité du droit des sols s’explique d’abord par l’évolution permanente des besoins des territoires mais aussi par l’adoption de nouvelles réglementations, tel que l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) créé par la loi « Climat et Résilience » [1]. La mise en œuvre du ZAN implique d’adapter tous les documents d’urbanisme, en intégrant les objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) avant le 22 novembre 2024, puis dans les documents de planification infrarégionaux jusqu’en 2028. 

La Cour dénonce sur ce point la lourdeur et les coûts associés aux démarches d’élaboration et d’adaptation des documents d’urbanisme, souvent réalisés par des bureaux d’études qui produisent les livrables « standardisés » [2]. Si l’urbanisme planifié représente des dépenses élevées pour les collectivités, celles-ci sont souvent peu suivies et mal connues. 

L’instabilité des règles d’urbanisme crée donc de l’insécurité pour les pétitionnaires et contribue à complexifier l’enchevêtrement de normes issues de différentes législations qui devient particulièrement difficile à appréhender par les administrés.

Ainsi, parallèlement au droit de l’urbanisme, le pétitionnaire est souvent tenu de se conformer à des normes issues du droit de la construction, de l’environnement, du patrimoine, du commerce, etc. Dans un contexte souvent opaque tant pour le pétitionnaire que pour le service instructeur, la Cour dénonce une application parfois approximative de la norme. Or, moins de rigueur dans l’application des règles fragilise in fine les décisions rendues et contribue au contentieux d’urbanisme de masse qui, selon le rapport, ne faiblit pas et engorge les juridictions. 

II. Le certificat d'urbanisme, planche de salut ?

Dans ce contexte incertain, le certificat d’urbanisme peut se révéler efficace puisqu’il permet à toute personne de s’informer sur les dispositions d’urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations d’urbanismes applicables au terrain visé dans sa demande [3]. Outre les renseignements qu’il fournit, l’obtention d’un certificat d’urbanisme présente le double avantage de figer la situation juridique et fiscale du terrain pendant une durée de dix-huit mois à compter de sa délivrance et d’être rattaché au terrain plutôt qu’à la personne en ayant fait la demande. 

L’intérêt cristallisateur du certificat connaît néanmoins une exception notable lorsqu’il est délivré alors que le plan local d’urbanisme (PLU) est en cours d’élaboration ou de révision [4]. Si le certificat est obtenu après le débat sur les orientations générales du plan d’aménagement et de développement durable (PADD) du PLU, l’autorité compétente est en droit de surseoir à statuer sur la demande d’autorisation pendant une durée ne pouvant excéder deux ans, vidant ainsi le certificat d’urbanisme de son intérêt [5].

Si le risque de sursis doit en principe être inscrit dans le certificat d’urbanisme, le Conseil d’État retient que l’absence d’une telle mention entache le certificat d’illégalité mais ne fait pas obstacle à la faculté pour l’administration de surseoir à statuer sur la demande du pétitionnaire, à charge pour ce dernier d’engager la responsabilité de l’administration, ce qui ne constitue pas une solution satisfaisante d’un point de vue opérationnel [6].

La décision de sursis à statuer, qui doit être motivée par l’administration, peut être contestée par le pétitionnaire. Mais la durée attachée au parcours contentieux ainsi que ses incidences sur les relations entre le pétitionnaire et l’administration sont souvent dissuasives pour les porteurs de projets. 

Face à ce constat, la Cour suggère comme piste d’« amélioration » de créer une obligation d’informer les pétitionnaires qui ont obtenu un certificat d’urbanisme lorsqu’une révision « de la carte des risques » est décidée postérieurement à cette obtention [7]. Si le terme « carte des risques » manque à notre sens de clarté, on comprend d’une lecture attentive du rapport qu’il s’agirait plutôt de prévenir les détenteurs de certificat en cas d’évolution du document d’urbanisme applicable puisqu’au demeurant le certificat n’a aucun effet cristallisateur sur les dispositions traitant des risques et ayant pour objet la préservation de la sécurité et de la salubrité publique [8].

III. Une procédure d’instruction difficilement prévisible pour les pétitionnaires

Parallèlement à l’identification des normes applicables à leur demande d’autorisation, les pétitionnaires sont souvent confrontés à une procédure d’instruction longue et incertaine. La Cour des comptes donne quelques exemples des aléas pouvant être rencontrés par les administrés.

