Réf. : CE, 3e-8e ch. réunies, 4 juillet 2024, n° 464689, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A82995MC
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par Benjamin Vincens-Bouguerau, Avocat associé, ATV Avocats
le 12 Septembre 2024
Mots clés : édifice menaçant ruine • pouvoir de police • police spéciale • police générale • action récursoire • enrichissement sans cause
Par une décision en date du 4 juillet 2024, le Conseil d’État a d’abord rappelé que la démolition d’un édifice menaçant ruine ne pouvait pas intervenir dans le cadre d’une procédure de péril imminent mais seulement dans le cadre d’une procédure de péril ordinaire, et ce à la charge des propriétaires, ou encore pouvait intervenir sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure de démolition, et ce à la charge de la commune. Le Conseil d’État a ensuite et surtout précisé que les actions récursoires contre les propriétaires sur le fondement d’une faute ou d’un enrichissement sans cause, pour obtenir les remboursements des sommes engagées pour démolir un édifice menaçant ruine sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire, relèvent de la compétence du juge judiciaire.
1. Liminairement, observons que la décision commentée s’inscrit sous l’empire de la procédure de péril ordinaire et imminent, avant la réforme de l’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020, relative l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations N° Lexbase : L2019LYG, entrée en vigueur le 1er janvier 2021 et ayant modifié quelque peu les procédures relevant du pouvoir de police spécial du maire en matière d’édifice menaçant ruine.
Désormais, on ne parle plus d’une procédure de péril ordinaire mais d’une procédure de mise en sécurité ordinaire, ni d’une procédure de péril imminent mais d’une procédure de mise en sécurité d’urgence.
Comme modification importante, la procédure de mise en sécurité ordinaire prévoit désormais que l’arrêté de mise en sécurité ne pourra prescrire de démolition ou d’interdiction définitive d’habiter dans le bâtiment sauf s’il n’existe aucun autre moyen technique pour remédier à l’insécurité ou si les travaux nécessaires seraient plus couteux que la reconstruction [1].
Autres modifications notables, la nouvelle procédure de mise en sécurité ordinaire supprime la phase de mise en demeure avant édiction de l’arrêté et prévoit désormais que l’autorité compétente « peut » faire procéder aux travaux d’office les travaux, ce qui sous-entend que l’exécution d’office est facultative.
S’agissant de la procédure de mise en sécurité d’urgence, la modification notable est la suppression de l’obligation de saisine du tribunal administratif pour désignation d’un expert. Désormais prévue au nouvel article L. 511-9 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L2417LY8, cette saisine est devenue facultative et a été étendue à la procédure de mise en sécurité hors urgence.
Plus encore et en lien avec la décision commentée, la procédure modifiée permet désormais la possibilité d’une démolition complète d’un édifice menaçant ruine dans la procédure d’urgence, sous deux conditions : qu’aucune autre mesure ne permette d’écarter le danger et d’avoir été autorisé par jugement du président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond [2].
À noter encore que la rédaction du nouvel article L. 511-20 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L2384LYX conduit à considérer que l’exécution d’office des travaux en cas de carence du propriétaire dans une procédure de mise en sécurité d’urgence reste obligatoire pour l’autorité compétente, contrairement à la procédure ordinaire.
Ces procédures de mise en sécurité concernent bien toujours tous les immeubles et édifices bâtis qui menacent ruine et qui pourraient, de par leur effondrement, compromettre la sécurité publique ou qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique.
La procédure de mise en sécurité (ancienne procédure dite de péril) relève du pouvoir de police administrative spéciale confié au maire ou au président d’un EPCI en cas de transfert de ce pouvoir [3] pour qu’il prenne des mesures visant à ce qu’il soit mis fin à un danger causé par un édifice menaçant ruine et elle est régie par les dispositions du Code de la construction et de l’habitation.
