La lettre juridique n°994 du 12 septembre 2024 : Contrôle fiscal

[Jurisprudence] À propos du délai de reprise de l’administration

Réf. : CAA de Paris, 15 mai 2024, n° 22PA02892

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N0188B3D

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Sorbonne Paris Nord

le 11 Septembre 2024

Mots-clés : délai de reprise • procédures fiscales • administration fiscale • rectification


 

Une EURL – dont le requérant est le gérant et l’unique associé – cède en juillet 2011 son fonds de commerce à une société dont le même requérant est le PDG. La cession génère une plus-value professionnelle de 342 614 euros. Notre contribuable ne reporte pas - sur sa déclaration personnelle – cette plus-value figurant sur la déclaration 2031 souscrite par l’entreprise ; ladite plus-value n’est pas soumise aux prélèvements sociaux auxquelles elle doit être en principe assujettie. Identifiant une telle plus-value, l’administration fiscale la réintègre dans le revenu imposable du contribuable. Contentieux. Saisi, le TA de Melun rejette la demande en décharge – en droits et pénalités – des cotisations supplémentaires d’IR, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales. La CAA de Paris est saisie à son tour.

Selon le requérant, le droit de reprise abrégé de l’administration était prescrit lorsque celle-ci lui a adressé la proposition de rectification (cf. LPF, art. L. 169-2 N° Lexbase : L1214MLK) … l’administration – loin de rappeler et reporter seulement dans la déclaration n° 2042 C la plus-value en tant que plus-value à long terme exonérée par l’organisme de gestion agréé sur la déclaration professionnelle – a rectifié les résultats de la société … l’administration a donc opéré un détournement de procédure après l’expiration du délai de reprise … les juges ont méconnu la position de l’organisme de gestion ayant indiqué que la plus-value était exonérée … la règle – selon laquelle le délai de reprise abrégé ne vaut que dans la mesure où il y a concordance entre les éléments déclarés à l’organisme de gestion agréé et les éléments ultérieurement déclarés par le contribuable – s’applique seulement s’il y a effectif contrôle de cet organisme (or, tel n’est pas le cas s’agissant des conditions d’exonération) … en aucune manière, il y aurait eu intention d’éluder l’impôt en ne déclarant pas la plus-value professionnelle.

La CAA n’est pas sensible aux arguments développés par le requérant et ne fait pas droit à sa demande. Elle ne se prononce pas sur ses conclusions visant les cotisations supplémentaires d’IR et de contributions sur les hauts revenus. La Direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne a en effet procédé – par une décision en date du 14 octobre 2022, postérieure à l’introduction de la requête – à un dégrèvement intégral.

Quid du bien-fondé des prélèvements sociaux qui restent en litige ?

La CAA fait lecture de l’article L. 168 du LPF N° Lexbase : L5263MMU : « Les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition peuvent être réparées par l'administration des impôts par l'administration des douanes et droits indirects ou par les personnes compétentes mentionnées à l'article L. 16 I, selon le cas, dans les conditions et dans les délais prévus aux articles L. 169 à L. 189, sauf dispositions contraires du Code général des impôts ».

La CAA fait encore lecture de l’article L. 169 du LPF : « Pour l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l’administration des impôts s’exerce jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l’administration, pour les revenus imposables selon un régime réel dans les catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux et des bénéfices agricoles ainsi que pour les revenus imposables à l’impôt sur les sociétés des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, et des sociétés à responsabilité limitée, des exploitations agricoles à responsabilité limitée et des sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont l’associé unique est une personne physique, s’exerce jusqu’à la fin de la deuxième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, lorsque le contribuable est adhérent d’un centre de gestion agréé ou d’une association agréée, pour les périodes au titre desquelles le service des impôts des entreprises a reçu une copie du compte rendu de mission prévu aux articles 1649 quater E et 1649 quater H du Code général des impôts. Cette réduction de délai ne s’applique pas aux contribuables pour lesquels des pénalités autres que les intérêts de retard auront été appliquées sur les périodes d’imposition non prescrites visées au présent alinéa».