Instauré par le décret n° 2022-422 du 25 mars 2022, relatif à l'évaluation environnementale des projets N° Lexbase : L1387MCD, et désormais codifié à l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement N° Lexbase : L1680MC9, le dispositif de la « clause-filet » permet à la première administration saisie d’une demande d’autorisation pour un projet qui n’atteint pas les seuils fixés par le tableau annexé à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement N° Lexbase : L6275LXP, de saisir l’autorité environnementale afin qu’elle examine « au cas par cas » s’il est pertinent de soumettre le projet à étude d’impact. 

Comme le relève la Cour, ce dispositif alourdit la procédure de délivrance des permis puisque l’étude d’impact est, par précaution, quasi systématiquement enclenchée par l’autorité environnementale. Elle contribue au manque de lisibilité des procédures d’instruction et crée de l’incertitude chez le pétitionnaire quant à la durée de l’instruction de sa demande, ce qui in fine est susceptible de nuire à la réalisation de l’opération qui est le plus souvent conditionnée à l’obtention d’une autorisation définitive sous un certain délai. 

Pour répondre à cette problématique, la juridiction financière propose une mesure de « simplification » tenant à l’instauration d’une phase de dialogue entre l’autorité environnementale et l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire avant toute analyse d’impact : « la pertinence d’engager ou non une étude « au cas par cas » devrait être décidée non par l’ordonnateur ou le pétitionnaire, mais par l’autorité environnementale, sur demande de l’autorité qui instruit l’autorisation du droit des sols » [9].

Si cette recommandation présente l’avantage d’impliquer les collectivités dans la décision de soumission d’un projet à étude d’impact, elle ne résout pas l’incertitude juridique créée par l’entrée en vigueur du dispositif de la « clause filet » qui incite en réalité les porteurs de projets à intégrer dans leur budget et calendrier prévisionnels les coûts et délais afférents à une étude d’impact réalisée « par précaution ».

IV. Le développement contesté de « l’urbanisme négocié »

Au sein de ce paysage normatif complexe, le développement de la pratique de « l’urbanisme négocié » et de « l’extra-légal » dans l’instruction des demandes d’autorisation est dénoncé par la Cour car elle ajoute inutilement des obstacles au parcours des pétitionnaires. 

La Cour constate une pratique de plus en plus répandue consistant pour les collectivités à imposer aux pétitionnaires le respect de « chartes » et autres documents « complémentaires » au PLU qui n’ont en réalité aucune base légale ou réglementaire [10]. La juridiction financière étrille ces pratiques qui donnent lieu « à des négociations avec les opérateurs pour les inciter à se conformer aux attentes de la commune, alors même que le projet initial serait en adéquation avec les prescriptions du PLU » [11]. Le rapport recommande par mesure de « sécurisation » de proscrire complètement leur usage. 

Selon la Cour, cette pratique se retrouve aussi au cours de la pré-instruction du dossier. Si cette étape constitue sans aucun doute une phase importante du projet puisqu’elle permet de nouer un lien entre l’administration et le pétitionnaire, la Cour soutient qu’elle peut se transformer en une pré-validation du dossier en amont de son dépôt officiel, lequel est parfois conditionné à des engagements « en décalage avec le droit opposable et souvent sans base légale » [12]. La Cour relève que le contrôle de légalité exercé par les préfets ne suffit pas à censurer toutes les situations et que les déférés préfectoraux sont rares. 

En outre, et malgré la dématérialisation, depuis 2022, des demandes d’autorisations, les pétitionnaires restent confrontés à des demandes non justifiées de pièces complémentaires qui grèvent les budgets des projets et allongent les délais d’instruction. En effet, si le Code de l’urbanisme énumère de façon limitative les pièces pouvant être demandées par le service instructeur, cette liste est fondamentale puisque le point de départ du délai d’instruction ne court qu’à compter de la réception, par l’administration, d’un dossier complet au regard des seuls documents exigés par le code. Le Conseil d’État retenait jusqu’en 2022 qu’une demande illégale de pièces complémentaires était certes de nature à entacher d’illégalité le refus d’accorder l’autorisation sollicitée mais ne pouvait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une autorisation implicite [13].