La justification de l’intervention du maire sur ce fondement dépend des caractéristiques de la cause du danger : le Conseil d’État considère ainsi que si les pouvoirs de police générale, reconnus au maire par les articles L. 2212-2 N° Lexbase : L0892I78 et L. 2212-4 N° Lexbase : L8694AAA du Code général des collectivités territoriales, s'exercent dans l'hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d'une cause qui lui est extérieure [4], lorsque le danger provient en revanche à titre prépondérant de causes propres et intrinsèques au bâtiment, le maire doit faire usage de ses pouvoirs de police spéciale relatifs aux édifices menaçant ruine, dans le cadre d’une procédure de mise en sécurité d’urgence ou de mise en sécurité ordinaire, prévues aux articles L. 511-1 N° Lexbase : L2376LYN et suivants du Code de la construction et de l'habitation.
2. Ces observations ayant été faites, revenons-en à la décision commentée prise sur le fondement de la procédure alors en vigueur de péril ordinaire et imminent.
Les faits étaient alors relativement simples et semblables à beaucoup de procédures en la matière : sur le territoire de la commune de Beaulieu dans le Puy-de-Dôme, un immeuble menaçait de s’effondrer et le maire engageait une procédure de péril imminent en ne se limitant pas à prescrire des travaux de sécurisation mais en prescrivant la démolition et en la faisant réaliser d’office faute d’exécution volontaire par la propriétaire défaillante.
Considérant son intervention bien fondée au titre de ses pouvoirs de police spéciale des édifices menaçant ruine, et plus précisément de la procédure de péril imminent, le maire émettait des titres exécutoires pour mettre à la charge de la propriétaire défaillante les coûts de démolition et de bureau d’étude : ces titres étaient annulés par jugement définitif du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 2 février 2017 considérant que le maire ne pouvait prescrire la démolition dans le cadre de la procédure de péril imminent.
C’est alors que le maire de Beaulieu faisait délibérer son conseil municipal pour être autorisé à émettre de nouveaux titres exécutoires cette fois-ci sur le fondement de l’enrichissement sans cause et qu’il émettait ces titres.
Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand le 31 décembre 2020 puis la cour administrative d’appel de Lyon le 7 avril 2022 [5] rejetait les demandes d’annulation de la délibération du conseil municipal et des titres exécutoires formées par la propriétaire : les juges du fond considéraient ainsi que le maire pouvait valablement et directement émettre des titres exécutoires pour recouvrer des sommes engagées dans le cadre d’une procédure de péril sur le fondement d’un enrichissement sans cause.
Le Conseil d’État, dans la décision commentée, n’était pas de cet avis puisque, par décision du 4 juillet 2024, il annulait le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 31 décembre 2020 et l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon le 7 avril 2022 et déclarait la juridiction administrative incompétente pour connaitre des litiges contre les titres exécutoires pris sur le fondement d’un enrichissement sans cause.
3. Ainsi, et d’abord, le Conseil d’État a rappelé que - sous l’empire de la procédure de péril avant la réforme de l’ordonnance du 16 septembre 2020 – la démolition d’un immeuble menaçant ruine ne pouvait pas intervenir dans le cadre d’une procédure de péril imminent [6] qui doit se limiter à prescrire les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité et donc pallier à l’imminence du péril mais seulement dans le cadre d’une procédure de péril ordinaire [7], et ce aux frais des propriétaires.
Si ce rappel était nécessaire dans l’affaire en litige puisque le maire avait prescrit irrégulièrement la démolition d’un bâtiment dans le cadre d’une procédure de péril imminent, il n’a plus grand intérêt puisque l’état du droit actuel permet désormais la démolition complète d’un immeuble menaçant ruine dans la procédure d’urgence lorsqu’aucune autre mesure ne permet d’écarter le danger et après avoir été autorisé par jugement du président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond.
Le Conseil d’État - dans le cinquième considérant de l’arrêt commenté - vient également confirmer que la démolition d’un édifice menaçant ruine peut toujours intervenir sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure de démolition.
Ainsi, il est confirmé qu’en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent qui exige la mise en œuvre immédiate d’une mesure particulière de sécurisation, y compris la démolition, le maire peut toujours l’ordonner sur le fondement des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales.