L’administration dispose seulement – par dérogation à la règle fixée à l’article L. 169-1 du LPF – d’un délai de reprise courant jusqu’au 31 décembre de la 2ème année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due pour rectifier les omissions, insuffisances ou erreurs affectant l’assiette ou la liquidation de l’IR dû. Dans le cas présent – ajoute aussitôt la CAA de Paris – il convient de s’arrêter sur la situation d’entreprises soumises au régime fiscal des sociétés de personnes et dont les bénéfices sont taxables entre les mains de leurs associés à concurrence de leur quote-part. Or, il appert que les dispositions mentionnées en amont ne reçoivent pas application pour les rectifications procédant des erreurs ou insuffisances constatées dans le report – cf. la déclaration personnelle de l’associé – des indications figurant dans la déclaration professionnelle déposée par l’entreprise. Dans une telle configuration, l’administration jouit d’un délai courant jusqu’au 31 décembre de la 3ème année - suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due - pour procéder aux rectifications de l’impôt dû par l’associé.

On se souvient que le contribuable n’a pas reporté sur sa déclaration personnelle la plus-value professionnelle réalisée en 2011 et figurant sur la déclaration n°2031 souscrite par l’entreprise ; il ne l’a pas soumise aux prélèvements sociaux auxquelles elle était assujettie … quand bien même la déclaration n° 2031 faisait état d’une exonération de cette plus-value de cotisations d’IR (cf. CGI, art. 151 septies N° Lexbase : L0813MLP). De cela, le juge tire la conclusion suivante : puisque la rectification découle du seul constat de cette omission, l’administration disposait à bon droit d’un délai courant jusqu’au 31 décembre de la 3ème année (suivante celle au titre de laquelle l’imposition est due) pour procéder à ladite rectification.

Reste cependant le fait que l’organisme de gestion agréé a estimé que la plus-value en question méritait de faire l’objet d’une exonération ; reste cependant le fait que l’administration a requalifié la plus-value en plus-value taxable à l’IR (taux de 16 %) et a rectifié les résultats de la société. Aux yeux de la CAA de Paris, ces deux éléments sont dépourvus de portée dans la mesure où les rehaussements d’IR et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ont été abandonnés en cours d’instance. Cela signifie que restent seulement en litige les prélèvements sociaux ; or, ceux-ci ne relèvent pas du champ de l’exonération visée. De détournement de procédure il ne saurait être question selon la CAA. À l’aune de l’ensemble de ces développements, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le droit de reprise de l’administration était expiré quand la proposition de rectification lui a été adressée (quand bien même l’EURL était membre d’un centre de gestion agréé ou d’une association agréée émettant un compte rendu de mission au titre des périodes concernées).

Un ultime point de la décision porte sur les pénalités. La CAA fait lecture de l’article 1729 du CGI N° Lexbase : L4733ICB : « Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré […] ». La CAA rappelle que le contribuable n’a pas reporté sur sa déclaration personnelle – s’agissant de la taxation aux prélèvements sociaux – la plus-value professionnelle réalisée en 2011. Or, une telle « somme représente plus de 300 % du montant des bénéfices industriels et commerciaux réalisés au titre de l’année 2011 et plus de 169 % du revenu global initialement déclaré à hauteur de 201 849 euros au titre de la même année ». Partant de ce constat, la CAA en arrive à une admonestation qui sonne le glas des prétentions du requérant : étant gérant et associé unique de l’EURL, il lui était impossible d’ignorer l’existence même d’une telle plus-value tout comme son caractère imposable aux prélèvements sociaux. En une ultime parade, le requérant tente d’échapper aux rets juridictionnels en rappelant qu’il a eu recours – pour la tenue de sa comptabilité – aux services d’une association de gestion et de comptabilité agréée. Or, cette association avait établi la déclaration n° 2031 en indiquant que la plus-value était une plus-value à long terme exonérée (cf. CGI, art. 151 septies N° Lexbase : L0813MLP). Une telle défense ne saurait prospérer selon la CAA : les déclarations fiscales sont établies « sous la seule responsabilité des contribuables », l’exonération en cause ne concerne pas les prélèvements sociaux, le rehaussement découle de la seule omission du requérant. L’administration est ainsi bien fondée à prétendre poser la pénalité litigieuse en raison d’une volonté – avérée – d’éluder l’impôt. Que la Commission des infractions fiscales – saisie dans le cadre de ce litige – ait rendu un avis défavorable s’agissant de l’engagement de poursuites correctionnelles à l’encontre du requérant ne change rien à la donne : sur le plan fiscal, la volonté d’éluer l’impôt est constituée.

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