Depuis un revirement de jurisprudence très remarqué et opéré dans une décision du 9 décembre 2022 dite « Commune de Saint-Herblain », le Conseil d’État retient qu’une demande de pièce complémentaire qui n’est pas exigée par le Code de l’urbanisme n’interrompt pas le délai d’instruction au terme duquel naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite [14].

Cette décision favorable aux pétitionnaires incite désormais les services instructeurs à redoubler de vigilance s’ils sont amenés à solliciter des pièces complémentaires puisqu’une demande illégale peut conduire à la délivrance d’une autorisation tacite. 

La Cour constate néanmoins que le système actuel permettant de se prévaloir d’un permis tacite est insuffisant et devrait être conforté par un mécanisme probatoire plus efficace. La Cour déplore en effet que si l’actuel article R. 424-13 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3489L7D prévoit qu’en cas d’autorisation tacite, l’administration est tenue de délivrer un certificat « sur simple demande » du pétitionnaire, rien n’est prévu si l’autorité ne répond pas à cette demande. 

Si un recours pour excès de pouvoir peut être envisagé, les délais attachés aux contentieux et le calendrier des opérations de construction ne semblent pas compatibles avec une telle solution. 

La Cour préconise comme mesure de « clarification », de « garantir aux pétitionnaires ayant obtenu un permis tacite la communication sur simple demande d’un certificat prouvant le dépôt des pièces et la date de transmission au préfet ». À en croire le rapport de la juridiction financière, une telle garantie permettrait au titulaire d’apporter plus facilement aux tiers la preuve des éléments de sa demande de permis. Si la création d’une garantie de réponse semble théoriquement répondre à l’impasse de l’administré en cas de silence de l’administration sur sa demande de certificat d’autorisation tacite, les implications pratiques d’une telle mesure restent à définir. 

Enfin, en réponse aux incertitudes liées à la procédure d’instruction des autorisations du droit des sols, la Cour recommande une piste d’« amélioration » tenant, de façon assez logique, à une meilleure formation des agents instructeurs des demandes en vue de « permettre l’émergence d’une véritable filière de l’instruction et du contrôle de l’urbanisme ». Dans un contexte budgétaire tendu, il reste à voir comment l’ensemble de ces recommandations pourraient être mis en œuvre. 

À retenir : 

  • Le droit des sols est indispensable à la maîtrise de la consommation d’espaces mais sa complexité conduit à une application parfois relative des normes ;
  • Les pétitionnaires sont de plus en plus confrontés à un « urbanisme négocié » dont la Cour dénonce l’absence de base légale ;
  • Le développement d’une filière de formation des agents instructeurs est une piste à explorer pour répondre à la complexité de ce droit et assurer l’interface essentielle entre administration et pétitionnaires. 
 

[1] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, telle que modifiée par la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023, visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux N° Lexbase : L2324MIW.

[2] Rapport, page 9.

[3] Exception faite des règles de préservation de la sécurité ou de la salubrité publiques (C. urb., art. L. 410-1 N° Lexbase : L9997LM9).

[4] À noter que cette exception ne s’applique pas aux procédures de modification du PLU : CE, 28 janvier 2021, n° 433619 N° Lexbase : A25374EP.

[5] C. urb., art. L. 424-1 N° Lexbase : L7107L7D et L. 153-11 N° Lexbase : L7790LCI.

[6] C. urb., art. A. 410-4 N° Lexbase : L9857HZ4 ; CE, 3 avril 2014, n° 362735 N° Lexbase : A6416MIH ; CE, 24 décembre 2020, n° 435980 N° Lexbase : A38454BZ.

[7] Rapport, page 60.

[8] C. urb., art. L. 410-1, al. 4.

[9] Rapport, page 11.

[10] TA Rouen, 26 janvier 2023, n° 2202586 N° Lexbase : A72279AW.

[11] Rapport, page 85.

[12] Rapport, page 80.

[13] CE, 9 décembre 2015, n° 390273 N° Lexbase : A0454NZT.

[14] CE, 9 décembre 2022, n° 454521 N° Lexbase : A11698YX.

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