Force nous semble devoir être considéré qu’il en ira toujours ainsi même si la règlementation désormais en vigueur permet d’envisager – ainsi qu’on l’a vu ci-avant - une démolition dans le cadre de la procédure de mise en sécurité d’urgence, après autorisation du juge Judiciaire, si aucune autre mesure ne permet de sécuriser les lieux.
Sur ce point, le Conseil d’État précise que, contrairement à la procédure prévue pour les immeubles menaçant ruine où les frais sont à la charge des propriétaires, l’usage des pouvoirs de police générale du maire, sur le fondement des articles L. 2212-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales justifié par l’urgence de la situation et la gravité du danger implique que la réalisation des travaux de démolition dans ce cadre est à la charge de la commune.
Après avoir fait œuvre jusque-là de confirmation, le Conseil d’État – pour annuler les décisions de fond sur ce dossier - a ensuite et surtout précisé que les actions récursoires contre le propriétaire sur le fondement d’une faute ou d’un enrichissement sans cause, pour obtenir les remboursements des sommes engagées pour démolir un édifice menaçant ruine sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire, relèvent de la compétence du juge judiciaire.
Sans se prononcer sur le bien-fondé des titres exécutoires émis par la commune de Beaulieu sur le fondement de l’enrichissement sans cause, considérant que les travaux de démolition avaient pu être entrepris sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire compte tenu de l’urgence de la situation, le Conseil d’État s’est limité à juger qu’il s’agit d’un litige relevant de la seule compétence de la juridiction judiciaire, et ce « en l’absence d’une disposition législative spéciale régissant une telle action civile ».
Le rapporteur public Thomas Pez-Lavergne sans ses conclusions sous l’arrêt commenté résume parfaitement la position de la Cour de cassation et les principes dégagés par la jurisprudence du Conseil d’État qui fondent la décision ici commentée :
« Les principes qui ressortent ainsi de votre jurisprudence et de celle de la Cour de cassation peuvent être résumés de la façon suivante : en l’absence d’une disposition législative spéciale, lorsque le maire fait exécuter d’office des travaux sur une propriété privée pour prévenir un danger grave ou imminent, la charge financière des travaux est entièrement supportée par la commune sauf si le propriétaire a commis une négligence ou si les travaux ont apporté une plus-value à sa propriété ; et dans ces hypothèses où un fait est de nature à engager la responsabilité du propriétaire, la commune doit engager, devant la juridiction judiciaire, une action en responsabilité civile contre le propriétaire privé qui peut être fondée, malgré l’illégalité de l’arrêté prescrivant la démolition, sur sa responsabilité quasi contractuelle, c’est-à-dire l’enrichissement sans cause ».
Enfin, il est à noter que le Conseil d’État – en se déclarant incompétent – a jugé que l’administration ne peut en la matière user de son privilège du préalable par l’émission d’un titre exécutoire sur le fondement de l’enrichissement en cause à l’encontre d’une personne privée mais doit nécessairement saisir le juge judiciaire d’une action récursoire sur ce fondement de l’enrichissement sans cause.
À retenir : Pour obtenir le remboursement des sommes engagées pour démolir un édifice menaçant ruine sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire, ce dernier ne peut pas émettre directement un titre exécutoire mais doit engager une action récursoire contre le propriétaire sur le fondement d’une faute ou d’un enrichissement sans cause qui relève de la compétence du juge judiciaire. |
[1] CCH, art. L. 511-11 N° Lexbase : L1054MMY.
[2] CCH, art. L. 511-19 N° Lexbase : L2383LYW.
[3] CGCT, art. L. 5211-9-2 N° Lexbase : L1283ML4.
[4] CE, 10 octobre 2005, n° 259205 N° Lexbase : A0028DLM : CAA Marseille, 24 octobre 2016, n° 15MA02932 N° Lexbase : A0694SAX.
[5] CAA Lyon, 4e ch, 7 avril 2022, n° 21LY00511 N° Lexbase : A37247UH.
[6] CCH, art. L. 511-3 ancien.
[7] CCH, art. L. 511-2 ancien.
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